« Qui aurait cru qu’en sept ans la transition numérique serait un sujet du quotidien en Nouvelle-Calédonie ! ». C’est avec ces mots que Nicolas Kaya débute notre rencontre. Dès les premières secondes, on comprend que le numérique est bien plus qu’un métier pour lui. En effet, sa passion et sa dévotion pour le sujet l’ont poussé à créer une association afin de lutter contre la fracture numérique et rendre accessibles les outils, les connaissances et les pratiques numériques au plus grand nombre. Son nom ? « Numérique pour tous ». Trois mots qui font comprendre clairement la volonté de son fondateur : favoriser l’accès au numérique à l’ensemble des Calédoniens !

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Bonjour Nicolas et bienvenu sur NeoTech ! Ça fait plaisir de voir des gens qui se bougent dans l’associatif numérique : comment en es-tu arrivé à fonder l’association « Numérique pour tous » ? 

Bonjour NeoTech et merci de me recevoir ! Pour répondre à la question, beaucoup de raisons m’ont poussé à fonder l’association « Numérique pour tous ». Tout d’abord, je me sens concerné par le sujet car je suis dans le monde du numérique depuis une quinzaine d’années. De plus, j’ai voulu promouvoir une démarche d’écoconception et une utilisation durable de cette technologie car la première conséquence du numérique est la création de déchets. 

Aujourd’hui, en 2023, la plupart des outils numériques sont fabriqués à partir de matériaux fossiles présents en quantité limitée. Alors que la technologie évolue, la technique de recyclage de ces matériaux s’avère difficile, ce qui pose problème quant à la gestion des déchets. Ce sujet me touche personnellement car, originaire d’une région du Congo où ces ressources sont exploitées, je souhaite faire évoluer les mentalités dans l’objectif de réduire la demande de ces matières premières.

J’ai donc souhaité sensibiliser le plus grand nombre à une utilisation responsable de l’outil informatique en lui-même, de sa production à son utilisation et à son cycle de vie complet jusqu’au déchet. En somme, l’objectif a été de rendre cet outil accessible à tous les publics en incluant cet aspect durable et raisonné.

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Quelle est la raison d’être de cette association et comment fonctionne-t-elle ? 

Malheureusement, il y a des publics très éloignés du numérique : ce sont des cas de fractures numériques évidents. La raison d’être de cette association consiste à apporter une réponse adaptée à cette problématique. Aujourd’hui, le numérique est un outil de travail, de communication et de formation, bien plus qu’un simple objet. Ce concept est incontournable, si on ne s’implique pas, on risque de louper le train de l’évolution.

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Peux-tu nous expliquer le voyage d’un ordinateur de l’entreprise partenaire jusqu’à sa livraison finale ? 

Le voyage d’un ordinateur est structuré dans le programme appelé « Numérique solidaire ». Il se divise en trois parties :

  • La collecte
Numérique pour tous
Le crédit de l’asso : ne jetez plus, nous revalorisons ! © Numérique Solidaire

Pour commencer, l’association a mis en place un réseau de collecte composé de notre local de La Coulée dans la commune du Mont-Dore et de plusieurs partenaires. La collecte se fait de deux manières. Soit les particuliers déposent leurs outils numériques dans notre point de collecte, soit nous allons directement chercher le matériel à reconditionner auprès des entreprises. Nous fonctionnons ainsi car les sociétés offrent de gros volumes de matériels et nous devons respecter une démarche spécifique.  

  • La remise en état

Puis, le matériel est acheminé jusqu’à notre atelier où il est remis en état. Néanmoins, tous les objets ne sont pas « récupérables ». Ils sont alors redirigés dans la filière de gestion des déchets pour qu’ils soient correctement gérés plutôt qu’abandonnés dans la mangrove. Ça arrive plus qu’on ne le pense… 

  • La réutilisation et l’emploi

Enfin, le matériel est intégré à l’un de nos quatre dispositifs de réutilisation et de réemploi. Le premier correspond à un système de don dans le cadre du programme « Numérique Solidaire ». Seuls les particuliers, membres de l’association, qui en font la demande peuvent en profiter. Cependant, nous offrons aussi des ordinateurs fixes aux établissements scolaires qui présentent un projet pédagogique précis. Par exemple, pendant la période Covid, nous avons donné 101 ordinateurs aux élèves du lycée du Mont-Dore pour aider à combler la fracture numérique.

Numérique pour tous
De beaux ordinateurs comme neufs © Numérique Solidaire

Pourtant, vous devez vous en douter, nous ne pouvons pas faire que du don… Ainsi, nous avons un second dispositif ; la boutique solidaire. Cette boutique permet de financer nos actions. Elle n’est disponible qu’à nos adhérents. Vous pouvez y trouver tout ce qui peut avoir une seconde vie : ordinateurs portablesordinateurs fixes, téléphonestablettes… 

En plus de ces deux premiers dispositifs, nous travaillons avec des partenaires distributeurs. Sur le Caillou, nous ne sommes pas les seuls à proposer des produits de seconde vie, il existe de plus en plus de professionnels de la distribution d’équipements informatiques. Aujourd’hui, tous les vendeurs d’électronique, en ligne ou en boutique, ont une section « appareils reconditionnés ». Nous proposons alors de devenir une référence de plus pour ces partenaires, ce qui leur permet d’ouvrir leur entrée de gamme. En effet, au lieu d’avoir un premier prix à 50 000 XPF, grâce au reconditionné, il sera de 20 000 XPF. Ainsi, l’association rend le reconditionné accessible au grand public puisque les deux premiers dispositifs ne sont accessibles qu’aux adhérents.

Et enfin, nous avons des pistes pour distribuer certains produits en export. Malheureusement, nous n’arrivons pas à répartir tout ce que nous collectons. Les distributeurs calédoniens, à raison, ne prennent pas tous les équipements que nous leur proposons – comme les écrans ou les claviers – car ces produits ne se vendent pas. L’export apparaît donc comme une solution possible. 

Numérique pour tous
Collecter, remettre en état et réutiliser ! © Numérique Solidaire

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Avec quelles organisations collaborez-vous sur le territoire ? 

Nos partenaires des premiers jours sont le Centre d’Initiation à l’Environnement (CIE.NC), un point de collecte dans le Nord et à Nouméa, et Trecodec qui nous aide au niveau de la logistique. Grâce à ce deuxième partenaire, les déchets de notre activité sont collectés de façon gracieuse ; quelle aide précieuse !

Nous avons aussi des partenaires sur les différents programmes proposés par l’association. L’année dernière, un grand partenaire est venu donner une dimension incroyable à ce réseau de collecte. Il s’agit de la Chambre des métiers et de l’artisanat (CMA-NC). L’organisation participe au projet « Numérique Solidaire » au sein du centre de formation dont elle a la charge. Ensemble, nous avons un objectif « zéro fracture numérique » chez les alternants. Sous une autre forme, la société minière SLN-Le Nickel nous a confié la remise en état de son parc informatique afin de lui donner une seconde vie. A travers des actions de soutien et de dons, l’entreprise est entrée dans une démarche qui correspondait à sa stratégie sociétale et environnementale. Il s’agissait donc d’un contrat de mécénat environnemental qui a permis de financer une partie de la mise en place de l’atelier “Numérique Solidaire” de La Coulée et de soutenir les activités du programme. 

Nous avons également la chance d’avoir le soutien de partenaires institutionnels sur l’ensemble de nos actions. Nous nous sommes faits connaître en ayant été lauréat de plusieurs concours. En 2019, nous avons remporté le prix de l’« Économie Circulaire » organisé par l’ADEME et la Province Sud. En 2020, nous avons gagné le trophée « TechInnov’ » organisé par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Ces coups de projecteur ont contribué à faire connaître et grandir l’association. Ainsi, l’année dernière, la Province nous a accordé un million de francs et nous a fourni 1 000 ordinateurs à reconditionner. Depuis, nous travaillons ensemble sur des thématiques diverses liées au numérique.

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Vous dispensez également des formations, « Les Ateliers du numérique » : en quoi consistent ces ateliers et à qui s’adressent-ils ? 

Numérique pour tous

Les « Ateliers du numérique » sont le fondement de l’association. Aujourd’hui, sur le territoire, il existe de nombreuses formations numériques post-bac ou en ligne. Mais à l’origine, il y a sept ans, lorsque nous avons voulu apporter le numérique sous forme d’ateliers originaux, pratiques, courts, concrets et accessibles, il y avait encore moins d’offres. L’idée principale consistait à apporter des moyens pédagogiques pour toucher tous les publics en situation de grande fracture numérique.

Nous nous adressons à un large public. À commencer par les entreprises ou les patentés qui viennent s’informer sur des pratiques pour faciliter leur quotidien, comme synchroniser leur agenda en ligne avec leur smartphone. Puis, il y a les seniors à qui nous apprenons à utiliser un logiciel de traitement de texte, à envoyer un e-mail ou parfois, tout simplement, à allumer leur ordinateur. Et enfin – principalement – les jeunes qui sont « tombés dans la marmite du numérique étant petits » et qui ne se rendent pas compte de son importance et de ce que ça implique. En effet, lorsqu’on les interroge, le numérique se résume à Facebook et TikTok. À travers les ateliers, l’association souhaite les sortir de cet usage récréatif du numérique pour leur montrer que c’est un sujet bien plus vaste et complexe et qu’il peut même être un métier. 

Numérique pour tous

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Vous avez également lancé un projet « 100% Open Source », en quoi consiste-t-il ? 

Après les programmes précédents, le « Numérique Solidaire » qui apporte les équipements, les « Ateliers du numérique » qui apportent l’usage et la pratique, c’est au tour du programme « 100% Open Source » d’apporter un éclairage sur les outils disponibles dans l’immensité d’internet. L’objectif est d’amener la culture Open Source au plus grand nombre ; il existe d’excellents outils gratuits et disponibles qui ne demandent qu’à être utilisés. Ce programme contribue à l’aspect éthique de notre démarche, c’est-à-dire présenter des solutions pour que le public préserve son pouvoir d’achat. Pourquoi vendre un pack Office à une personne âgée alors que la suite LibreOffice est gratuite et largement suffisante ? Pour cette raison, dans le cadre du programme « Numérique Solidaire », nous installons un logiciel de traitement de texte gratuit pour promouvoir les Open Source. C’est presque de l’information consommateur !

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Pour toi, que signifie « lutter contre la fracture numérique » en Nouvelle-Calédonie ? As-tu des exemples concrets de cette fracture et des actions menées ?

Je pense qu’il faut comprendre dans quel contexte le numérique se déploie. Il possède plusieurs aspects : infrastructure, équipement, outillage et surtout des utilisateurs. Si les utilisateurs ne s’approprient pas l’ensemble de ce que le numérique constitue, c’est peine perdue.

La fracture numérique se reconnaît à trois types de freins. Le premier concerne l’aspect économique car le prix du matériel en Nouvelle-Calédonie rebute les acheteurs. Le second se rapporte aux compétences. En effet, certains possèdent un ordinateur sans savoir l’utiliser au maximum de son potentiel. Le dernier se rattache à la culture dans le sens où certains ne veulent pas prendre le virage du numérique. Nous connaissons des professionnels qui font leurs devis sur papier et qui refusent de passer au digital malgré les arguments en faveur de cette transition comme l’efficacité, la rapidité et la rentabilité.

Numérique pour tous
L’association vient à vous lors de vide-grenier ! © Numérique Solidaire

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On vous a aperçu récemment au Motion Juice Festival et vous avez fait de belles surprises aux lauréats ! Pourquoi avoir été partenaire d’un tel événement et quel est ton ressenti après ce dernier ? 

Partout où le mot « numérique » apparaît, l’association est là ! Avec le Motion Juice Festival, organisé par Maïcène Ajmi, une association de mots clés nous a attirés : jeunesse, ateliers numériques, loisirs créatifs… Ainsi, nous étions présents au MJF pour promouvoir les Open Source en présentant des outils gratuits et efficaces et offrir un ordinateur portable aux gagnants de la Battle Graphistes.

Quelle joie de voir ce genre d’évènement s’organiser en Nouvelle-Calédonie ! Il faut encourager ces démarches, le numérique est un outil d’avenir pour la jeunesse. En 2023, une réflexion s’impose partout sur le territoire : quel avenir après le nickel ? Comment trouver des viviers d’emplois après le nickel ? Selon moi, le numérique est évident. Donc, si on peut encourager ce type d’initiative à travers du sponsoring ou une forme de soutien pour initier la jeunesse et créer des vocations, nous répondrons toujours présents !

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Quelle est ta vision de la transformation numérique de la Nouvelle-Calédonie ? As-tu identifié des freins et des opportunités sur le territoire ? 

Je suis en Calédonie depuis 2009, j’ai vu la transition numérique se mettre doucement en place. Je le concède, lorsque je suis arrivé, j’ai pu constater un énorme décalage avec la métropole mais pas un retard ! J’y ai vu l’opportunité de ne pas reproduire les mêmes erreurs que les grands pays. Il y a un challenge évident mais la Calédonie a pris ce virage de manière courageuse et réactive. Aujourd’hui, on le constate avec tous les projets qui se mettent en place. 

De plus, la Calédonie relève des défis plus difficiles que d’autres pays. En effet, nous sommes dans un contexte particulier en raison de la situation insulaire et isolée du pays, contrairement à la métropole où les infrastructures étaient déjà en place et où le numérique n’avait qu’à se « rajouter ». Malgré tout, je relève une réticence face aux progrès numériques sans parvenir à déceler à quel niveau elle se situe. J’ai remarqué que certaines communes refusaient la mise en place de nouveaux outils. Par peur ou par manque de connaissances ? Je ne saurais dire.

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Un dernier mot ou une dernière actualité pour nos lecteurs ? 

Numérique pour tous

Je vous invite à vous renseigner sur nos dispositifs, à nous suivre et peut-être à rejoindre l’association ! « Numérique pour tous » ne compte pas moins de 200 membres, plus ou moins actifs, avec un noyau central de quelques personnes. Nous avons tellement d’idées, de projets que si vous souhaitez vous impliquer, vous êtes les bienvenus ! Vous pouvez aussi devenir partenaire distributeur ou point de collecte ! Contactez-nous !

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