Dans le cadre du « Tech4Good by NC », un appel à projet à destination des femmes entrepreneures du Caillou a été lancé par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Trois thématiques étaient à l’honneur : « Women in Tech », « Tech for Women » et « Numérique et Inclusion ». Ainsi, le 1er décembre dernier, six prix ont été décernés à la Station N, en présence de Christopher Gygès, d’Isabelle Champmoreau et de Naïa Wateou (Province Sud). 

Lors d’une première interview, NeoTech vous présentait Patricia Lauzes et Sophie Minet, les lauréates du prix « Tech for Women » pour leur projet “Femmes du Caillou”. Cette fois-ci, nous sommes allés à la rencontre de Solène Protat, lauréate du prix ” Women In Tech 2022Amorçage” qui nous a présenté son projet “RE-PLAY“, une ludothèque “écolo” en ligne. Chers parents, cette solution innovante va combler vos bambins !

Solène Protat vous parle de son projet de ludothèque digitale pour les parents et les enfants du Caillou © NeoTech

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Bonjour Solène et bienvenue sur NeoTech ! Pour commencer, pourrais-tu te présenter en quelques dates clés ? 

Bonjour NeoTech ! Je suis née en 1982 à Lyon et j’ai donc 40 ans. Mon parcours professionnel commence en 2003 : après l’obtention de mon diplôme en diététique et nutrition, je deviens diététicienne ; ensuite, en 2004, j’obtiens mon premier poste au Ministère de la santé à Tahiti. J’y reste plus de 12 ans, avant qu’on me propose, en 2016, de travailler pour la Communauté du Pacifique Sud, au sein de la division “santé publique”, en charge des maladies non transmissibles telles que l’obésité, le diabète ou les troubles cardiovasculaires. Ainsi, je commence par travailler trois ans à Suva, aux Fidji avant d’être re-localisée ici, en Nouvelle-Calédonie, en 2019. Pour finir cette courte présentation, je deviens maman d’un petit garçon en 2021 et c’est alors que j’ai l’idée du projet “RE-PLAY”.

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Tu travailles donc à la Communauté du Pacifique Sud sur des domaines de santé publique, une thématique assez éloignée du projet novateur que tu portes : “RE-PLAY”. Comment as-tu eu cette l’idée ?

Mon projet n’a, en effet, rien à voir avec mon emploi au sein de la Communauté du Pacifique. J’aime ce que je fais à la CPS : il s’agit plutôt d’un projet dont l’idée m’est venue via mon expérience personnelle ; je suis devenue maman et je me suis rendue compte à quel point l’univers du jouet pouvait entraîner des coûts pour les familles et du gaspillage de ressources qui nuit à la planète. 

Pour l’anecdote, c’est une amie qui a eu l’idée… Un jour, en voyant tous les jeux que j’avais chez moi, elle me dit sur le ton de la plaisanterie que je devrais penser à les louer.

Solène et ses bonnes amies…

Chemin faisant, je me suis dit qu’effectivement, c’était insensé d’avoir autant de jouets chez soi ! Même si je les achète d’occasion, dans une démarche la plus éco-responsable possible, il ne faut pas se le cacher, les jouets neufs coûtent chers sur le Caillou ; je souhaitais donc trouver une solution. C’est ainsi que j’ai cherché s’il était possible de louer des jouets sur le territoire. Après quelques recherches, je me suis rendue compte qu’il existait déjà des plateformes digitales de location en métropole mais que ce concept n’existait pas en Calédonie. A partir de là, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire…

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Proposer de la location de jouets, une idée économique ! © RE-PLAY

Quelques mois après, j’ai découvert “l’itinéraire Créa’sud“, le programme d’Initiative NC qui accompagne les salariés qui souhaitent créer une entreprise. N’ayant aucune connaissance de l’entreprenariat et voulant lancer mon projet, cette formation me correspondait en tout point. Au départ, mon projet était beaucoup plus large qu’une ludothèque digitale. En effet, je souhaitais créer un « café-poussette », un endroit où les parents peuvent sortir avec leurs jeunes enfants, sans craindre de déranger les autres à cause du bruit. En effet, les enfants y sont autonomes et les parents peuvent profiter d’un temps pour eux. Seulement, petit à petit, n’ayant pas l’intention de démissionner, il a fallu que je me concentre sur un concept moins chronophage. 

Ainsi, j’ai intégré le parcours Initiative NC afin de développer mon projet de ludothèque. Grâce à cette formation, j’ai appris ce qu’était un business plan, comment faire un pitch, quelle posture avoir en tant que chef d’entreprise… De plus, les formations sur le développement personnel me servent aujourd’hui au quotidien, notamment dans la gestion des relations. A la fin de ce stage de formation, que je continue de suivre en ce moment, je compte présenter mon projet au Pôle Innovation de l’ADECAL car je souhaite continuer cet accompagnement à l’entreprenariat. Les structures de formation existent, peu de gens le savent et peu de gens les utilisent. Il faut pourtant saisir ces opportunités car elles sont gratuites et complètes. 

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Une inspiration et un accompagnement t’ont donc mené à “RE-PLAY”. Peux-tu nous présenter ton projet d’entrepreneuriat ? 

“RE-PLAY” est un projet de ludothèque digitale qui fonctionne comme une bibliothèque… mais en ligne. Mon site propose de la location de jouets via un abonnement mensuel. Les familles peuvent choisir des jouets tous les mois grâce à un catalogue digital. Techniquement, après avoir choisi un forfait, les jouets arrivent dans le “point relais” le plus proche et les enfants en profitent pendant 30 jours. Au bout d’un mois, il faut ramener les jouets et, c’est à ce moment-là que les familles récupèrent la commande du mois suivant. Dans cet échange, l’aspect sanitaire revêt une grande importance : entre chaque location, les jouets subissent un nettoyage méticuleux qui suit les protocoles mis en place par la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales (DASS) dans les crèches. Ainsi, les jeux resservent jusqu’à ce qu’ils ne soient plus en état ou qu’ils soient trop usés pour pouvoir être utilisés.

Sur la plateforme “RE-PLAY“, les jouets proposés sont à destination des enfant âgés de six mois jusqu’à huit ans et sont tous éco-responsables.

Solène et l’économie circulaire
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Des jouets éco-responsables pour les six mois à huit ans © RE-PLAY

En effet, ils sont en bois, en carton ou en matières recyclées. De plus, les fournisseurs sont sélectionnés pour leur engagement en faveur de la préservation de l’environnement et le développement durable.

Ce projet présente des avantages et ce, à différents niveaux. D’un point de vue économique, les parents n’ont plus à acheter des jouets neufs et ça évite également une accumulation d’objets à la maison. Deuxièmement, les enfants ont accès à des jouets adaptés à leur développement psychomoteur et, le fait d’en avoir de nouveaux tous les mois, évite une lassitude ou un désintérêt de leur part. Enfin, troisièmement, au niveau écologique, la location évite un maximum de déchets et une utilisation excessive des ressources naturelles. 

Vous l’aurez compris, “RE-PLAY” a pour ambition de contribuer au développement de l’économie circulaire en Nouvelle-Calédonie et d’encourager la consommation responsable dans le secteur du jouet : il n’est pas nécessaire de posséder un jouet pour en avoir l’usage !

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Quelles sont les outils numériques que tu utilises dans le cadre de ta ludothèque en ligne ? Pourquoi est-ce novateur pour la Nouvelle-Calédonie ? 

Le site web se trouve être l’outil numérique au cœur de mon projet. Tout se passera en ligne : abonnements, choix des jouets et paiements via Epaync. Pour sa création, je fais appel à une agence de communication qui a l’habitude de développer des sites marchands. Rien de bien nouveau jusque-là, le côté innovant réside plus dans le concept de location proposé par “RE-PLAY” qui n’existe actuellement pas sur le territoire. Le site devrait être mis en ligne d’ici 2 à 3 mois, le temps de créer la charte graphique, la structure du site et l’intégration des jeux. 

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On nous dit dans l’oreillette que tu es lauréate d’un prix « amorçage » Women In Tech 2022 ? Qu’est-ce que cela signifie pour ton projet ? 

Cela signifie que d’autres personnes que moi croient en mon idée et que le Gouvernement reconnaît mon projet et ses valeurs. Ces deux éléments me motivent et me permettent d’avancer. Grâce au prix « amorçage », j’ai obtenu plusieurs lots ; le premier d’entre eux, un financement de 2 millions de FCFP : cette subvention va me permettre de financer le développement du site web ce qui représente un coup de pouce très utile au démarrage ! D’autre part, je vais bénéficier d’un coaching avec la CCI qui va débuter très prochainement. Dernier avantage, la couverture médiatique a déjà débuté avec, notamment, la mise en ligne d’une première vidéo qui vient d’être publiée par le GNC.

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Les “tech-women” sont présentes sur le Caillou ! © Tech4Good by NC

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Proposer des jeux « physiques » est-il une façon de compenser la surexposition des enfants à l’utilisation des outils numériques ? Quel est ton avis sur la question ? 

Tout d’abord, il faut considérer le fait que les enfants ne doivent pas être exposés aux écrans avant trois ans : il s’agit des recommandations de santé publique à l’échelle internationale. Ainsi, leur proposer régulièrement des jouets va permettre de les tenir éloignés des écrans pendant cette période et permettra en plus de favoriser les apprentissages. Le fait d’avoir de nouveaux jeux tous les mois incite les enfants à s’occuper différemment et les éloignent pour un temps des supports numériques.

En revanche, les parents doivent aussi s’impliquer en jouant régulièrement avec leurs enfants. Cependant, soyons honnêtes, les équipements numériques font partie de notre vie donc, à mon sens, il ne sert à rien de les diaboliser ! Au contraire, il faut plutôt les utiliser à bon escient et de façon responsable : avec des temps courts, limités autour de contenus pédagogiques. Dans le projet “RE-PLAY”, il n’y a aucun jeu à visée numérique, ce ne sont que des jouets éco-responsables. 

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Des jeux pédagogiques pour s’amuser et favoriser les apprentissages © RE-PLAY

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Ton projet intègre un aspect d’éco-responsabilité. Pourtant, le numérique fait partie des causes de pollution mondiale. Comment concilier sobriété et numérique ? 

Encore une fois, je ne pense pas que l’on puisse tout à coup décider de se passer du numérique, preuve en est avec mon site web. En revanche, il est de notre responsabilité de l’utiliser à des fins utiles et de la manière la moins néfaste possible pour la planète et pour notre société. Dans cette optique, proposer un projet d’économie circulaire basée sur le numérique ne me semble pas incohérent. J’ai également fait le choix de ne pas acheter de matériel informatique neuf pour lancer “RE-PLAY”, l’occasion et le reconditionné auront toujours ma préférence !

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Women in Tech est un mouvement international qui valorise les femmes dans l’univers de la tech. Quel est ta vision du rôle des femmes dans l’écosystème tech calédonien ? As-tu des conseils à donner aux femmes qui souhaiteraient entreprendre ? 

Je suis toute nouvelle dans le secteur de l’entreprenariat et, encore plus dans celui de la tech, donc je me garderais bien de donner mon avis sur ce sujet : ce ne serait pas très pertinent. Cependant, je pense qu’il reste encore beaucoup à faire en termes d’innovation et de technologie. Je trouve qu’encourager les femmes dans ce domaine est important ; ainsi, j’apprécie la démarche du gouvernement. En effet, ce n’est pas un domaine de prédilection pour les femmes, il faut donc pousser la jeune génération afin d’essayer de faire bouger les lignes et de casser les codes. 

Par ailleurs, mon conseil à destination des femmes – et des hommes d’ailleurs ! – qui souhaitent se lancer dans l’entreprenariat serait de ne pas hésiter à se faire accompagner. Il y a beaucoup de structures en Calédonie qui proposent de l’aide et des formations (CCI, CMAInitiative NC, Les Provinces, l’ADIEl’ADECAL, etc.) ; ne soyez pas timides, allez frapper aux portes avant de vous lancer pour parler de votre projet et obtenir de précieux conseils.

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Femme, épouse, mère, salariée, entrepreneur… Comment concilier ces différents aspects ? 

Je le concède, ce n’est pas simple ! Avant tout, il faut être soutenue au quotidien : c’est mon cas grâce à mon mari. Ensuite, concernant mon statut de salariée, j’aime travailler à la CPS et je ne souhaite pas que que mon projet entrepreneurial vienne perturber cette activité professionnelle quotidienne que j’apprécie : je ne souhaite démissionner en aucun cas ! Il me faut donc trouver un équilibre… C’est pourquoi, à plus ou moins long terme, je souhaiterais embaucher une personne afin de me libérer du temps ; de cette manière, je pourrais intervenir sur le projet en tant que fondatrice mais laisser la gestion quotidienne de l’entreprise à quelqu’un d’autre.

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Tu souhaites donc lancer le projet, le faire fonctionner puis déléguer. As-tu déjà fait un plan de financement pour savoir quel est ton point d’équilibre et où se situe ton degré de rentabilité ?

Oui, un “BP” qui contient douze pages de tableur Excel ! C’est le point fort d’Initiative NC… En effet, ils fournissent un tableau Excel qui contient tous les onglets d’un business plan. Ainsi, on se rend rapidement compte des possibilités et, surtout, des impossibilités. Le document permet de faire de nombreuses simulations.

D’ailleurs, pour être à l’équilibre en ce qui concerne “RE-PLAY”, je dois atteindre 100 clients. A 120 clients, je commence à être légèrement rentable.

Solène, pour tout l’amour du ROI !

Il faut bien comprendre, même si ça peut paraître étrange, que gagner de l’argent n’est pas mon premier objectif ! Cependant, en travaillant à la CPS, je ne cotise pas pour ma retraite. Je dois donc économiser pour anticiper cette future période de ma vie. C’est aussi l’un des moteurs de ce projet… à condition que, comme je le disais précédemment, ce dernier soit compatible avec ma vie de tous les jours, c’est-à-dire un emploi à plein temps et un enfant de dix-huit mois qui ne fait pas ses nuits…

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As-tu d’autres remarques ou une actualité te concernant à partager avec nos lecteurs ? 

Je travaille actuellement au développement du site web et au choix des jouets qui seront proposés aux familles calédoniennes. Auparavant, j’’étais concentrée sur la partie “Financements” et recherche de fonds ce qui m’emballait moins, il faut bien l’avouer… Aujourd’hui, je suis dans la partie excitante, plus concrète du projet alors, restez connectés pour ne pas manquer le lancement de “RE-PLAY” dans quelques mois !

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