L’arrivée de BPIfrance en Calédonie, en 2019, a été l’un des éléments favorables au développement de l’entrepreneuriat et, plus globalement, de tout l’écosystème de l’innovation technologique. La « banque des entrepreneurs » a en effet apporté de nombreux financements supplémentaires et complémentaires à destination des startups, mais l’institution oeuvre également aux côtés d' »Initiative NC », de l' »ADIE » ou encore de la « FrenchTech NC » pour promouvoir l’entrepreneuriat à la Calédonienne. Rencontre avec celle à qui l’on doit la création, l’implantation et le développement de BPI France sur la zone Pacifique, Caroline Messin.
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Bonjour Caroline, peux-tu nous présenter BPI France et la « Direction du Pacifique » dont tu es actuellement en charge ?
Bonjour NeoTech ! Bpifrance est une banque publique d’investissement détenue à 50% par la Banque des Territoires et à 50% par l’État ; nous ne sommes donc pas une banque comme les autres. Pour ma part, en septembre 2019, j’ai créé et implanté la « Direction Pacifique » qui est rattachée à la « Direction Régionale de la Réunion », elle-même rattachée à la « Direction des Outre-mer ».
Notre zone d’action comprend bien évidemment la Nouvelle-Calédonie mais également la Polynésie Française et Wallis-et-Futuna.
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BPI France est souvent considérée comme LA banque pour le financement des entrepreneurs et de leur projet. Comment est structuré cet accompagnement et quelles formes prend-il concrètement dans la zone du Pacifique ?
Nous intervenons pour soutenir les entreprises à différentes phases de maturité de leur activité : à la création et au développement ; nous instruisons et mettons en place des financements pour notre propre compte mais intervenons également pour le compte de l’État, comme pour le « Prêt Garanti par l’Etat » (PGE) ou la gestion des subventions accordées aux entreprises dans le cadre du programme « Territoires d’Industrie ».
Par ailleurs, localement, nous ne proposons pas tous les financements qui existent en France et ce, pour deux raisons : la zone Pacifique ne dispose pas de numéro d’identification SIREN mais de RIDET, qui ne sont pas gérés par nos bases informatiques, et la monnaie est également différente.
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Au niveau de la création d’une entreprise, disposez-vous de financements spécifiques ? Comment est organisée votre action autour des jeunes entreprises calédoniennes ?
Concernant la création des entreprises, nous intervenons indirectement en finançant les réseaux d’accompagnement des entreprises ; en Calédonie, par exemple, nous finançons « Initiatives NC » et l’« ADIE », deux organisations qui financent ensuite, à leur tour, les jeunes structures calédoniennes.
Le seul produit accessible directement sur le territoire, c’est le « prêt de développement création Outre-mer », un prêt sans garantie qui va de 1,2 millions de CPF à 12 millions et qui est destiné aux sociétés de moins de trois ans d’existence disposant d’un important potentiel de développement.
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Un fonctionnement intéressant ! En est-il le même pour les entreprises innovantes ?
Côté « innovation », nous avons quasiment toute la gamme des financements Bpifrance qui est mise à disposition des entreprises, à l’exception de la gamme des prêts qui est adossée sur des ressources européennes auxquelles la Nouvelle Calédonie n’est pas éligible.
Nous pouvons néanmoins financer les projets innovants en phase d’amorçage et en phase de faisabilité, ainsi qu’offrir un accompagnement financier en phase de développement. Ces financements peuvent prendre la forme de subventions ou d’avances remboursables. Plus le projet est risqué, plus la subvention sera la forme de financement adaptée.
D’autre part, nous disposons de différentes sources de financement pour l’innovation ; l’une provient d’une convention co-financée par Bpifrance et la province Sud pour deux millions d’euros. Les entreprises doivent être suivie par l’Incubateur de l’ADECAL pour pouvoir accéder à ces financements.
Une autre source provient du PIA 3 – Programme d’Investissement d’Avenir – cofinancé par l’Etat et le gouvernement de Nouvelle Calédonie qui met à disposition des fonds « filière » et « innovation », soit un budget de 1,9 millions d’euros sur trois ans. A ce sujet, deux appels à projet ont été réalisés au cours de l’année dernière : un AAP pour l’ « innovation » de 200 000 euros et un autre « filière » de 400 000 euros. Côté innovation trois projets ont déjà été financés mais, rassurez-vous, un nouvel appel à projet va bientôt être publié !
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Ça nous fait penser à l’appel à projet « Tech4Good » lancé récemment par le gouvernement…
Effectivement, nous avons fait partie de l’AAP « Tech4Good » lancé par le gouvernement en tant que jury : ça m’a fait vraiment plaisir de rencontrer tous ces candidats ! D’ailleurs, certains avaient déjà bénéficié d’un accompagnement de notre part. Plus de cinquante projets ont répondu à cet appel et le jury a souvent eu du mal à les départager, ce qui prouve que ce sont des projets de qualité, non ?
Par ailleurs, dernièrement, un appel à manifestation d’intérêt a été lancé à travers le programme « Territoires d’innovation » ; ainsi, ceux qui n’ont pas pu être financés par « Tech4Good » rentreront peut-être dans les critères de cette seconde option de financement. Nous allons également relancer un appel à projet « innovation » et « filière » dans le cadre du « PIA 3 » ; ce dernier permettra de « boucler la boucle » et d’embarquer et soutenir un maximum d’entreprises.
Bref, on constate clairement qu’il existe une belle structuration de l’offre « innovation » en Nouvelle-Calédonie. J’en profite pour souligner le formidable travail des acteurs de l’écosystème : ce sont eux qui évitent que les projets se cannibalisent et qu’ils bénéficient tous d’une option de financement. Nous entrons dans une vraie logique de collaboration et d’accompagnement et, avec la Station N qui vient d’être inaugurée, nous aurons, en plus, un fameux lieu « totem » pour rassembler tout ce petit monde : on sent que tous les acteurs convergent vers ces projets qui ont vraiment du sens pour le territoire !
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… mais aussi au Pôle Innovation de l’ADECAL et à son Incubateur…
Effectivement, pour tout ce qui est « innovation », nous avons un partenariat « de facto » avec l’Incubateur de l’ADECAL ; je tiens d’ailleurs à souligner l’excellent travail réalisé par Christophe Carbou et son équipe ! C’est pour nous l’acteur majeur sur le terrain pour accompagner les startups calédoniennes.
Rappelons au passage que nous sommes là pour soutenir les entreprises de demain, pas juste pour se faire plaisir et faire de la recherche fondamentale – que nous soutenons également par ailleurs via d’autres budgets. Par exemple, si nous finançons la « Deep tech », c’est avant tout pour faire émerger les entreprises innovantes de demain et créer de la valeur ajoutée : nous sommes un acteur économique, à chacun son utilité !
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Sur quels critères vous basez-vous pour définir un projet innovant et l’accompagner ?
Pour l’innovation, dans un premier temps, nous qualifions ledit projet : est-il innovant et correspond-il à notre définition d’un « projet innovant » ? En outre-mer, la définition de l’innovation est plus souple que celle de la métropole, mais nous avons quand même besoin « d’innovation technologique » au sens d’un investissement en R&D ou de la réalisation d’un prototype « natif », et non simplement de « nouveauté » ou d’un produit sur étagère qui aurait bénéficié de quelques développements connexes.
Il faut aussi que ce projet réponde à un besoin du marché calédonien ; comme le territoire est petit et au regard de la taille du marché intérieur, certains grands acteurs ne se positionnent pas sur certains besoins… mais ce n’est pas pour autant que le besoin n’existe pas ! Pour vulgariser, nous n’allons pas accompagner toutes les nouvelles plateformes de e-commerce qui existent déjà en métropole mais plutôt ceux qui créent de la valeur et apportent réellement quelque chose à notre territoire. A nous de faire de la pédagogie et d’expliquer les choses pour que les entrepreneurs comprennent le cadre de nos financements…
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Quelle est votre relation avec notre jeune FrenchTech NC ?
Et bien, déjà, nous sommes l’un des principaux financeurs de la FTNC et, notamment, de leurs frais de fonctionnement ; dans le cadre de la FTNC, nous finançons également des appels à projet : cette année, il y a eu des appels à projet lancés dans le contexte de la « FrenchTech Rise », avec des investissements en fonds propre dans les sociétés suite à des pitchs des entrepreneurs, aussi bien en Calédonie qu’en Polynésie.
Autre appel à projet, le « French Tech Tremplin » qui était adressé aux entrepreneurs « partout où ils sont », notamment en brousse. Deux projets ont été sélectionnés à travers cet AAP et nous faisions partie des jurys de pré-sélection et de sélection.
D’une manière générale, nous sommes intégrés au cœur de l’écosystème innovation et collaborons avec le GNC, les Provinces, et tous les acteurs qui représentent et soutiennent l’innovation en Calédonie.
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As-tu identifié des projets innovants qui t’ont marqué ?
En toute honnêteté, je me souviens de TOUS les projets que nous avons financés et ce, pour une bonne raison : tous ces projets sont intéressants et ce, quel que soit le stade de leur développement !
Bien sûr, certains projets ont plus de potentiel parce qu’ils sont dans l’air du temps, qu’ils sont basés sur des technologies émergentes ou alors qu’ils répondent à un réel manque du territoire ; à ce propos, je pense notamment aux sujets concernant l’autosuffisance alimentaire, ceux autour de la nourriture pour les animaux d’élevage ou, plus logiquement, à ceux de l’économie maritime, tous ces domaines qui font les spécificités de notre beau territoire. Je suis même sûre que certains d’entre eux se développeront à l’international et rencontreront de beaux succès sur un marché mondial.
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Quelle est ton analyse de la situation de l’entrepreneuriat local : forces et faiblesses ?
A mon sens, l’entrepreneuriat local a un véritable point fort et un point faible ; commençons par le positif : les entrepreneurs calédoniens ne lâchent jamais rien ! On sent que nous vivons sur une terre de pionniers car rien n’est facile ici… Si je devais résumer la Calédonie en un mot, j’opterais d’ailleurs pour le qualificatif « compliqué » ! Il faut être solide pour développer son projet jusqu’au bout : les Calédoniens n’ont peur de rien et se battent pour leurs entreprises alors je leur dis « bravo » !
Le plus gros point faible, c’est le manque de fonds propres des entreprises qui se créent le plus souvent avec un capital minimum de 100 000 CPF. Il y a parfois des comptes courants d’associés pour consolider la structure de la société mais pas toujours ! Il faut que le chef d’entreprise s’engage aussi financièrement dans son projet pour lui donner le maximum de chance de réussite.
C’est pourquoi dans nos dispositifs d’aide à l’innovation nous n’intervenons qu’à hauteur de 50% maximum et qu’on demande à l’entrepreneur d’apporter les autres 50%, c’est la culture du partage du risque.
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Les spécificités du territoire et du marché calédoniens rendent la scalabilité difficile ; quels conseils donneriez-vous à un entrepreneur calédonien pour se développer à l’international et continuer sa croissance ?
Le problème, c’est évidemment l’échelle… Je lui dirais que ça dépend de son projet, du taux de retour sur investissement : il faut répondre aux besoins de 280 000 personnes et pas de 70 millions ! Certains projets ont du sens pour le territoire parce qu’ils sont correctement dimensionnés mais il ne faut pas voir trop grand car la demande pourrait ne pas être suffisante pour couvrir les coûts.
Ensuite, il faut qu’il analyse si son produit ou service peut être facilement exporté à l’international et, peut-être, commencer par regarder « à côté », c’est-à-dire dans la zone Pacifique pour ce qui nous concerne : Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji… ou, déjà, plus simplement, chez notre voisin naturel qu’est la Polynésie Française avec laquelle il n’y a pas de problématique de langue. Cela étant, on peut également attaquer le marché métropolitain mais, si on conçoit une solution ou un produit avec un business model qui nécessite des millions d’utilisateurs, autant faire ses valises et aller directement en métropole…
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Quels chiffres marquants peuvent illustrer votre contribution à l’économie locale et à l’entrepreneuriat ?
Il ne faut pas oublier que nous sommes opérateurs pour le compte de l’État, ce qui nous a énormément mobilisé pendant la crise sanitaire, notamment pendant la crise sanitaire. Dans le cadre du plan de soutien aux entreprises, c’est nous qui avons mis en œuvre le PGE – Prêt Garanti par l’État. Au 4 mai, les banques ont financé près de 253 millions d’euros pour 1809 dossiers présentés ! C’est un soutien important aux entrepreneurs qu’il ne faut pas négliger à l’heure de dresser un bilan.
Par ailleurs, nous avons dans le cadre du plan de soutien contractualisé des aides à la trésorerie avec sept entreprises sous la forme d’avances remboursables ; ce sont celles qui n’ont pas pu être accompagnées par des PGE ou qui avaient des PGE insuffisants pour répondre à leurs besoins.
Autre chiffre, concernant « Territoires d’industrie » cette fois ; dans le cadre du plan de relance, nous avons notifié douze subventions pour un montant total d’1,4 millions d’euros et nous allons en notifier d’autres prochainement sur des beaux projets industriels plein de sens pour le territoire.
On peut également évoquer notre rôle de « banque du climat » et notre accompagnement à travers les « Prêts Verts » : quatre de ces financements ont été distribués pour plus de 500 000 euros au total, principalement autour du photovoltaïque…
… Enfin notre rôle de « banque du tourisme » puisque nous avons financé six dossiers en 2021 pour près de 3,3 millions d’euros aux côtés des banques locales : hôtels, agences de voyage, tour operators (…). Nous travaillons en « cordée » car nous ne sommes rien sans les autres, nous tentons simplement d’amener des outils en plus et, ainsi, une certaine forme de complémentarité.
Au-delà des chiffres, qu’il faut rapporter à l’échelle puisque nous ne sommes que deux collaborateurs locaux, nos différents produits ne répondent pas à tous les besoins des entreprises ; nous sommes sélectifs et certaines entreprises ne peuvent pas répondre à nos exigences mais, néanmoins, il faut bien retenir que les prêts que nous faisons n’auraient pas tous été réalisés par les banques traditionnelles : par exemple, on soutient l’innovation qui est un secteur à haut risque mais à gros potentiel .
En 2021, nous avons commercialisé quatorze prêts de développement Outre-mer pour 2.6 M€. Ce prêt, bonifié par le ministère de l’outre-mer, est notre produit phare avec un taux proche de zéro.
On intervient toujours en partage de financement avec les banques et on ne finance pas plus que les fonds propres de la société.
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Quels messages souhaiterais-tu adresser aux entrepreneurs locaux ?
Encore et toujours, bravo, je vous trouve très « solides » et motivés ! Entre la fermeture du territoire, la COVID et la désertion des touristes, les délais de livraison qui ont largement augmenté, une visibilité politique assez aléatoire, de nombreux obstacles se sont mis sur votre chemin et vous n’avez jamais baissé les bras ! Pas un seul des chefs d’entreprise que j’ai rencontrés n’a « lâché » et cela sans même se plaindre : c’est remarquable, notamment par rapport au Français qui est souvent en train de se plaindre !
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Un dernier mot pour la route ?
Oui, je vais prêcher pour ma paroisse : il faut se donner encore plus les moyens d’accompagner l’innovation ! A mon sens, il manque encore une structure transverse dédiée à l’innovation qui rassemblerait et animerait les différentes organisations et institutions. Cet acteur local donnerait encore plus de sens à l’action commune et permettrait de fédérer tout l’écosystème et de créer des synergies entre les différents projets et leurs porteurs.
Par exemple, nous n’avons aucun intérêt à financer trois projets semblables mais il serait possible de réunir ces projets et leur(s) porteur(s) en un seul pour le rendre encore plus fort, grâce à la complémentarité des expertises des associés par exemple.
« Next step » ? Il faut construire une politique de l’innovation partagée par l’ensemble du territoire et développer les partenariats avec d’autres pays qui peuvent aider la startup à se développer à l’international.
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Plus d’infos sur le site de Bpifrance