LOL et TFT : si ces deux acronymes ne vous disent rien, c’est que vous n’êtes pas un « geek » des jeux vidéo… Et pour cette interview, nous sommes allés à la rencontre de Kevin Ghanbarzadeh, AKA Shaunz, l’un des meilleurs joueurs mondiaux de League Of Legends et TeamFights Tactics.
Invité en Nouvelle-Calédonie par l’association « ESNC » à l’occasion d’un tournoi « Lost Island » organisé dans la Lagoon Gaming Room, le gamer s’est livré sur ses passions : créer du contenu pour sa communauté, entraîner et conseiller les meilleurs players et s’agiter sur le clavier. Interview d’un homme qui a découvert le Caillou pour ses 31 printemps !
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Salut Shaunz ! Bienvenu en Calédonie et bienvenu sur NeoTech ; pour commencer, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Salut NeoTech ! Alors, dans la vraie vie, je m’appelle Kevin Ghanbarzadeh mais on me connaît effectivement sous le pseudo de Shaunz. Je viens par ailleurs de fêter mes 31 ans en Calédonie ! Depuis bientôt 10 ans, je suis créateur de contenus sur Twitch et je suis président de l’équipe française d’eSport « Aegis » qui joue sur TFT et League Of Legend. Nous avons créé cette structure avec MisterMV et DFG.
Côté parcours, j’ai étudié dans une école d’ingénieur pendant cinq ans et, en dernière année, en 2013, je me suis intéressé à l’eSport et au streaming car je commençais à être bon sur League Of Legends ; pendant cette période, j’ai eu envie de partager avec les gens ce que je faisais et je me suis donc mis au streaming : j’étais plutôt bon et je voulais partager mes techniques dans un but pédagogique, en faisant comprendre aux gamers que je n’étais pas un devin mais que tout ça reposait sur des mécaniques qui me permettaient de prendre de bonnes décisions.
Ensuite, j’ai intégré le cercle fermé des meilleurs joueurs d’Europe et ça m’a ouvert quelques portes dans le domaine de l’eSport ; j’ai ainsi rejoint l’équipe « Millenium » en 2014 avant de rejoindre « SPARTA » en 2015 pour faire de la compétition à haut-niveau. Mi-2015, je suis parti en LEC en Allemagne, le championnat européen de LOL et je suis devenu coach de l’équipe « Gambit », puis de la « Team Vitality ».
Début 2018, je suis revenu à Paris où j’ai pris le poste de Directeur Sportif de Vitality ; mon travail consistait à orchestrer tous les clubs et les jeux en les développant au fur et à mesure. Au bout d’un an et demi, j’ai eu envie de retrouver le contact avec ma communauté… et je suis reparti dans le streaming. En 2019, lors de sa sortie, j’ai adoré le jeu « Team Fight Tactics » (TFT) et je suis devenu le créateur numéro 1 en France et en Europe. Ça fait désormais trois ans que je suis sur ce jeu et… je kiffe, quoi !
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Streamer, coach, producteur… League of Legends, Teamfight Tactics, CS… Peux-tu nous expliquer ce que tu fais dans la vie pour ceux qui ne te connaîtraient pas ?
Sur TFT, nous avons la Hexleague, l’équivalent de la Ligue 1 de ce jeu vidéo et j’aime bien organiser des compétitions « utiles », des événements, dénicher des commentateurs créatifs et créer des histoires autour de tout ça plutôt que de passer tout mon temps à jouer !
En réalité, lorsque j’étais plus jeune, j’ai bénéficié d’une bonne exposition grâce à des gens qui organisaient ce type de projets et ça m’a donné envie de rendre la pareille : offrir des infrastructures, organiser des compétitions, jouer à haut-niveau avec d’autres joueurs… C’est juste trop bien !
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Qu’est-ce qui te plaît autant dans l’eSport et quelle est l’influence de cette passion sur ta vie ?
A la base, j’aimais beaucoup regarder du foot et j’ai constaté que c’était un milieu inaccessible pour moi ; lorsqu’on n’a pas été joueur, comme Didier Deschamps par exemple, ou qu’on n’a pas eu un parcours de footeux, on a peu de chances d’intégrer ce milieu.
Lorsque j’ai découvert l’eSport, au contraire, tout était nouveau, tout était à construire : au début, j’avais l’impression d’être un pionner dans un secteur qui explosait et qui s’adressait aux 15 – 30 ans. Du coup, bâtir l’univers de l’eSport de demain m’a vraiment inspiré et donné envie… Pas besoin de rentrer dans un moule, tout est à faire et c’est ça qui m’a passionné.
C’est pour cette raison que j’ai expérimenté beaucoup de facettes de ce milieu : joueur, coach, commentateur… je voulais découvrir tous les pans du métier et créer le monde de demain avec les bons codes ; mon but, ce n’est pas juste de faire de l’argent : je préfère réinvestir pour que le projet grandisse ! Prenons l’exemple des sponsors : je préfère les rencontrer autour d’un échange direct et les interroger sur leurs motivations, plutôt que de prendre l’argent quel qu’en soit le prix. C’est cette vision de l’eSport que j’aime : créer à notre échelle et avec nos outils.
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C’était quoi ton premier jeu ?
Je suis presque sûr que c’est FIFA 98 : les bandes son étaient dingues ! Après, jusqu’à 14 ans, j’ai joué sur Playstation avant de passer sur PC avec Counter Strike, notamment. De fil en aiguille, j’ai continué à découvrir des jeux… et comme j’étais très compétiteur, ça a donné celui que je suis aujourd’hui…
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Qu’es-tu venu faire chez « nouzôtres » en Nouvelle-Calédonie ? Un retour d’expérience après une bonne semaine sur le territoire ?
Je suis venu commenter la compétition organisée par ESNC et Lagoon Gaming : l’idée, c’est de faire briller les joueurs calédoniens qui ont un très bon niveau ; certes, sur le serveur « Océanie », il y a un poil moins d’exposition que sur le serveur « Europe » mais c’est une manière d’apporter mon soutien aux gamers et de leur dire que tout ce qu’ils font, ce n’est pas pour rien. Y’a du niveau, des envies, de bonnes idées !
En parallèle, ça me permet aussi de donner un coup de pouce à l’asso ESNC qui a de très bonnes idées. L’idée, c’est aussi de les rassurer et de leur confirmer qu’ils vont dans le bon sens ; en général, je n’ai pas trop peur d’être critique mais de manière constructive et là, je n’ai pas grand-chose à leur dire : ce qu’ils ont mis en place, c’est top !
Et puis, il y a l’aspect « vacances » … Franchement, c’était les plus belles vacances de ma vie ! L’équipe ESNC m’a accueilli d’une manière extraordinaire et, ce qui est drôle, c’est que d’habitude, c’est moi qui porte les responsabilités avec « Aegis » et là, j’ai complètement lâché prise et je les ai laissés tout gérer : je leur ai fait confiance et c’était encore mieux que ce à quoi je m’attendais !
Quant à la Calédonie, c’est juste magnifique !
Shaunz, fan du Caillou
Vous vous en rendez compte au moins ? Tellement de paysages différents, la nature liée à la modernité, tout ça à 18 000 kilomètres de la métropole… c’est juste incroyable ! En arrivant, je ne connaissais rien de la Nouvelle-Calédonie et, clairement, ce n’est pas juste qu’une île paradisiaque : il y a un mix de cultures kanak, française, américaine, asiatique… Bref, j’ai kiffé !
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Alors qu’est-ce que tu penses du niveau calédonien de gaming ? Tu as déjà croisé le clavier avec des teams locales ?
Le niveau local est bon. Les joueurs que j’ai pu voir, notamment Omni avec son palmarès que j’ai découvert, ont un excellent niveau sur le serveur « Océanie » ; les joueurs qui ont gagné la compétition ont bien joué et Macaroni nous a sorti une super partie ! Ça reste un cran en dessous de l’Europe, évidemment, mais il y a aussi moins de joueurs, moins d’infrastructures, moins de compétitions… Si on compare, par exemple, avec le nombre de gamers en Chine, c’est normal d’avoir « moins » de niveau.
Avant la finale, on a fait une petite « game » avec sept joueurs calédoniens et j’ai quand même réussi à les battre : j’essaie de pas trop me la ramener mais j’ai quand même un petit niveau !
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Qu’as-tu pensé de la gaming room lancée par Lagoon il y a quelques mois ?
Très, très bien ! C’est du bon travail, le matériel est bon, c’est bien pensé au niveau des cases et de la régie… Ils manquent encore un peu d’expérience mais c’est normal et la base en place est déjà très haute.
ESNC, c’est le genre d’asso qui peut aller très loin : ça ne m’étonnerait pas que d’ici deux, trois ans, on voit naître en Calédonie un grand complexe dédié, avec plein de joueurs, des PC quali, une vraie LAN annuelle… C’est comme ça que les choses se sont faites en France et il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement ici.
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L’eSport est devenu un « business » aussi suivi que le sport et les entreprises n’ont pas tardé à s’en emparer : que penses-tu de ce phénomène ? As-tu des exemples d’entreprises métropolitaines qui ont lancé leur team ?
C’est une implication positive : beaucoup d’entreprises et d’agences commercialisent aujourd’hui des équipes, des événements, des RDV… et, encore plus récemment, on a eu le Eleven All Stars d’Amine, le match de foot avec les créateurs de contenus, le GP Explorer avec Squeezie…
En ce qui concerne l’eSport, on commence à avoir des joueurs starifiés : Rekkles de la Carmine Corp est devenu une pépite qui a signé un partenariat avec Nike quand d’autres joueurs l’ont fait avec RedBull. Ensuite, on a les partenaires qui s’intéressent aux logos, aux équipes et qui veulent créer du contenu autour. Mais les entreprises peuvent également sponsoriser les ligues, les événements… Les marques se disent désormais qu’elles veulent intégrer l’eSport pour toucher une cible qu’elles n’arrivent pas à atteindre avec les médias traditionnels. La génération des 18 – 30 ans ont un peu d’argent, ne savent pas encore vers où se tourner et les marques l’ont bien compris…
Prenons l’exemple d’Orange que je connais bien ; ils veulent miser sur des projets communautaires, premium et investir sur « le meilleur choix possible » qu’ils déterminent grâce à des études très poussées. Ils veulent y aller « bien » et comprennent les codes. Je crois que les marques commerciales ont compris que ce n’était pas une bonne idée de lancer leur propre marque : il ne faut pas imposer mais plutôt suivre l’histoire d’un joueur ou d’une équipe et trouver les bonnes activations.
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Et il y a parfois des badbuzz…
Oui, je me rappelle une marque de « barres de repas complets », Feed, qui a matraqué le milieu d’un coup avec une com’ ultra agressive et des réductions, le tout sans poser de contexte… Alors, déjà, on parle de nourriture en poudre et, en tant qu’humain, on se pose forcément des questions sur la qualité. Cumulé avec cette arrivée maladroite sur le marché de l’eSport, ça a posé problème… En plus, « pompon sur la Garonne », un collaborateur de chez Feed est rentré de la pause dej’ avec un sac Mc Do à la Paris Games Week : ça a donné une photo d’un mec avec le t-shirt « Feed » qui apportait cinq sacs Mc Do à ses collègues. Autant te dire que c’est devenu un beau bad buzz viral !
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Est-ce que tu aurais une anecdote d’une compet’ ou d’un moment en particulier qui t’a marqué et que tu pourrais raconter à nos lecteurs ?
Je ne suis pas très émotif d’une manière générale car je ne ressens pas forcément de grosses émotions mais, pourtant, l’une d’entre elles m’a profondément marqué : quand j’étais coach de Vitality en Allemagne, on faisait un super début de saison. On gagne les deux matchs d’un week-end et, quand je suis rentré le dimanche soir, j’ai allumé le PC et je suis tombé sur le classement de la LEC que j’avais ouvert avant le match. Après un petit F5, j’ai vu que notre équipe occupait la première place ! Et là, j’ai réalisé :
« Je suis le coach de la meilleure équipe d’Europe ! ».
Shaunz, tout ému…
Des frissons et un sentiment d’accomplissement unique !
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Un dernier mot ou une dernière actu pour la route ?
Franchement, je ne m’attendais à rien avant d’arriver… Je ne voulais pas avoir d’attentes particulières mais arriver en faisant confiance à des gens, en étant libre et assoiffé de découvertes : je sors de ce voyage avec des images gravées à vie ! La plongée à l’Île des Pins, c’était juste l’un des plus beaux moments de ma vie !
Je rentre en métropole avec l’envie de dire à tout le monde « la Calédonie, c’est incroyable ! ». Le seul truc auquel je ne m’attendais pas, c’est que ce soit aussi cher ! Même en venant de Paris, j’ai été très surpris. Mais pour tout le reste, j’ai vécu un voyage incroyable, organisé aux petits oignons. Trop de cases ont été cochées : des vacances de rêve, 21/20 en note finale !
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