Le constat qu’on a tiré depuis 2019, c’est que les pouvoirs politiques ne connaissent pas leur écosystème”.

Vaimu’a Muliava, membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en charge de l’innovation

Après quelques remerciements d’usage lancés dans l’amphi 80 de l’Université de la Nouvelle-Calédonie, Vaimu’a Muliava a tiré cette “leçon première” qui fait passer le pays à côté “de la richesse de ces hommes et ces femmes qui innovent”. Après cet aveu en guise d’introduction, le politicien a déployé la nouvelle “constellation” de l’innovation du GNC à travers une stratégie (STI) coconçue avec le réseau RETIS et le cabinet de conseil « CMI« . Résumé d’une vision stratégique modélisée en 6 piliers et 18 actions où la théorie devra faire face à la pratique. 

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STI 2.0, du GNC au réseau RETIS

Ils étaient nombreux, les visages bien connus de l’innovation calédonienne, à s’être déplacés sur les bancs de l’UNC pour la présentation de la “STI 2.0” ; au premier rang, Thierry Santa, ancien président de la Nouvelle-Calédonie et membre du gouvernement, Louis Le Franc, qui fête sa première année en tant que Haut-Commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, et Cyril Marchand, VP de l’UNC mais, également, éparpillés dans l’amphithéâtre, des représentants de l’ADECAL, de la FrenchTech NC, de l’INCubateur, des clusters etc. avaient répondu à “l’appel de l’inno” lancé par Vaimu’a Muliava. Un public très “public”, complèté par quelques entrepreneurs du privé, attendait donc de l’innovation dans la politique publique… d’innovation.  

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Vaimu’a Muliava, Thierry Santa et Louis Le Franc « in da place » © NeoTech

Face à eux, un trinôme d’intervenants-consultants composé d’Olivier Farreng, président de RETIS, d’Emmanuel Pierre, DG de l’Incubateur de Corse et de Laurient Gaboriau, DG du Technopole de La Réunion – malheureusement coincé à Lifou ! – étaient invités au micro en compagnie de Philippe Bassot, associé et DG du cabinet de conseil en stratégie, « CMI ». Les experts du réseau RETIS étaient déjà venus, mi-2023, à la rencontre (et à la découverte) des acteurs de l’écosystème et une large étude, déroulée en plusieurs temps, avait été menée dans le cadre de la réalisation de cette stratégie. Nous y avions d’ailleurs été associés, comme bon nombre d’autres organisations, à travers des échanges avec le fondateur de notre startup. Enquête terminée, place aux enseignements. 

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Les enjeux de l’innovation calédonienne

Alors que Cyril Marchand, hôte du jour, avait ouvert le bal des interventions en rappelant, à juste titre, le rôle du “transfert” entre la recherche fondamentale et les applications économiques, Philippe Bassot s’est chargé de détailler les huit fonctions clé à « maîtriser pour structurer et développer un écosystème de l’innovation« . Simple – basique ? 

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Vous en comptez combien de valab’ en NC ? © NeoTech

Et puisque les bases venaient d’être posées, les enjeux pouvaient suivre et les 6 piliers s’échaffauder autour de 18 actions concrètes. Les grands enjeux étaient à peu près connus : développer le nombre de projets innovants sur l’ensemble du territoire, accroître le nombre, la taille et l’ambition des entreprises innovantes, communiquer sur un Caillou féru d’inno, en interne comme à l’externe, mutualiser et coordonner l’existant pour optimiser les ressources et contribuer à la transition écologique et énergétique. Bref, construire une vision collective, tous ensemble, en embarquant toutes les couches du millefeuille administratif de l’inno calédonienne. Qui dit mieux ? 

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Pilier 1 – La gouvernance 

Et pour répondre à ces objectifs, le premier pilier, sujet à débats, a concerné la structuration d’une gouvernance territoriale de l’innovation, grâce à la création d’un Conseil Territorial de l’Innovation (CTI) composé des représentants de l’ensemble des pouvoirs publics : État, gouvernement, provinces et mairies etc… Ce “CTI”, après avoir clairement défini et validé une stratégie, incarnerait la politique publique de l’innovation sur tous les territoires. Il serait assisté d’une Agence Territoriale de l’Innovation (ATI), organe mixte aux contours encore assez flous, qui regrouperait aussi bien les clusters, le Pôle Inno, les associations telles que la FTNC ou encore des “messieurs-dames innovations” en mode “agents experts” pour infuser l’inno au cœur de toutes les populations, grâce à une “task force” qui se déplacerait un peu partout et communiquerait beaucoup pour promouvoir une nouvelle marque “Innovation by Caledonia”. 

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Pilier 2 – Accompagner le développement de l’entrepreneuriat

Gouverner ensemble, c’est bien mais détecter, accompagner et financer des projets entrepreneuriaux, c’est obligatoire. Ainsi, la STI a fixé pour objectifs des KPIs concrets :

  • 20 entreprises innovantes incubées en 2026 et 10 accélérées en 2027 ; 
  • 5 levées de fonds supérieures à 50 MXPF ; 
  • 5 000 mètres carré dédiés au parcours résidentiel des entreprises innovantes. 

Amibitieux mais pas irréalisable si le premier pilier est stable et que les outils de financement, entre autres, ne tardent pas à être déployés localement – Fonds d’investissement privé ? Accélérateurs serviciels ? Formations diplômantes à l’entrepreneuriat ? 

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Pilier 3 – Valoriser la recherche

La recherche scientifique est souvent à l’origine de potentiels projets novateurs ; pourtant, scientifiques et entrepreneurs sont souvent deux populations immiscibles, aux visions et intérêts divergents. Une fois n’est pas coutume, mélanger chercheurs et entrepreneurs pour imaginer la Calédonie du futur créerait sans doute bon nombre d’opportunités de croissance économique ET valoriserait la recherche académique et la formation locale. Un pilier “gagnant – gagnant” grâce auquel l’“Innovation by Caledonia” pourrait sortir grandie.

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Pilier 4 – Développer les filières innovantes 

C’est le moment qu’a choisi M. Bassot pour balancer quelques punchlines :

“Tout le monde parle de filière mais elles sont où, ces filières ? Elles sont écrites où, les stratégies de ces filières ? Il est où le positionnement sur une chaîne de valeur… ?”.

Philippe Bassot et les filières fantômes

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Philippe « B2O » Bassot au micro © NeoTech

Une façon franche de nous dire de retourner à nos études (marketing ?) et que l’innovation, sujet transversal au même titre que le numérique, devait infuser dans toutes les filières prioritaires du territoire. La proposition du cabinet, “vieille comme le monde” ? “Conclure au moins 4 contrats de filière” et faire émerger 8 projets innovants des clusters. Game on ! 

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Pilier 5 – Inscrire l’innovation dans une perspective régionale 

Qui peut se targuer, même dans l’hexagone, de situer correctement la Nouvelle-Calédonie sur une mappemonde ? Pas grand-monde, au grand regret de certains, au plus grand bonheur d’autres. Pourtant, malgré une réelle volonté politique de développer une stratégie cohérente de marketing territorial qui doperait notre secteur touristique ou nos exports agricoles, par exemple, le Caillou est encore dans un trou noir de notoriété.

Cette relative faiblesse pourrait se transformer en force : L’Île Maurice, Israël, le Costa Rica et bien d’autres territoires ont réussi à créer une marque (de fabrique) et un storytelling autour de leur économie. Qui de l’informatique, qui de la tech, qui de l’écologie… et pourquoi le Caillou ne pourrait-il pas devenir, demain, aux yeux du monde (ou déjà de la région), le “hotspot” des Women In Tech ou de l’innovation bleue par exemple ? 

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Emmanuel Pierre et la Corse, un modèle à suivre ? © NeoTech

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Pilier 6 – Développer la culture de l’innovation 

Diffuser, sensibiliser, communiquer… Si vous êtes un lecteur régulier de NeoTech, vous savez parfaitement que ces trois actions sont au cœur même de notre raison d’être ! Et bien, voilà le dernier pilier de cette STI 2.0 : créer une véritable culture de l’innovation en Nouvelle-Calédonie, que ce soit dans les administrations publiques, aussi bien que dans les entreprises privées. Communiquer. Sensibiliser. Diffuser. Ok-er ? 

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La bâtisse de l’innovation calédonienne

Après ces grandes lignes évoquées et ces piliers posés, la bâtisse de l’innovation calédonienne est prête à être érigée. Ne croyons pas qu’elle repose sur du néant car nombre d’acteurs s’impliquent et émergent chaque année : il faut rendre hommage à ces hommes et ces femmes qui croient, pour tout un pays, que leur projet innovant va faire bouger les lignes et (re)lancer un Caillou 2.0 !

En Nouvelle-Calédonie, le “vivre ensemble” est érigé en valeur sociale centrale et largement décliné en promesses politiques. Aujourd’hui, le gouvernement, entouré de ces experts et de cet écosystème d’entrepreneurs, propose désormais “d’innover ensemble”. Qui vivra…

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