OEIL
© OEIL NC

L’Observatoire de l’Environnement en Nouvelle-Calédonie, plus communément appelé “l‘OEIL“, c’est cette entité créée pour répondre aux nombreuses questions sur l’impact grandissant des activités humaines, industrielles et minières sur l’environnement. De la pollution lumineuse à la surveillance des incendies, l’OEIL a multiplié les suivis environnementaux, les analyses et les interprétations de données collectées sur le terrain pour aider les gestionnaires dans leur prise de décision. Nous avons donc rencontré Fabien Albouy, le directeur de l’Observatoire, afin d’évoquer avec lui les dernières actualités de l’OEIL, son évolution alors que le Caillou poursuit sa transformation digitale, et le poids du numérique et de la “data” dans la conduite de ses missions.

Rencontre avec Fabien Albouy, le directeur de l’OEIL !

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Bonjour Fabien et bienvenu sur NeoTech. Tu es le directeur de l’Observatoire de l’environnement en Nouvelle-Calédonie (OEIL). Peux-tu retracer avec nous ton parcours professionnel ? 

Bonjour NeoTech ! Et bien, j’ai centré mon début de parcours universitaire sur la géographie physique avant de me spécialiser plus précisément dans la géomatique et les systèmes d’information.  

Après ces études, je suis parti en Afrique de l’Ouest, au Niger, pour travailler dans un centre de recherche en agro et hydrométéorologie. Cette mission a duré deux ans, puis je suis revenu en France pour intégrer une société privée qui produisait des bases de données routières, notamment tout ce qui concernait la navigation embarquée dans les véhicules. C’était assez novateur en l’an 2000 !  

J’ai ensuite pris le chemin d’une grosse collectivité de la région parisienne où j’étais responsable du développement du système d’information géographique (SIG). J’y suis resté une petite dizaine d’années avant d’avoir l’opportunité de venir m’installer en Nouvelle-Calédonie et d’intégrer le gouvernement en qualité de gestionnaire des bases de données cartographiques et, en particulier, de la base de données topographiques. J’ai finalement rejoint l’ŒIL pour m’occuper du SIG de la structure qui venait de se créer avant de prendre la direction de l’association il y a trois ans.  

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Quelle est la raison d’être de l’OEIL, et quelles sont ses origines et son histoire ?  

L’ŒIL a été créée en 2009 en réponse à un conflit autour de l’installation du complexe minier du grand sud, Vallée à l’époque et désormais Prony Ressources ; l’installation d’un tel complexe, à envergure mondiale, dans un écrin de biodiversité préservé a suscité nombre d’inquiétudes de la part des populations riveraines mais également de la société civile et des associations de défense de l’environnement. L’Observatoire de l’environnement est une réponse des pouvoirs publics à ces inquiétudes : sa création a permis d’apporter de la transparence, de la neutralité, de l’indépendance sur la surveillance des milieux naturels et sur la communication autour des résultats et conséquences de cette installation.  

Cette transparence et cette neutralité est assurée à la fois par la gouvernance de notre structure puisque près de vingt-cinq autres structures siègent à la table du comité avec un poids décisionnel égal ; on y retrouve les institutions provinciales, les associations de défense de l’environnement, les mairies concernées, les industriels et privés mais également les groupements de défense des consommateurs.  

Par ce biais, nous avons créé une gouvernance équilibrée soutenue par un conseil scientifique composé d’une vingtaine de membres qui peuvent orienter nos travaux et s’assurer de la justesse des interprétations techniques et scientifiques des données produites autour de l’environnement. De plus, nous avons mis en place un comité éditorial qui valide toutes les communications « grand public » et notamment les bilans environnementaux. C’est cette organisation de l’OEIL qui nous permet d’être transparents et indépendants.  

Côté opérationnel, nous sommes une équipe technique pluridisciplinaire avec des profils complémentaires.  

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Quelles sont aujourd’hui les principales missions de cet Observatoire ? Se cantonnent-elles à la surveillance ou pouvez-vous mettre en place des mesures concrètes ?  

Actuellement, nous avons trois missions principales :  

  • la surveillance à travers l’observation de la santé des écosystèmes – niveau des rivières, état des forêts environnantes etc. - ;  
  • la communication de ces résultats auprès du grand public, des populations riveraines du site mais également des décideurs afin de les accompagner dans leur prise de décision ;  
  • le développement d’outils et de méthodes de diagnostic de l’état de santé des milieux naturels.  

Notre rôle principal, c’est donc l’observation environnementale, ce n’est pas la gestion et encore moins la police de l’environnement qui incombe à la Province. En revanche, sur la base des études qu’on mène ou des outils qu’on met en place, on doit contribuer à ce que les décideurs et gestionnaires prennent des décisions les plus éclairées possible.  

Par exemple, lorsqu’on mesure des taux de matière en suspension trop importantes dans des rivières, nous avertissons les gestionnaires qui, à leur tour, préviennent les miniers pour qu’ils optimisent la gestion des eaux sur leur mine avec, entre autres, la création de bassin de décantation etc. De la même manière, lorsqu’on met en place une application pour identifier les incendies en cours et leur impact, notre objectif c’est de partager ces informations avec les forces opérationnelles, les pompiers dans notre cas, pour qu’ils puissent agir de manière efficace aussi bien sur la lutte que sur la prévention. 

 

Vulcain, le géoportail de l’OEIL pour suivre les incendies ! © OEIL NC

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Avec quel modèle de financement fonctionnez-vous ?  

Le financement de l’ŒIL repose sur une répartition paritaire entre le secteur public et le privé ; la Province Sud, notre principal contributeur, finance environ 50% du budget global et le reste est apporté par le secteur privé au titre de leur RSE et des impacts environnementaux de leur activité.  

Il faut également retenir que cette modalité de financement est uniquement basée sur du volontariat ; nous ne sommes pas un établissement public à budget annuel fixe car nos financements reposent sur le bon vouloir des acteurs publics et privés. Ce dispositif de financement est donc fragile et nous avons pu le constater il y a deux ans lorsque les acteurs privés ne s’engageaient plus à hauteur de leur promesse : à cette époque, nous avons failli déposer le bilan !  

Bon nombre de nos administrateurs souhaite que cette forme de financement évolue et se stabilise pour assurer la pérennité de l’ŒIL ; l’observation environnementale est pertinente lorsqu’elle est installée sur du long terme. La mise en place de nouveaux outils pour mener des actions structurantes ne peut être efficace qu’avec une visibilité sur plusieurs années. Aujourd’hui, c’est encore compliqué de bâtir une programmation cohérente car on ne sait pas si, d’une année sur l’autre, nos programmes continueront à être financés…  

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Quelles sont les applications innovantes du numérique que vous utilisez à l’OEIL ?  

Je peux mentionner notre utilisation de la télédétection, notamment dans le domaine des incendies, qui est assez innovante. L’innovation vient de l’exploitation d’un certain type d’images mais aussi du développement des algorithmes capables de mesurer les surfaces brûlées et de l’orchestration des processus technique. A date, je ne connais aucun territoire qui a mis en place des processus équivalents pour caractériser finement cette pression environnementale !  

On utilise également la télédétection pour cartographier les formes érosives, identifier les ravines et suivre leur évolution par exemple ; on applique également ce procédé pour suivre l’évolution du mode d’occupation du sol : est-ce que les territoires artificialisés ont tendance à s’étendre et au détriment de quel écosystème ?  

Je peux également vous citer une autre exploitation innovante de la télédétection autour de la pollution lumineuse ; nous allons être les premiers territoires à exploiter des images nocturnes à très haute résolution (pixel d’environ 1 m) qui vont permettre de voir l’ensemble des points lumineux de manière précise. Ces informations nous permettent de caractériser les effets de cette pollution sur le vivant mais aussi d’informer les gestionnaires des conséquences de ce type de pollution afin qu’ils puissent prendre des décisions.  

Je peux également vous parler des capteurs RFID mis en place dans les cours d’eau… Cette instrumentation permet d’avoir des mesures en direct sur tout ce qui est « matières en suspension » ou d’autres paramètres par exemple. On se sert ainsi de l’IoT pour veiller sur l’environnement. On pourrait aussi mentionner l’ADN environnemental, et je sais que vous avez traité le sujet à travers l’un de vos épisodes de CALEDINNO : ce sont de nouveaux outils, issus du numérique et aux capacités démultipliées que nous créons et utilisons pour notre mission d’observation de l’environnement.  

Caledinno : l'ADN environnemental

💡 🌊🐠🐟 Déterminer la biodiversité aquatique de nos écosystèmes grâce à de nouvelles technologies de pointe, on vous explique tout ⤵▶️ Replay Calédinno : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/emissions/caledinno

Publiée par Nouvelle-calédonie la 1ère sur Mardi 17 mai 2022
L’ADN environnemental est dans Caledinno ! © NC la 1ère

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La surveillance environnementale à des fins de production de supports d’information constitue le cœur de votre activité. En quoi la “data” est-elle capitale pour vos travaux scientifiques et comment exploitez-vous ces données ?  

C’est le cœur de notre activité ! Un observatoire doit collecter, bancariser, exploiter et analyser ces données avant de la valoriser et de la diffuser. Clairement, la donnée est au cœur de notre métier.  

La spécificité de l’ŒIL, c’est que nous opérons nos propres réseaux de mesures mais que nous nous appuyons également sur ceux de nos partenaires. Notre première mission est donc de collecter cette information, souvent très hétérogène, où elle se trouve et de la rendre exploitable. Le problème, en Calédonie, c’est que chacun de ces acteurs a sa propre structuration, des informations différentes : la méta-analyse est donc chronophage car il faut préparer, restructurer ces données.  

On peut poursuivre avec la valorisation des informations issues du traitement de ces données ; nous essayons ensuite de traduire ces informations à travers des indicateurs vulgarisés qui permettent au grand public de les comprendre et aux décideurs de se les approprier. Notre travail, c’est d’être neutre et le plus juste possible dans l’interprétation de ces données.   

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Galaxia, un des nombreux géoportails de suivi de l’OEIL, dédié aux rivières et eaux souterraines ! © OEIL NC

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Plus globalement, quelle est ta vision de la transformation numérique du territoire ? 

Même si je ne suis pas spécialement légitime pour répondre à cette question, je vous partage mon sentiment : tous les freins techniques sont aujourd’hui levés, les infrastructures réseau fonctionnent, les ménages sont équipés, bref, toutes les conditions sont réunies pour développer le secteur du numérique en Nouvelle-Calédonie !

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Aujourd’hui, la préservation de notre environnement et de sa biodiversité est une problématique capitale pour le Caillou et la zone Pacifique. En quoi le numérique et les nouvelles technologies peuvent-ils représenter une solution pour réduire la pression sur nos écosystèmes ? Avez-vous des exemples concrets au sein de l’OEIL ?  

Théoriquement, on protège toujours mieux ce qu’on connait ! L’arrivée de ces nouveaux outils technologiques – ADNe, capteurs RFID, télédétection etc. – décuple les moyens d’observation et nos connaissances, ce qui devrait, de facto, contribuer à une meilleure protection de l’environnement.  

Derrière ces outils technologiques, il ne faut pas mettre de côté la problématique des moyens financiers dont on dispose pour les mettre en place ; on sait qu’ils existent mais, pour les utiliser et les faire vivre, il faut des ambitions et des moyens économiques associés à ces ambitions. Tout va aussi dépendre aussi du modèle de développement de la Nouvelle-Calédonie ! L’usage de ces outils peut mener aussi bien à la protection de notre environnement qu’à sa destruction à travers un développement économique mal orienté. Ni blanc, ni noir, un outil reste un moyen et non une fin. Néanmoins, grâce à ces outils, nous disposons d’informations inconnues à l’époque qui ne peuvent pas être ignorées par les pouvoirs publics : elles orientent les prises de décision mais, parfois, elles ne sont malheureusement pas suffisantes.  

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La pollution lumineuse en Nouvelle-Calédonie, un nouvel objet d’étude pour l’OEIL ! © L’Express

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Toujours sur le plan environnemental, on ne parle souvent d’écologie que pour citer des “mauvaises nouvelles”. Au contraire, avez-vous des bonnes nouvelles à nous partager concernant la situation écologique du Caillou ?  

Tout n’est pas positif mais si je veux rester optimiste, la Calédonie dispose encore d’écosystèmes préservés ; par exemple, à l’échelle mondiale, 1/3 des récifs coralliens considérés comme quasi vierge se trouve en NC ! Lorsqu’on regarde l’état de santé des récifs présents sur le lagon, il est plutôt bon.  

Quant à la partie terrestre, nous avons encore des formations forestières non dégradées qui disposent d’une taille suffisante pour assurer leur régénération. Je pense notamment à toute la Côte Oubliée par exemple…  

La Calédonie a également des pouvoirs publics forts, une réglementation adaptée – code de l’environnement, code minier… – à la différence d’autres territoires du Pacifique qui n’ont pas ce cadre juridique. Notre réseau d’aires protégées est également important et ce maillage permet de protéger la biodiversité. Et les politiques publiques vont également dans le bon sens.  

Au niveau des acteurs privés importants, ces derniers sont dans une démarche de reconnaissance de leur impact environnemental et social ; du coup, ils intègrent également ces problématiques environnementales dans leur stratégie pour atténuer l’impact de leurs activités.  

Les citoyens calédoniens sont également sensibilisés et mobilisés à travers un tissu associatif calédonien qui constitue une protection populaire de l’environnement. Ces mobilisations ont des impacts vertueux sur les prises de décision publiques et privées. Sans oublier tous les instituts de recherche scientifique, les ONG, les bureaux d’études ou les structures parapubliques telles que la nôtre qui agissent et contribuent à la préservation de l’environnement.  

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Une dernière actualité ou un mot de la fin à partager avec nos lecteurs ? 

Je souhaiterais conclure en disant que l’ŒIL est pleinement mobilisé pour assurer nos missions . Pour celles et ceux qui seraient intéressés pour en savoir plus sur nos actions, je les invite à consulter notre site Web, nos pages sur les réseaux sociaux (FB, Linkedin,… Nous organiserons aussi une restitution de nos travaux probablement au mois de juillet qui sera suivie par des échanges directs avec le public et des réponses à leurs questions. RDV à cette séance publique !  

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