Discuter avec Gilles Taladoire lors de notre rencontre de juillet dernier permet de faire un “retour vers le futur” de l‘apprentissage du numérique et de l’informatique en Nouvelle-Calédonie ! Maître de conférence en informatique, chef du département “Métiers du Multimédia et de l’Internet“, mais également (ancien) Vice-Président délégué au numérique et aux partenariats numériques de l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Gilles est la mémoire vivante de l’évolution du numérique à l’UNC. L’occasion de parler numérique bien sûr, mais également EdTechs, apprentissage en période de COVID et innovation dans la formation.

Gilles Taladoire en visite dans le studio de tournage de l’UNC © NeoTech

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Bonjour Gilles, tu occupes plusieurs postes à l’UNC. Pourrais-tu partager l’une de tes semaines « types » avec nos lecteurs ?

Mes semaines sont très variées selon la période de l’année et les activités en cours. Je suis toujours enseignant et, même après 30 ans, je prépare toujours mes cours avant de les dispenser aux étudiants, puis de corriger leurs travaux lors des évaluations. En parallèle, je fais également partie de plusieurs jurys et m’occupe de certains recrutements. 

La gestion de ma messagerie électronique, comme pour tout le monde, me prend également pas mal de temps… Par ailleurs, je suis régulièrement embarqué dans des réunions, notamment sur le volet pédagogique en tant que chef du département « MMI » ; dernièrement, nous avons par exemple travaillé sur la mise en place et l’ouverture du « BUT » pour « Bachelor Universitaire de Technologie », un nouveau diplôme qui a pris la place du « DUT ». 

Avec ma casquette de « Vice-Président délégué au numérique et aux partenariats numériques »*, je prends part à de nombreuses réunions extérieures, notamment celles avec nos partenaires : l’Observatoire du Numérique, le Cluster Numérique OPEN NC, NC 1ère, d’autres pour des événements comme l’organisation du “Ocean Hackathon Nouvelle-Calédonie“… et j’ai parfois des compte-rendu à rédiger en aval de ces rencontres. Je cours donc en permanence après le temps ! 

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En quoi le numérique est un axe de développement important pour l’UNC ? 

Le numérique est partout et l’UNC n’échappe pas à la règle ! Le numérique dans l’enseignement, dans le fonctionnement, dans la formation des étudiants… Comme toute entreprise, nous devons réaliser notre transition numérique, au niveau administratif, tout comme au niveau de l’enseignement et de la recherche. Malheureusement, on manque aussi de moyens en interne pour l’intégrer comme nous le souhaiterions… 

Certaines périodes ont été néanmoins propices à l’innovation ; nous avons mis en place la « Carte Sup’ », une carte étudiant numérique par exemple. Plus généralement, le numérique est également un facteur d’égalitarisme puisqu’il permet à tout un chacun d’accéder à la formation, aux ressources, de délocaliser l’enseignement etc. 

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Quelles sont les initiatives d’enseignement du numérique mises en place dernièrement à l’UNC ? 

On peut parler de plusieurs initiatives en matière de formations numériques ; tout d’abord, parlons des formations en informatique représentées, notamment, par la « Licence Informatique » qui existe depuis maintenant de nombreuses années. 

D’autre part, nous avons créé en 2016 le « DUT MMI » ainsi que deux licences professionnelles en alternance l’année dernière – la licence « Informatique et Application Web » et la licence professionnelle « Communication et Arts Numériques » qui s’adressent à des étudiants d’un niveau BAC +2. L’année prochaine, nous lançons donc le « BUT MMI » qui se déroulera sur trois ans avec deux spécialités « Stratégie de communication et design d’expérience » et « Développement web et dispositifs interactifs ». 

Autre nouveauté de septembre 2021, c’est le lancement du Master MIAGE « Méthode Informatique Appliquée à la Gestion des Entreprises » qui ouvre en formation initiale et en formation continue, pour des professionnels par exemple. Hors pros, il s’adresse aux étudiants à partir de BAC + 3

Aujourd’hui, on constate que les jeunes sont loin de maîtriser l’environnement numérique comme on pourrait le penser ! L’objectif, pour nous, c’est de former des citoyens numériques capables d’utiliser les outils efficacement. 

Autre nouveauté, la certification numérique « PIX » qui vient d’être lancée et qui fonctionne sur un système de points – maximum 1024, soit 2^10 à terme – sur 16 compétences et 6 niveaux. C’est une certification nationale qui peut être débutée par tout un chacun sur pix.fr : l’UNC est habilitée à faire passer la certification et la rend gratuite pour nos étudiants. L’objectif est d’avoir un enseignement transversal du numérique pour répondre aux besoins des étudiants. 

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Nous sommes convaincus que l’enseignement de l’univers numérique doit être intégré aux programmes scolaires depuis le plus jeune âge. Quelle est ta vision du sujet ? 

Gilles Taladoire
A “bureau with a view” comme on dit ! © NeoTech

Le numérique et l’informatique ont été définis comme des priorités au niveau du secondaire, notamment avec l’enseignement « SNT » – “Sciences du Numérique et de la Technologie” – au niveau de la seconde. 

Avec le nouveau bac, les étudiants de 1ère et Terminale peuvent choisir une nouvelle option « NSI » – « Numérique et Sciences Informatiques » – qui permet de former les étudiants à ces sujets dès le lycée. A ce propos, l’UNC a organisé en 2019 et 2020 la formation d’une partie des enseignants en charge de ces spécialités. 

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En quoi l’enseignement du numérique est-il un enjeu crucial pour la formation étudiante ? 

Le numérique est devenu un élément capital dans l’insertion professionnelle des étudiants mais également dans la transformation numérique des entreprises : un étudiant avec un bagage « numérique » et qui en maîtrise, a minima, certains outils disposera d’un avantage concurrentiel lorsqu’il débarquera sur le marché du travail. 

Il y a 15 ans, j’étais associé à la création de l’association « ACTIC » qui a notamment permis, par la suite, la fondation de l’Observatoire Numérique NC et d’OPEN NC, et le constat était déjà similaire : les entreprises manquaient de profils et souhaitaient faire la promotion de la filière

Aujourd’hui, pour répondre à ces besoins, on ouvre de nouvelles formations mais elles manquent souvent d’effectifs d’étudiants ce qui les met en péril… Ça fait également des années que les professionnels souhaitent plus de formations de niveau BAC + 5 : nous allons ouvrir un nouveau Master dédié qui risque d’être sujet aux mêmes problématiques. Il faut que les professionnels, comme les enseignants, fassent un gros travail de promotion du numérique et de sensibilisation auprès des jeunes Calédoniens. Comme nous sommes sur un petit territoire, de nombreuses formations se disputent les mêmes étudiants ce qui rend l’équilibre global assez fragile. 

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Peux-tu me parler du programme Pépite, « le pôle étudiant pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat » de l’UNC ? 

L’objectif de “Pépite”, c’est d’accompagner les étudiants qui souhaitent créer et développer leur projet innovant. De plus, ce programme ne s’adresse pas qu’aux étudiants de l’UNC, mais à tous les étudiants du supérieur calédonien. Ils bénéficient de deux accompagnants : un tuteur « technique » et un tuteur « business ». 

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Ces dernières années, encore plus depuis la crise sanitaire, les EdTech apparaissent comme une solution alternative à l’enseignement traditionnel. Utilisez-vous certaines de ces technologies à l’UNC et pourrais-tu nous présenter quelques cas concrets ?

Nous avions déjà lancé des projets sur les usages avant l’apparition de la crise sanitaire ; elle a néanmoins permis d’accélérer les choses : l’adoption de l’outil « Moodle » une “Learning Platform” qui permet de mettre les cours en ligne et de faire des questionnaires à destination des étudiants en est un parfait exemple. 

Gilles Taladoire
Une étudiante affairée au FabLab © NeoTech

D’autre part, nous avons également utilisé « Discord » à l’IUT pour échanger avec les étudiants pendant le confinement et l’avons conservé depuis car cela nous a appris des choses : nous avons accepté un étudiant en situation de handicap en 1ère année de « DUT MMI » qui est bloqué au CHT et qui a donc pu suivre les cours grâce à « Discord ». 

Nous nous sommes également familiarisés avec les outils de visio-conférence tels que Teams ou Zoom par exemple, que ce soit pour donner nos cours, comme pour faire nos réunions. La crise a permis de faire évoluer les mentalités et d’adopter plus rapidement ces solutions technologiques qui favorisent l’enseignement à distance. 

Nous utilisons également « Plickers », un outil numérique ludique où les étudiants peuvent répondre aux questions en levant un carton doté d’une sorte de QR Code ; cet outil nous permet de scanner la classe via le smartphone pour obtenir les résultats aux questions posées. On parle ici d’une « low tech » et, même si on se servira sans doute bientôt du smartphone lui-même pour travailler, « Plickers » est plutôt interactif et fonctionne bien. D’une manière générale, le « tout-distanciel » est difficile à tenir et nos étudiants sont toujours contents de revenir en classe auprès de leurs profs ! 

Mes collègues ont également travaillé sur la création et la gestion d’un diplôme universitaire à distance « Capacité en gestion des entreprises » avec Wallis et Futuna. Ainsi, dans notre studio de tournage, les enseignants se filment et s’enregistrent avec leurs diapos en fond et ces vidéos sont ensuite mises en ligne et diffusées rétrospectivement aux étudiants dans leur salle de cours à Wallis. De la même manière, certaines licences professionnelles se font simultanément sur le site de Koné – Baco – et à l’IUT : le cours est filmé est diffusé en direct sur les deux sites. 

Je souhaitais aborder également notre « FabLab » et son animatrice qui sont à la disposition des étudiants et des chercheurs qui peuvent venir utiliser les technologies mises à disposition : imprimante 3D, brodeuse, imprimante à sublimation, découpeuse « papier – carton », découpage laser… En « MMI », nous travaillons sur la réalité virtuelle et les étudiants conçoivent des œuvres interactives pour des casques VR, et pourquoi pas dans le futur les adapter à des simulations pour l’enseignement. 

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La notion de blended learning mélange la formation en présentiel et à distance. Quels sont les avantages d’un tel concept et en quoi se montre-t-il efficace pour la pédagogie ? Utilisez-vous ce concept à l’Université ? 

Le présentiel et le distanciel sont complémentaires ! A ce sujet, nous avons été lauréats d’un projet « PHARE » sur l’hybridation des formations. Le « tout à distance » reste délicat car la plupart des étudiants suivent un ou deux cours puis abandonnent ensuite… Il n’en reste pas moins vrai que les interactions avec les enseignants, mais aussi avec les autres étudiants, demeurent capitales dans la formation initiale ! 

D’autre part, l’enregistrement des cours en amont permet d’obtenir plus de disponibilité de la part des enseignants puisque la taille des équipes est limitée par des contraintes budgétaires : c’est une manière d’assumer plus de cours et de formations mais également de passer plus de temps dans la recherche. L’hybridation peut donc être une souplesse pour les étudiants mais il leur faut disposer, outre de motivation, d’équipements informatiques et de connexion ; à ce sujet, nous nous sommes aperçus que tous ne l’étaient pas que ce soit au niveau des ordinateurs mais également des logiciels. 

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Question décalée : prenons 20 ans d’avance et rendons-nous dans la classe ou l’amphithéâtre de demain, à quoi ressemblera-t-elle ? 

Difficile à dire ! Pour rebondir sur cette question, je peux repartir 15 ans en arrière : avec le gouvernement, en 2005, nous avions lancé l’opération « micro-portable étudiant » qui consistait à inciter les étudiants à acheter les ordinateurs portables WiFi ; c’est ce qui a permis, entre autres, l’apparition des ordinateurs portables dans les amphi… 

Dans 20 ans, je crois que tout le monde aura son smartphone et on demandera aux étudiants : « sortez votre smartphone », comme on leur dit aujourd’hui, « sortez une feuille ». Peut-être que nous aurons également des tableaux interactifs dans les salles de cours… Je crois qu’on sera toujours dans l’hybridation car les étudiants ne sont pas encore suffisamment autonomes et ont toujours besoin des profs « humains » ! En revanche, l’enseignant que je suis demande juste une chose au futur : éviter les connectiques qui posent toujours des problèmes. Vive le « sans fil » ! 

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* À l’époque où notre échange a eu lieu, Gilles occupait encore cette fonction ; les élections pour son renouvellement ou sa succession n’ont pas encore eu lieu à date.