S’il est une silhouette bien connue des acteurs de la filière numérique, c’est bien celle de Mathieu Derex, fondateur de l’agence « La Fabrik » et Calédonien d’adoption depuis plus de quinze ans. Optimiste de nature, grincheux à ses heures, usager invétéré du « plus beau lagon du monde », Mathieu s’évertue à vulgariser le numérique et à soutenir les entrepreneurs du territoire. Portrait d’un « cancre » qui a émigré place des Cocotiers.
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Pour tout l’or d’un SMIC !
Calé bien au fond de la classe près du radiateur, le collégien Derex suit les cours d’une attention vacillante ; la 3ème et son brevet, rien à foutre ! Les championnats de France de VTT-Descente auxquels il participe l’intéressent bien plus que l’indécente et morne litanie de son prof d’Histoire. Résultat : il est éliminé du circuit général dès le 3ème tour des qualifications et parachuté en CAP « Exécution graphique » qui le mène ensuite vers un BAC Pro « Communication » à Bobigny. Le bug de l’an 2000 vient de ne pas se produire alors Mathieu pédale dans la semoule de l’internet dans un studio de création graphique et apprend à maîtriser le codage php, html css, jongle avec les vecteurs de MacroMedia Flash et s’envoie à fond sur CDRom interactif. Une vocation numérique vient de naître…
… alors, lorsque le patron de « Drôle d’agence », Jean-Louis – mais pas le gars des huîtres ! – propose de l’embaucher au SMIC à la fin de son alternance, Mathieu hallucine d’abord, puis rigole, avant de décliner et de prendre des vacances en Nouvelle-Calédonie. Après un retour au gris bercail métropolitain, il décide de tenter une première aventure entrepreneuriale et lance « La Fabrik » avec son index et sa fourchette, en attendant que sa copine termine ses études. Un an plus tard, en 2005, l’appel de la Tribu est le plus fort : le couple déménage en Calédonie et passe quelques mois en terres Kanak avant d’être rappelé à l’ordre par les clients. Les mises à jour de leurs sites n’attendent pas le chant du cagou, alors Mathieu s’installe à Nouméa pour squatter internet ici et là. Quelques mois plus tard, il comptera à son actif de patenté la création du site de « Royal Motors NC » et celui de la « BCI », une carte de visite numérique qui le pousse à changer de statut : adieu la patente, bonjour la SARL et les fiches de paie.
Depuis, l’eau a coulé sous le pont de Mouli et Mathieu est devenue l’une des figures digitales du Caillou, tandis que sa fabrique numérique tourne à plein gaz. Entre temps, son parcours d’entrepreneur s’est étoffé ; associé de l’agence « Numerik Vodka », fondateur de « Shop.nc » qu’il revend cinq ans plus tard à son alter ego digital Hatem Bellagi, investisseur dans une boîte de dev’ à l’Île Maurice, créateur du réseau propagandiste « J’entreprends », le « man » est dans l’action. Action qu’il prolonge au fil des années grâce à des responsabilités à différentes fonctions : vice-président de la V1 du Cluster Numérique – aujourd’hui présidé par… Hatem ! -, référent numérique du MEDEF pendant quelques années, et désormais Vice-Président de l’Observatoire Numérique Nouvelle-Calédonie, Mathieu s’engage pour digitaliser la NC en affirmant que « le digital et l’entrepreneuriat sont ses chevaux de bataille institutionnelle ». De la selle de vélo à celle du canasson, il n’y a que quelques centimètres de plus !
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Le « vivre ensemble » à la sauce Derex
« J’essaie de promouvoir l’accès à l’e-mail et au coffre-fort en ligne pour tous : il faut équiper tout le monde avant de prôner les bienfaits de l’iA ou de l’IoT ! », râle-t-il derrière ses lunettes de jeune papa-quadra. Faut pas trop le chauffer sur le sujet et, manifestement, celui-ci lui tient à cœur : « quand on sait que 50% des entreprises locales ne sont pas digitalisées et que 20% de la population est illettrée, la logique prioritaire, c’est le « bottom-up » ! ». Comprenez « l’apprentissage des bases numériques à la population avant de tous s’envoyer sur la lune en visioconférence ». De son expérience du terrain, il énumère les tendances digitales actuelles : gestion automatisée de la relation client, marketing automation, réseaux sociaux et site e-commerce all in one sont à la mode. La « dataviz » devrait bientôt suivre « pour les mieux lotis et les plus motivés ». Ouf, il se passe quand même quelque chose en NC !
Le succès de la récente conférence de presse pour le premier anniversaire du site « Agripedia.nc » qu’il a réalisé avec « La Fabrik » confirme cette digitalisation du tissu économique en cours de chargement. Seules quelques « secousses » politiques perturberaient son accélération. « Je suis assez optimiste sur la situation politique : les deux extrêmes beuglent mais le « vivre ensemble » est déjà une réalité de la société civile ! ». Scud toujours : « Ça fait 30 ans que ce projet pour l’avenir de la Calédonie doit voir le jour mais toujours que dalle : le statut des Jeunes Entreprises Innovantes ou la Station N, c’est que de la com’ ! ». L’homme d’action goûte aussi peu les sempiternelles discussions politiques, que la démagogie autour des « prélèvements » de requins : « on se vante d’être un hot spot de la biodiversité en tuant des espèces protégées ! ».
Le cyclone est passée, le tsunami évité et Mathieu se radoucit alors en évoquant notre beau lagon qu’il sillonne régulièrement sur son bateau, son jet ski ou sa planche de kite ; la Calédonie est désormais sa maison et les parties de pêche, comme les magnifiques plongées sous-marines, ses activités favorites lorsqu’il ne s’occupe pas de son nouveau-né. Levé à cinq heures avec le soleil, notre sportif du quotidien a trouvé un équilibre pro-perso qui lui convient parfaitement : « ici, tout est possible et accessible simplement ! », résume-t-il, finalement heureux. Profondément convaincu que les visions européenne et kanak se mélangent parfaitement et que le « vivre ensemble » est déjà une réalité, il continue d’investir sur le territoire et de prêcher l’évangélisation numérique. Amen !
Affuté Affutant
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Docteur du « vivre ensemble » et Mister Numérique
Discuter avec Mathieu, c’est prendre quinze piges de recul sur la transition numérique de la Nouvelle-Calédonie. Papoter avec Derex, c’est aussi entendre des coups de gueule politiques passionnés. Ainsi, Mathieu serait ce genre de Mister Numérique et de Docteur du « Vivre Ensemble » mais, chez lui, les deux personnalités se complètent plus qu’elles ne se dissocient… … parce qu’avant de partager sa science digitale et de râler sur les « blablas » politiques, Mathieu reste en premier lieu un amoureux transi de notre beau Caillou et un spécialiste investi dans sa transformation numérique. Ne reste plus qu’à savoir le (dé)coder !
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