Suite au lancement du nouvel appel à manifestation d’intérêt lancé par le gouvernement et la Caisse des Dépôts dans le cadre plus large de « Territoires d’innovation« , NeoTech est allé à la rencontre de Frédéric Guillard et Aurore Klepper pour en savoir plus sur cet « AMI ». Le chef du Service de l’Aménagement et de la Planification du GNC et la chargée d’affaires du Pôle Innovation de l’ADECAL se sont confiés sur l’histoire de cet appel à projet historique pour la Calédonie avec un seul et même objectif : amener les porteurs de projet innovants à « faire de la préservation et de la valorisation de la biodiversité, un nouveau moteur de croissance. »
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Bonjour et bienvenue sur NeoTech ! Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ainsi que la structure pour laquelle vous travaillez et son rôle dans l’écosystème calédonien de l’innovation ?
Frédéric Guillard : Bonjour ! Je suis le chef du Service de l’Aménagement et de la Planification au gouvernement (SAP) ; comme vous le savez, le GNC joue un rôle important pour soutenir l’innovation en Calédonie. Le SAP est, pour sa part, plus particulièrement mobilisé sur le sujet de « Territoires d’innovation » et, plus globalement, sur la stratégie de l’innovation calédonienne.
Aurore Klepper : Bonjour, de mon côté voilà bientôt quatre ans que je suis chargée d’affaires au pôle innovation de l’ADECAL ; notre mission principale, c’est d’accompagner les entreprises et les porteurs de projets innovants et, plus globalement, l’écosystème de l’innovation. Nous sommes ainsi en assistance à maîtrise d’ouvrage pour le gouvernement sur le projet « Territoires d’innovation ».
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Pouvez-vous partager avec nous l’historique de « Territoires d’innovation » en quelques dates clés ?
F.G. : L’origine « archéologique » du sujet se situe en 2017 lorsqu’un appel à manifestation d’intérêt est lancé par l’État auquel répond la Nouvelle-Calédonie. A partir de cette période s’enchaîne une longue séquence de travail avec les porteurs d’action pour concevoir la candidature calédonienne et c’est d’ailleurs à ce moment-là que le pôle innovation intègre le projet.
A.K. : En 2019, la Nouvelle-Calédonie dépose sa réponse à l’appel à projet final, « Territoires d’innovation » avec une quinzaine de porteurs d’action…
F.G. : … s’ensuit l’instruction du dossier par la Caisse des Dépôts et les services de l’État et la Calédonie est déclarée lauréate de l’AAP et demeure, à date, le seul territoire outre-mer lauréat sur un sujet maritime.
Puis, mi-2020, nous avons signé l’ensemble des conventions avec la Caisse des Dépôts, l’ensemble des porteurs d’action et le consortium avant que ne débute la partie opérationnelle fin 2020.
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Quelles sont les projets et organisations qui ont déjà pu bénéficier de ces financements ?
A.K. : Aujourd’hui, nous avons dix porteurs d’action en subvention et d’autres en prise de participation parmi lesquels :
– AEL qui réalise des études environnementales en milieu marin ;
– NC BioRessources, porteurs de deux fiches action dont une en partenariat avec l’UNC ;
– BioTecal, une société de biotechnologies qui valorise les richesses naturelles de la Calédonie ; – Ferme Aqua, une filiale de Nord Avenir, la ferme corallienne de Lifou, un projet porté par la Province des Îles ;
– Squale Odyssey, un projet de Bastien Preuss sur la sensibilisation autour de la biodiversité marine ;
– Royal Recy Boat et le recyclage à 100% des bateaux en fin de vie ;
– Abyssa et sa flotte de drones en prise de participation,
– OoTECH, anciennement Gallieni Coworking ;
– L’ADECAL Technopole et un projet sur la revalorisation des déchets de poisson.
Certains bénéficient aujourd’hui d’une subvention mais seront concernés ensuite par une prise de participation car il faut, a minima, dix-huit mois entre les deux actions.
F.G. : Côté « prise de participation », nous avons également le « Hub de données géo-spatiales » porté par le Groupe CIPAC et la « Cité de la connaissance » qui a vocation à créer un lieu emblématique de regroupement des porteurs d’action et du grand public pour l’appropriation de la biodiversité comme source de business.
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Pouvez-vous partager avec nous, à date, quelques exemples de projets qui ont été accélérés grâce à ces financements ?
A.K. : De nombreux projets sont encore en phase d’études ; c’est, par exemple, le cas de la ferme corallienne de Lifou qui n’existe pas encore mais qui est en cours de création. D’autres projets, comme Royal Recy Boat ou NC Bioressources, avaient de lourds investissements à réaliser, notamment dans l’achat de machines. Sans ce dispositif, ils n’y seraient pas arrivés… Pourtant, ces machines vont leur permettre d’entrer dans une phase d’accélération sur le développement de leur filière.
Après un démarrage en 2020 contrarié par la pandémie qui a, par exemple, retardé la livraison des machines pour certains projets, l’année 2021 a servi aux porteurs d’action à avancer sur la phase de R&D et 2022 doit être l’année du développement concret et commercial des projets.
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On parle de subventions et de prises de participation, qu’est-ce que cela sous-entend ?
F.G. : Ça dépend de la nature du projet ; certaines entreprises ont besoin d’un petit coup de pouce et l’apport en subvention apparaît plus adapté et plus immédiat qu’une prise de participation qui correspond à une entrée au capital de la Caisse des Dépôts, un mécanisme plus lourd. Ces deux mécanismes s’adressent à des projets d’ampleur différente mais peuvent également être complémentaires.
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Vous venez de lancer un nouvel « appel à manifestation d’intérêt » dans le cadre de « Territoires d’innovation » ; pouvez-vous nous en dire plus sur ce sujet ?
F.G. : Effectivement, cet AMI a été lancé il y a maintenant deux semaines avec une date de clôture prévue pour le 16 mai au soir ; nous appelons donc tous les porteurs d’action, privés et publics, à venir bénéficier des co-financements apportés par « Territoires d’innovation ».
Nous ne sélectionnons pas les sujets « par secteur » car ils sont, a priori, tous éligibles quand ils contribuent à l’ambition du projet, c’est-à-dire, « faire de la préservation de l’environnement et de la valorisation de la biodiversité un moteur de croissance ».
Le deuxième critère essentiel c’est d’avoir un modèle économique robuste bien qu’à ce stade, même à l’échelle internationale, personne n’a encore trouvé de solution économique viable ; c’est pourquoi nous faisons appel à l’innovation des entreprises calédoniennes pour trouver de nouveaux moyens de préserver la biodiversité et l’environnement.
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Quels sont les principaux critères à respecter pour être éligible à ces formes de financement ?
F.G. : Il faut bien évidemment que les actions et projets soient alignés sur l’ambition de l’AAP et qu’ils fonctionnent grâce à un modèle économique viable ; le financement apporté par « Territoires d’innovation » n’est pas un « one shot » ! L’objectif c’est d’amorcer une croissance réelle et quantifiable puis, à terme, d’exporter sa solution à l’international car les clients finaux sont tous les pays de la région, voir du monde, ceux qui rencontrent les mêmes problématiques liés à la préservation de la biodiversité et de l’environnement.
A.K. : Un point de vigilance cependant : les projets doivent être exemplaires et innovants ; nous cherchons des projets valorisables, « réplicables » sur d’autres territoires du Pacifique mais également des projets adaptés aux seuls besoins de la Nouvelle-Calédonie.
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Quelle est votre définition de l’innovation ?
F.G. : Nous sommes ouverts à tous les types d’innovation, pas seulement l’innovation de rupture… Les projets d’adaptation d’une solution extérieure aux spécificités de notre territoire sont également recevables. L’innovation, c’est ce qui fera qu’on sera en capacité de trouver une adaptation de notre modèle de développement tel qu’il n’existe pas aujourd’hui. Notre volonté, c’est de trouver des solutions économiquement viables pour préserver l’environnement et la biodiversité et, dans ce contexte, nous avons besoin de l’intelligence collective pour atteindre ces objectifs.
A.K. : Je partage l’avis de Frédéric car, à mon sens, il n’y a pas qu’une seule et unique définition de l’innovation ! Je crois que nous devons innover à tous les niveaux ; nous avons autant besoin d’innovations de ruptures dans la transition énergétique par exemple, que d’innovation sociales et adaptatives à l’échelle de notre territoire. Les notions de « risque » et de « créativité » sont également importantes pour définir l’innovation.
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Pour voir un peu plus large, quelles sont, selon vous, les spécificités de « l’innovation à la Calédonienne » et en quoi ce domaine peut-il être un outil efficace pour lutter contre le changement climatique ?
F.G. : Le changement climatique est une réalité à laquelle personne n’a encore trouvé de solution en matière de développement économique ! Tout l’enjeu, c’est de trouver des modèles économiques fiables qui nous permettent d’être résilients face à cette évolution néfaste de nos écosystèmes. Le défi est colossal !
A.K. : Notre territoire est confronté à des problématiques écologiques très concrètes – montée des eaux, autonomie alimentaire, dépendance aux importations… – qui nous poussent à innover. Nos spécificités font qu’il faut trouver des solutions maintenant ! On constate à ce sujet que les porteurs de projet orientent souvent leurs travaux vers ces thématiques, tout simplement car nous sommes au cœur de ces problématiques. A nous d’être, une fois encore, les pionniers sur ce sujet.
F.G. : Nous sommes dans un pays où le développement est calqué sur ce qui est fait ailleurs avec un retard conséquent dans de nombreux domaines. La spécificité de l’innovation calédonienne, c’est de franchir des paliers plus rapidement au lieu de monter marche après marche. C’est l’une des raisons pour laquelle, localement, il y a beaucoup d’innovations d’adaptation : ce sont ces « adaptations » qui nous permettent de franchir des paliers beaucoup plus rapidement.
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Quels sont actuellement les freins à l’innovation que vous pourriez recenser sur notre territoire ?
A.K. : En numéro 1, écrit en lettres rouges : les financements ! Les financements classiques concernent rarement l’innovation qui nécessite une prise de risque importante. Les fonds d’investissement de capital risque jouent normalement ce rôle et ici, il n’y en pas ! Nous n’avons ni l’écosystème financier, ni la culture de l’investissement dans l’innovation et ces deux facteurs représentent des freins énormes. C’est dommage car nous avons les outils idoines à l’amorçage mais en ce qui concerne le développement et l’accélération…
F.G. : Effectivement, il manque de gros investisseurs locaux et internationaux et, à ce sujet, la Calédonie doit être plus visible à l’échelle mondiale ce qui est également l’un des objectifs d’un programme comme « Territoires d’innovation ». Une visibilité accrue nous permettra sans doute d’attirer des investisseurs alors que, pour le moment, nous nous contentons de survivre avec nos petits moyens.
En matière de législatif, il manque également encore des outils bien que, dernièrement, le gouvernement ait promulgué des textes comme le « Crédit Impôt Recherche », le « statut des Jeunes Entreprises Innovantes » qui favorisent l’innovation et ses écosystèmes.
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Un dernier mot pour nos lecteurs ?
F.G. : INNOVEZ ! A vous désormais de réfléchir à comment faire de la préservation de l’environnement et de la biodiversité un moteur de croissance. Soumettez vos projets qui seront instruits dans la plus stricte confidentialité et la bienveillance ! Si vous démontrez qu’avec un coup de pouce financier, vous êtes capables de faire fonctionner un modèle économique pérenne, la porte est grande ouverte !
A.K. : Un petit mot sur le jury qui se déroulera en deux étapes ; d’abord un premier jury avec le gouvernement, assisté des toutes les expertises externes nécessaires en fonction de la nature des sujets proposés. Dans un second temps, le jury sera composé de la Caisse des Dépôts et de l’État pour que tous les acteurs de « Territoires d’innovation » puissent se concerter et décider ensemble. N’oublions pas non plus que les porteurs de projet seront invités à « pitcher » pour présenter et défendre leur projet !
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Pour d’informations sur le site du gouvernement ou en écrivant à l’adresse suivante : ti-nc@gouv.nc