Collaboration avec le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie sur le statut “Jeunes Entreprises Innovantes”, travail sur la fiscalité autour de l’innovation et de l’entrepreneuriat, pré-incubation, incubation et accélération de start-up : le Pôle Innovation de l’ADECAL Technolopole est l’un des principaux acteurs de l’entrepreneuriat et de l’accompagnement des projets innovants sur le Caillou. NeoTech a rencontré son directeur, Christophe Carbou, pour échanger sur la situation de l’innovation en Calédonie.

Logo de l'Incubateur du pôle Innovation ADECAL

NeoTech : M. Carbou, en tant que Directeur du Pôle Innovation de l’ADECAL Technopole, pourriez-vous partager votre vision de la situation numérique actuelle de la Nouvelle-Calédonie ? 

C. Carbou : Nous vivons sur un territoire qui dispose d’un lot de compétences avérées malgré un léger retard en ce qui concerne les offres de services au public, notamment sur l’offre dématérialisée sur internet. En revanche, en termes de services B2B délivrés aux professionnels, nous disposons de nombreux acteurs compétents qui possèdent un réel savoir-faire. 

Au niveau des grands groupes publics ou parapublics, les Directions des Systèmes d’Information (DSI) sont encore sur des principes de forte internalisation de fonctions support et développement, à la différence de celles des territoires européens où ces structures ont tendance à se recentrer sur leur coeur de métier et collaborent avec des prestataires spécialisés.

Cette internalisation offre en contrepartie certains avantages : ces développements intégrés sont de belles factures et mériteraient parfois d’être remis sur le marché et présentés en dehors de leur usage d’origine. La géomatique, et en particulier le portail “georep.nc” et ses briques technologiques parfois “dormantes” en sont la parfaite illustration.

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Qu’est-ce que l’ADECAL et quelle est la raison d’être de cet organisme ?

L’ADECAL ou « Agence du Développement En Nouvelle-Calédonie » est une association de 80 salariés qui comprend différents pôles thématiques différenciés : le pôle terrestre, le pôle marin et le pôle agroalimentaire.

Ces pôles représentent à eux trois 90% des métiers de l’ADECAL et sont orientés vers la recherche et développement autour des exploitations agricoles et aquacole : pisciculture, aquaculture, cultures céréalières, cultures de tubercules tropicaux… Et enfin, le pôle innovation que je dirige et qui est tourné vers les métiers de l’accompagnement et l’ingénierie de l’innovation.

"Le Deck", espace réservé aux porteurs de projet du pôle Innovation ©ADECAL
“Le Deck”, espace réservé aux porteurs de projet du pôle Innovation ©ADECAL

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Pourriez-vous nous présenter ce fameux “Pôle Innovation” ?

En 2014, j’ai été recruté pour développer un nouvel axe d’activité centré sur l’accompagnement à l’innovation, l’aide aux porteurs de projets et à la création d’entreprises innovantes : c’est la naissance du Pôle Innovation. Nous sommes aujourd’hui cinq salariés à temps plein, majoritairement des chargés d’affaires « couteaux-suisses » qui gèrent le portefeuille des jeunes pousses accompagnées et animent des formations et autres workshops. 

Notre cœur de métier repose sur l’incubation et l’accélération de start-up mais nous faisons aussi du conseil auprès des institutions calédoniennes. Nous avons aujourd’hui 25 projets en cours d’accompagnement grâce à nos chargés d’affaires qui bénéficient eux-mêmes de formations en Ingénierie de l’Innovation à travers le réseau RETIS. Nous disposons également d’une expertise solide en « propriété industrielle » – brevets, propriété immatérielle etc. – qui nous permet, entre autres, d’accompagner de manière efficace le secteur des biotechnologies.

Photo équipe pôle Innovation ADECAL
Les “couteaux suisses” chargés d’affaires et M. le Directeur

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Comment est construit ce pôle et quelle sont ses principales missions ?

A la naissance, nous avons créé un incubateur qui permettait d’accompagner à 360 degrés des porteurs de projet partant en général d’une idée de création d’entreprise innovante. Notre but était de structurer le projet et l’équipe, la proposition de valeur, organiser l’accès au marché, bref, les activités « classiques » liées à l’incubation.  

Nous nous sommes rendus compte rapidement qu’il existait également un besoin d’accompagner des « entrepreneurs de la place » possédant déjà une entreprise mais souhaitant développer d’autres projets innovants afin de diversifier leur portefeuille produit et accéder à de nouveaux marchés ; c’est ainsi qu’est né l’accélérateur, destiné à une population d’entrepreneurs locaux, afin de les aider à accéder plus rapidement et efficacement au marché par rapport à une proposition de valeur complémentaire à celle de leur cœur de métier. Les exemples du groupe CIPAC ou de Skazy illustrent ce dispositif d’accompagnement. Ces deux parcours d’accompagnement peuvent évidemment être cumulés et le sont d’ailleurs dans 80% des cas. 

Après sept ans d’expérience, nous avons identifié deux typologies de porteurs de projet pour qui incubateur et accélérateur ne correspondaient pas : les « inventeurs » qui ont une idée mais qui ne souhaitent pas les porter dans un projet entrepreneurial. Dans ces cas, nous proposons de structurer une équipe opérationnelle pour porter le projet et accompagner les « chercheurs » qui souhaitent créer une start-up à la sortie de leurs recherches. C’est l’objet de notre troisième service d’accompagnement, « Transfert », qui a été créé en 2020. Il correspond donc à l’étape de « pré-incubation », celle où l’on valide la posture entrepreneuriale, où l’on met au carré tout ce qui concerne la propriété intellectuelle, clarifie les partenariats en amont etc… 

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Quelles sont les contraintes liées à la particularité territoriale et culturelle de la Nouvelle-Calédonie ? 

En 2014, l’écosystème local n’était pas du tout structuré : pas de possibilités de financements privés, pas de fiscalité dédiée à l’innovation, pas beaucoup d’aides, pas de BPI… On a donc eu un peu de casse avec les premiers projets et nous avons effectué un réel travail de sensibilisation autour de la définition du terme « innovation ». Par exemple, importer en Nouvelle-Calédonie un système qui existe ailleurs, sans surplus de créativité et de risques, n’est pas de l’innovation mais de la « nouveauté ». 

Cette étape nous permet désormais de caractériser les différents types d’innovations identifiées sur le territoire : depuis l'”innovation de rupture“, issue principalement des travaux de la recherche, jusqu’a l’innovation plus frugale, “adjacente“, caractérisée par une déclinaison, sur notre territoire insulaire, de solutions existantes par ailleurs mais qui nécessitent cependant une redéfinition des contours et, souvent, un surplus de créativité dans le modèle économique. 

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Quels types de projets innovants accompagnez-vous depuis vos débuts à aujourd’hui ? 

Par la petite taille de notre territoire, on présente les caractéristiques d’un incubateur généraliste et nécessairement opportuniste dans le choix des projets accompagnés ; nous sommes ouverts à tous les secteurs d’activité car nous sommes partis d’un constat lié aux spécificités du territoire : la biodiversité y est vaste, la recherche appliquée est très développée mais, en 2014, très peu d’acteurs aboutissaient à la création de valeur par l’émergence de start-up. C’est également la raison de notre localisation à l’IRD

Au cours des sept dernières années, nous avons accompagné 62 projets qui sont tous passés devant un comité de sélection ; 

  • 40% d’entre eux concernent le numérique – “pure players” ou offres de services par le numérique.
  • 25% dans la “GreenTech”, “CleanTech” et économie circulaire respectueuse de l’environnement – dominance de l’effet Tech4Good
  • 15% sont orientés “BioTech”
  • 20% concernent les “Sciences de l’Ingénieur”

Seulement quinze projets ont été « abandonnés » pendant le processus d’accompagnement. Notre volonté n’est pas de suivre des projets en gestation longue ou sous perfusion économique, mais plutôt d’envisager avec le porteur du projet un arrêt de ce dernier quand cela paraît préférable. Ainsi nous organisons « une fin de projet » qui n’est pas un réel échec, même s’il est souvent considéré comme tel par les entrepreneurs déçus, mais plutôt une excellente expérience qui ouvre d’autres portes. 

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Quels sont critères à respecter et les étapes à franchir pour faire partie de votre vivier de startups ? 

En premier lieu, nous avons une phase d’instruction qui va servir à mettre au vert des critères de manière objective ; parmi ces critères, on valide d’abord qu’il s’agit bien d’une « innovation », c’est-à-dire que le projet contient une part de créativité et une prise de risques. On se penche également sur la propriété intellectuelle et la liberté d’exploitation – techniquement, un projet développé par un salarié dans un cadre professionnel appartient à son employeur ! Nous veillons à ce cade juridique.

Nous analysons aussi la légitimité, la disponibilité et les capacités d’autofinancement du porteur de projet et, bien évidemment, nous portons une attention toute particulière à la complétude de l’équipe 95% des échecs que nous observons sont liés à l’expression souvent tardive de divergences latentes de points de vue dans l’équipe projet.

En revanche, la sélection finale se fait par l’intermédiaire d’un jury indépendant à qui les entrepreneurs présentent un dossier et « pitchent » leur projet pendant vingt minutes. Le jury délibère ensuite en mesurant l’impact du projet sur le développement économique du territoire car cet accompagnement d’un à deux ans se fait sur fonds publics.

Ensuite, il existe un suivi coordonné dans le temps : au bout d’un an, le jury évalue le projet avec l’entrepreneur et, après une période de deux ans, un bilan est fait en « sortie ». Ce bilan de sortie permet d’évaluer à la fois le porteur de projet et sa progression mais également l’accompagnement dispensé par l’incubateur : c’est un fonctionnement en autocontrôle

Ce jury est composé d’une quinzaine de personnes : un représentant de l’État, un du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, des trois provinces (par leur service de développement économique), des trois SEM (Société d’Économie Mixte) du territoire, des acteurs de l’accompagnement tels qu’Initiative NC, un représentant de la recherche, les trois chambres consulaires (CCICMACANC)… La présidence est réservée à un acteur prédominant économiquement sur le territoire ; depuis deux ans, c’est Philippe Gervolino, Directeur Général de l’OPT  qui est Président du jury : c’est au président qu’il revient d’organiser les débats et les conclure.

L'équipe et les porteurs de projet du pôle innovation ©ADECAL
Photo de famille ! ©ADECAL

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Pourriez-vous nous parler de vos plus belles réussites mais aussi des projets qui n’ont pas abouti ? 

Côté “GreenTech” et économie circulaire, l’entreprise “AEDES System” est le deuxième projet que nous avons accompagné et ce, dès 2014. Leur produit “Aglostic”, composé en partie de résidus de pneumatiques, se positionnent directement dans les gouttières ou regards de voirie et permettent d’éviter la présence de moustiques en neutralisant leurs nids. Nous leur avons associé le monde de la recherche à travers l’Institut Pasteur notamment qui a effectué une étude démontrant que le produit était efficace à 95%. Le produit est désormais breveté à l’échelle internationale. Le groupe Michelin s’est intéressé au projet et a proposé à AEDES d’équiper toutes les écoles autour de leurs usines en Thaïlande. Aujourd’hui, ils disposent d’une unité de production en métropole et, sur le principe de concession de licences, un peu comme des franchises, ils diffusent cette innovation sur le territoire français.

L’entreprise « Agri Logic Systèmes » est une société calédonienne, premier pourvoyeur de serres agricoles sur le territoire. Ils ont développés et breveté “Goponic“, un dispositif entièrement modulable qui permet de faire tout types de mise en culture hors sol (NFT, aéroponie, culture verticale…) et qui a connu un succès immédiat. Ils ont d’ailleurs été l’un des lauréats de l’appel à projet parisien « Les Parisculteurs » et ont équipé la toiture du Parc des Expositions de Versailles ! 

Ecopavement” est un projet de type “Sciences de l’Ingénieur” qui propose un dallage urbain constitué à 95% de plastique recyclé. La ville de Dumbéa est équipée et la start-up à récemment fondé une succursale à Orléans. La Nouvelle-Calédonie est un marché test mais l’ambition de tous nos projets est de se développer à l’international. Cette technologie, créée par une équipe d’ingénieurs, a été rachetée au bout de trois ans par une entreprise situé à Ducos. L’équipe originelle planche maintenant sur le développement de leur process en métropole où ils se sont associés avec une société de BPT française.

Côté “Pure Players” numériques, deux startups sont sorties du lot : “Insight“, filiale du groupe CIPAC, et “Bluecham” travaillent toutes les deux sur du traitement et de la valorisation de données satellitaires. Elles sont l’illustration d’un vrai savoir-faire en termes de géomatique.

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Le financement des projets innovants et donc des startups est encore aujourd’hui difficile à obtenir en Nouvelle-Calédonie. Comment intervenez-vous dans ce domaine et quels sont les possibilités de financement que vous proposez ?

Nous avons plusieurs étapes de financement ; le financement à l’amorçage, souvent de l’aide publique, soit de la BPI, soit des collectivités. De ce côté-là, la Nouvelle-Calédonie est plutôt bien dotée : la BPI délivre l’intégralité de ses moyens et il existe à ce jour une compétition moindre entre les projets par rapport à la métropole.

Le problème restant à solutionner, c’est le financement de la phase de croissance du projet à plus grande échelle ; les banques sont, en Calédonie comme ailleurs, très frileuse à financer le risque de l’innovation et les mécanismes de levée de fonds sont encore très peu structurés. Il n’existe pas encore de structures organisées de “Business Angels” ou de fonds d’investissement pour faire des levées de fonds en capital risque. On commence à percevoir une certaine volonté, les moyens financiers sont là, mais la culture du partage du risque, de la mutualisation des investissements n’est pas encore très développée ici. 

Cette volonté d’investir est pour l’instant contrainte par le manque de facilités fiscales sur le territoire. Ces démarches législatives facilitantes sont en cours, comme en témoigne la création de fiscalité directe comme le “Crédit d’Impôt Recherche” et le statut “Jeunes Entreprises Innovantes” validé par le Congrès mais ces mesures doivent être étendues par une fiscalité indirecte incitative pour les entreprises ou fonds investissant dans les start-up innovantes.

Le risque n’est d’ailleurs pas que le projet ne débute pas mais plutôt qu’il se délocalise rapidement avec la perte que cela induirait en termes de fiscalité, emplois, création de richesse et de visibilité pour la Nouvelle-Calédonie.

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Un mot pour la fin ?

Pour conclure, nous sommes dans une belle volumétrie de projets par rapport à la taille de notre territoire et dans une spirale globale positive. Les contraintes nous rendent créatifs et résilients ce qui fait la force des entrepreneurs calédoniens, tout comme leur esprit pionnier. 

Nous allons continuer de faire évoluer notre proposition de valeur à travers des programmes d’accompagnement plus contraints mais aussi par l’intermédiaire du déploiement de nos savoir-faire à l’étranger. En local, nous allons également être présents à la Station N sous une forme ou une autre. Le territoire doit maintenant s’approprier ses « success stories » et nous allons y contribuer ! 

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