Le saviez-vous : plus de 3000 langues risquent de disparaître d’ici à 2050 ! Ce constat vaut aussi bien pour les dialectes régionaux internationaux que pour les langues du Pacifique insulaire. Dans ce contexte de potentielle crise sociale, une startup polynésienne, « Speak Tahiti – Paraparau Tahiti », a développé une plateforme logicielle qui permet à tout un chacun de déployer un portail interactif de diffusion et d’apprentissage d’une langue et de sa culture. Pagaie sur le Va’a, la jeune pousse innovante vient d’annoncer une levée de fonds en crowdfunding.
__
Do you speak « Tahiti » ?
Depuis 2019, Heiura Itae-Tetaa est au four et au moulin… L’entrepreneuse polynésienne, également présidente de la French Tech PF, est une fervente défenseuse de la sauvegarde des langues ; et pour appuyer son combat, elle a donc fondé « Speak Tahiti – Parapau Tahiti », une jeune pousse qui propose des « formations pour l’apprentissage du reo tahiti auprès de différents groupes démographiques : enfants, adultes, scolaires, entreprises ». En parallèle, la startup propose des supports pour faciliter l’apprentissage : livres, e-book, e-learning grâce à des MOOCs inspirés. Interactivité et immersion dans la culture polynésienne sont ses fers de lance pédagogiques.
Alors que des budgets conséquents sont dédiés chaque année à la préservation des langues, les outils de diffusion font défaut. Autre constat : les services d’apprentissage existants n’offrent pas la possibilité d’ajouter des langues à leur catalogue. Lorsqu’on sait que le marché de l’apprentissage des langues et cultures minorées est estimé à plus de 2,5 milliards de FCPF par an, on flaire rapidement la pertinence d’une telle innovation. Forte de ces données, Heiura et son équipe ont développé « E-Reo », un portail interactif des langues accessible et ouvert à tout un chacun.
Pour résumer la solution, « E-Reo » permet à chaque utilisateur de produire et organiser ses contenus linguistiques et de déployer son propre portail interactif dans sa langue tout en promouvant son existence auprès d’une communauté d’utilisateurs. Et pour les administrateurs, pas besoin d’être informaticien, ni d’avoir une connexion internet haut-débit ! « Les activités proposées sont conçues avant tout comme des jeux, bénéficiaires de l’expertise de linguistes et didacticiens, ainsi que sur les connaissances acquises ces vingt dernières années sur l’adoption et la rétention d’utilisateurs finaux dans le domaine des applications mobiles et des réseaux sociaux » détaille Heiura, la fondatrice et Directrice Générale.
__
La tech au service de la culture
Il faut bien comprendre que le Réo, le Drehu, le Tongan, le Gagana Sāmoa souffrent autant de l’uniformisation des langues que l’Alsacien, le Breton, le Basque ou le Corse et que, partout à travers le monde, tout comme ces dernières, ce sont donc près de 3000 langues et dialectes, souvent transmis oralement, qui vont disparaître si on ne met pas l’accent sur des modes d’apprentissage modernes et accessibles à tous. Pour éviter cette catastrophe culturelle, « E-Reo » s’appuie également sur de l’intelligence artificielle qui permet d’augmenter l’adoption et la vitesse d’apprentissage des idiomes autochtones. Un bel exemple de technologie appliqué à la préservation culturelle et sociale. « Une langue qui disparaît, c’est une pensée et des savoirs qui s’en vont », ajoute la fondatrice qui a inscrit sa démarche innovante dans la Décennie des langues autochtones des Nations Unies.
L’hyperactive Heiura, consciente de l’urgence, s’est donc lancée ce défi et a mis sur pieds une solution « open » qui pourrait permettre à bien des « ethnies » de protéger leur langage. Forte de ses premiers succès d’estime auprès de la population polynésienne, la startup s’est lancée dans une première levée de fonds qui servira son développement et sa diffusion à l’international.
« Les territoires qu’on vise, c’est l’Océanie, l’Europe et les Amériques »
confirme Heiura à Radio 1 en affirmant ses ambitions.
Pour remplir cet objectif, « Speak Tahiti – Paraparau Tahiti » s’est appuyée sur Invest In Pacific, seule structure de la région à disposer de l’autorisation AMF de pratiquer l’activité de « Conseil en financement participatif ». Du crowfunding que les startup calédoniennes Testeum et Optimal RH connaissent bien…
__
Polynésie – Calédonie : même combat !
Voilà déjà deux semaines que la startup a lancé sa levée de fonds et, en un rien de temps, elle a déjà rempli un objectif : atteindre la barre des 66% de financements récoltés en 10 jours sur les 54 millions FCPF initialement espérés. A date, la startup a déjà fait grimper le montant de la cagnotte à 46,5 millions FCPF. Deux chiffres qui en disent long sur l’engouement des investisseurs océaniens pour ce projet « Culture-Tech ».
De passage en Calédonie pour le « Tech4Good NC Summit » drapée dans son rôle de présidente de la FTPF, Heiura nous a confié :
« La problématique qui touche le Réo est la même que celle qui touche le Drehu et les autres langues calédoniennes : Speak Tahiti est une réponse à ce danger de disparition culturelle ».
Fort à parier que certains investisseurs de chez « nouzôtres » pourraient également flairer la bonne affaire… à suivre !
__