C’est dans un bureau lumineux, au 3ème étage des locaux de la Chambre de Commerce et d’Industrie, que nous rencontrons David Leclerc, Directeur de l’EGC et du CFA, et Céline Cardinaud, responsable ingénierie et formation pour la formation professionnelle de la CCI ; au coeur de nos échanges, la digitalisation du secteur de la formation calédonienne.

Formation initiale, formation diplomante, formation continue, formation professionnelle… étaient bien évidemment au coeur de nos échanges. Le moins qu’on puisse dire, c’est la CCI s’est mise en ordre de marche depuis quelques années sur ce sujet et que les résultats ne se sont pas faits attendre…

David Leclerc “himself” se présente à vous, chers lecteurs ! © NeoTech

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Bonjour à tous les deux et bienvenus sur NeoTech ; pour commencer notre échange, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ? 

Céline Cardinaud : Bonjour ! Je m’appelle Céline Cardinaud et suis la responsable ingénierie et formation pour la formation professionnelle continue de la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) Nouvelle-Calédonie. 

David Leclerc : Bonjour NeoTech, David Leclerc, Directeur des écoles de la CCI : le centre de formation des alternants (CFA) et de l’École de Gestion et de Commerce (EGC).  

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CCI, CFA, EGC… On s’y perdrait presque dans toutes ces structures de formation ! Pouvez-vous nous présenter chacune d’entre elles et nous résumer leur offre de formations ? 

D.L. : Le fil directeur, c’est bien sûr la CCI qui a pour missions principales d’accompagner les entreprises dans toutes les étapes de leur création jusqu’à leur cession et de former les salariés à travers la formation continue, adressée aux professionnels mais également de former les étudiants, à travers la formation dite « initiale ou diplômante » par l’intermédiaire des écoles que je viens d’évoquer. 

Parmi ces deux écoles, le CFA propose des formations de Bac jusqu’à Bac + 3 dans des domaines aussi variés que le commerce, les services, la logistique, le numérique… En parallèle, l’EGC propose une formation « Bachelor », en trois ans, qui est plutôt d’ordre « généraliste » : finances, comptabilité, gestion, commercial et communication. L’objectif, c’est de former les futurs managers et de leur apporter des compétences transverses. 

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Le CFA et ses étudiants vous passent le bonjour ! © CFA CCI

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L’EGC est une école de gestion et de commerce formatée sur le modèle « bachelor » – équivalent BAC+3 – et on sait que notre territoire manque cruellement de talents « numériques » locaux. Quelle est votre stratégie pour former ces talents et vers quels métiers orientez-vous vos étudiants ? 

D.L. : Nous avons choisi de proposer des formations volontairement assez « larges » ; notre enjeu, à l’EGC, c’est de pouvoir accompagner les étudiants dans leur projet tout en étant ancrés territorialement, c’est-à-dire d’être en lien avec les besoins identifiés du territoire. 

Concernant la partie « numérique » à proprement parler, nous n’avons pas de formations spécifiques dédiées ; néanmoins, le marketing digital fait par exemple partie intégrante de notre programme. Et, depuis deux ans, nous proposons un module de formation complémentaire dédié à l’intelligence artificielle en collaboration avec des entreprises qui souhaitent développer des projets liés à ces technologies. L’objectif, c’est de sensibiliser nos étudiants au monde de l’entreprise dans laquelle ils seront, plus tard, confrontés à cette thématique.

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Les étudiants “pitchent” leur projet iA devant les entreprises partenaires © NeoTech

Par ailleurs, depuis maintenant cinq ans, nous proposons à nos étudiants un « startup challenge », un « module événement », lors duquel ils se plongent dans la phase de création d’une startup ; l’objectif central, c’est de les inciter à réfléchir au concept de « création de valeur » et de le faire maturer dans un esprit d’entrepreneuriat. Ils sont ainsi immergés pendant quelques jours pendant lesquels ils doivent concevoir et présenter leur projet, le développer grâce à l’aide de coachs, avant de le « pitcher » devant un jury d’experts – Pôle Innovation de l’ADECAL, partenaires financiers… Ce concours s’adresse à l’ensemble de nos étudiants qui sont également mélangés entre promos : l’un des enjeux pédagogiques est ainsi d’intégrer une notion de tutorats par des étudiants de 3ème année auprès des 1ères années. 

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Revenons donc sur ce module « iA »… Nous avons récemment participé à cette session de pitchs des étudiants de l’EGC autour de projets sur l’« iA » en partenariat avec « EEC – Engie » et le « groupe Ballande ». Quelles conclusions tirez-vous de cette expérience « professionnalisante » et « tech » ? Pourquoi est-il important d’impliquer le tissu économique dans ces formations ? 

D.L. : Pour nous, il existe un véritable enjeu de sensibilisation à ce type de pratiques et de technologies ; on peut certes parler de l’iA mais nous avons aussi d’autres projets en tête autour de thématiques liées à l’économie numérique… L’objectif n’est pas d’en faire des spécialistes de la « tech » mais que les étudiants aient la capacité de travailler et de collaborer avec des spécialistes : de parler un langage similaire en connaissance de cause. 

Pour les entreprises partenaires, c’est l’occasion de démarrer ou de poursuivre une approche dans ces domaines ; le fait de bénéficier de l’apport d’étudiants est une belle opportunité pour ces dernières car elles peuvent bénéficier du travail des étudiants et ces derniers s’imprègnent, en retour, du fonctionnement spécifique de ces entreprises. 

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Côté CFA, on se tourne vers la formation en alternance. A quels métiers du numérique formez-vous les étudiants et à qui s’adresse ce type de formations ? 

D.L. : La formation par alternance s’adresse à tout le monde à partir de 16 ans, sans limite d’âge, ni de diplômes ou de compétences… Quelqu’un qui veut poursuivre ses études peut le faire au CFA, un professionnel qui souhaite les reprendre est le bienvenu également et on accueille même quelques salariés qui suivent la formation comme des alternants « normaux » au sein même de leur entreprise. 

Si l’on se penche plus précisément sur le numérique, aujourd’hui, nous proposons une formation « Technicien assistance informatique » de niveau Bac et une autre de “Développeur web” de niveau Bac + 2. Et c’est déjà la troisième promotion pour les « techniciens » et la quatrième pour les développeurs web, sans oublier que notre taux d’insertion en entreprise à la fin de ces parcours est de plus de 90% ! 

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Une remise des diplômes à un promo qui rejoindra rapidement une entreprise © EGC CCI

Par ailleurs, ces deux programmes ont été créés sur la base des besoins des entreprises locales ; c’est ainsi que nous « ouvrons » nos formations, sur un schéma conjoncturel en adéquation avec nos échanges avec les professionnels de la place. Ces formations ont ainsi été conçues en partenariat avec OPEN NC et financées, en partie par le gouvernement, mais également par les entreprises, à travers la taxe affectée, mais aussi par l’intermédiaire de la rémunération des alternants qui sont de vrais salariés, contributeurs à part entière de l’évolution des entreprises d’accueil

Au-delà de cet aspect local, ces formations ont vu le jour grâce à un partenariat avec Simplonun réseau « d’écoles numériques », appelées des « fabriques », qui forment au numérique de manière inclusive et qui sont disponibles à travers le monde. Notre ambition est de nous adresser à tous les Calédoniens. Cette année, nous avons ainsi été labelisés « Grande École du Numérique » pour la seconde fois, pour une durée de trois ans. Ça témoigne de nos qualités pédagogiques, de la réponse territoriale aux besoins et du système synergique nécessaire à la pérennisation de ces parcours de formations.  

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Se former aux métiers du numérique, un enjeu économique pour la Calédonie © CCI

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Avez-vous l’ambition de créer une nouvelle formation numérique au cours des prochaines années ? 

D.L. : Oui, nous allons ouvrir une formation de « Technicien Supérieur Systèmes et Réseaux » au troisième trimestre 2023 : nous savons qu’il existe un besoin dans ce secteur ; nous sommes conscients que ce besoin se trouve à Bac + 5, voire plus, mais, pour atteindre ce niveau-là, il faut tout de même former les étudiants aux premiers niveaux qui manquent cruellement sur le territoire. Derrière ce projet, lorsque les étudiants sont titulaires de la certification : l’objectif est de les accompagner sur des certifications complémentaires en cybersécurité avec Simplon. 

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L’alternance est un modèle de formation professionnalisante en entreprises. Quelles sont vos entreprises partenaires et quels sont les formats d’alternance ? 

D.L. : Pour commencer, environ 50% des alternants sont embauchés par leur entreprise à la fin de leur cursus alors que les autres 50% trouvent un emploi dans un autre organisme. Nous travaillons en lien étroit avec les entreprises et, plus particulièrement avec les différents clusters qui synthétisent les besoins des écosystèmes. Ils sont également vecteurs de tendances et nous travaillons donc depuis plus de dix ans en partenariat avec les clusters, les représentations professionnelles… Nous ne sommes pas des spécialistes « métier » et nous avons donc besoin de ces collaborations. 

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On parle désormais de « e-learning », de « blended learning » et d’autres formats hybrides de formation ; quels types de formations digitalisées avez-vous mises en place dans vos écoles ? Et pour quels résultats ?

D.L. : Depuis 2006, nous avions engagé les écoles dans un schéma « Google Education » : chacun a son adresse mail, son drive etc. Nous sommes bien contents d’avoir posé cette première pierre car nous sommes récemment passé à l’environnement Office 365, plus en adéquation avec nos problématiques éducatives. 

En 2017, nous avons donc basculé sur cette solution pour déployer Teams ainsi que sur les solutions « Office Education » ; première étape, former les formateurs à ces nouveaux outils avant, en 2018, d’instaurer une semaine en distanciel qui s’est finalement transformée en… plusieurs confinements ! Ce « full distanciel » fut un véritable challenge : nous avons formé les formateurs, bien motivés, aux usages de Teams. Le retour d’expérience des étudiants été réellement favorable même si, sur le long terme, on a pu sentir une forme d’essoufflement… Une super expérience qui nous a tous rodé et nous a permis de développer nombre de pratiques. 

Aujourd’hui, nous sommes revenus au présentiel mais l’adoption des outils et de cette pédagogie distancielle irrigue désormais notre fonctionnement et nous a permis de débloquer des situations : documents partagés, messageries directes… sans compter sur l’utilisation d’outils comme Klaxoon et Kahoot qui viennent enrichir les cours et diversifier nos approches pédagogiques. De plus, cette période a favorisé la pédagogie inversée, c’est-à-dire l’auto-formation des étudiants au préalable et le partage d’informations plutôt que l’ancien schéma très vertical. 

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Et côté formation professionnelle continue, où en est la digitalisation de votre offre ? 

C.C. : Côté « formation continue » des salariés d’entreprises, à la CCI, nos apprenants suivent nos programmes sur une durée comprise entre un et quatre jours, jusqu’aux plus longues de six mois ; néanmoins, la moyenne d’une session de formation est de deux jours. 

Il faut bien comprendre que nous avons par ailleurs des enjeux de digitalisation des formations afin de toucher tous les territoires, même ceux, plus isolés, des îles, de la côte ouest ou du nord. Par ailleurs, le temps des salariés en entreprise est compté et les décideurs n’ont pas toujours envie de les « lâcher » pendant quelques jours… On réfléchit donc à comment optimiser le temps en « présentiel » pendant nos cours en s’appuyant sur la digitalisation de la formation. Sur ce sujet, on procède par tentatives, en mode « test and learn » comme lorsque, récemment, nous avons acquis une plateforme LMS de management des contenus pédagogiques – Learning Management System – que nous introduisons progressivement. 

Pendant les confinements, nous nous sommes efforcés de maintenir du lien et d’user au mieux du temps des salariés pour leur offrir des formations adaptées ; dans cette optique, l’animation des cours est différente et les formateurs doivent donc être formés à ces nouveaux usages et outils pédagogiques. A ce propos, le FIAF nous a accompagné et, pas loin d’une quarantaine de formateurs numériques ont été ainsi formés à dispenser des cours 100% virtuels, mais également à concevoir des programmes en « blended learning ». On constate pourtant une méfiance des salariés pour le distanciel qui préfèrent, à date, le format présentiel ; peut-être le temps pour eux de s’habituer aux outils numériques… 

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Le “blended learning”un format hybride entre présentiel et distanciel © Culture RH

Nous avons également investi par mal de temps et d’énergie sur une formation « augmentée » par un casque de réalité virtuelle autour de la prise de parole en public ; les stagiaires étaient ainsi immergés dans un auditorium ou dans une salle de réunion parisienne et cela leur permettait de se « mettre réellement en situation ». L’enjeu est d’augmenter l’expérience des apprenants

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Plus globalement, quelle est votre vision de la transformation numérique du secteur de la formation sur le territoire ? 

D.L. : Je pense que la tendance est à l’expérience augmentée de l’apprenant ; ça se fait d’ailleurs dès les plus petites classes – TBI, cartables numériques…- mais tout ça n’est pas encore généralisé : on n’est donc pas encore dans l’égalité des chances et dans l’inclusion numérique et c’est un vrai sujet en Calédonie ! C’est un sacré enjeu parce que « numériser la formation », c’est se demander comment on forme les professionnels de demain et comment on les accompagne dans leur vie future où le numérique sera omniprésent. 

C.C. : Le numérique va s’intégrer dans le secteur de la formation d’une manière exponentielle ; si l’on prend l’exemple du smartphone qui se trouve dans les poches de 99% des jeunes calédoniens, c’est à travers son utilisation que doit se poser la question de la formation et, plus globalement, de l’éducation. Depuis que nous disposons de toutes les connaissances à portée de main, les formateurs doivent adapter leur pédagogie et s’approprier les technologies pour en faire des outils de « connaissance » maîtrisés. Le numérique fait désormais le lien entre vie professionnelle, éducation et vie privée… 

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