« Prés de 70% de notre planète se trouve en-dessous de 100 mètres de fond et nous n’en avons presque aucune connaissance : on connaît mieux la surface de la Lune que les grands fonds ». Échanger avec Lionel Loubersac, bientôt 70 printemps au compteur, c’est avant tout se noyer dans un océan de connaissances du milieu marin. Fondateur de la filiale locale de la société ABYSSA SAS, ce « jeune retraité » défend la vision d’un monde technologique qui soit de connaissance au service de la préservation et la valorisation de l’environnement. Escale dans la vie de ce plongeur scientifique invétéré… 

Lionel Loubersac vous salue bien bas… © NeoTech

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Charentais d’origine, globe-trotteur de métier, Calédonien d’adoption

Résumer la carrière de Lionel serait un exercice aussi périlleux que de vouloir explorer les abysses en slip de bain ; en effet, cet ingénieur en génie de l’eau et de l’environnement, spécialiste de la télédétection et du traitement numérique d’images a mené sa barque aux quatre coins du globe, uniquement (télé)guidé par sa passion de l’environnement maritime. Des rejets frauduleux d’hydrocarbures sur les côtes bretonnes, aux pollutions mazoutées de la Côte d’Ivoire, en passant par les nappes phréatiques des Îles Loyauté ou encore par la cartographie des atolls et les premiers systèmes d’information géographique sur la mer en Polynésie, Lionel a consacré sa vie à l’exploration et à la connaissance des mers et des océans. Arrivé en Nouvelle-Calédonie en 1976, puis reparti parcourir les mers du monde, toujours attiré par la richesse marine de la Nouvelle-Calédonie il y retourne et y a posé son sac. Désormais il se consacre aux questions posées par les grands fonds.

Sur les bancs de l’Université de Toulouse où il rédigeait sa thèse sur la cartographie des milieux côtiers du Pacifique Sud, le jeune Lionel ne s’attendait sûrement pas à prendre, plus tard, le poste de Directeur Délégué de l’IFREMER NC, ni sans doute, à être à l’origine de la création du Cluster Maritime calédonien (CMNC). D’ailleurs, qu’importe s’il faut prendre un jour sa retraite puisqu’on peut continuer à vivre par et pour sa passion ! Appelé récemment à la rescousse par les fondateurs de ABYSSA, il accepte encore une nouvelle mission : gérer la base de déploiement des drones AUV, dernières innovations sorties du laboratoire de cette Compagnie Française d’Exploration des Grands Fonds, de partenaires technologiques reconnus et des liens tissés avec l’Institut de Physique du Globe ou encore l’Ifremer.

« La vie sur Terre provient des grands fonds : si on ne va pas voir à l’origine, on ne comprend rien à l’humain ! Et nous devons respecter cette vie qui a mis 4 milliards d’années à trouver tout un tas de solutions qu’il nous faut aller voir, aller comprendre », s’emporte-t-il en m’expliquant le fonctionnement technologique de cette nouvelle génération de drones sous-marins. Avec près de quarante heures d’autonomie, ces générateurs de données sont capables de cartographier en 3D et en haute définition et sont dotés de sondeurs multifaisceaux, de sonars latéraux et autres capteurs intelligents relevant une foultitude de paramètres morphologiques, biologiques et physico-chimiques. Des petites merveilles technologiques qui vont nager désormais en « V » serrés, répliques sous-marines brevetées de ces merveilleuses formations aériennes dont les oies sauvages sont poétiquement coutumières. « La technologie inspirée des solutions que la Nature a su trouver permet une gestion intelligente du patrimoine sous-marin par une meilleure connaissance de ce patrimoine », conclut-il après une nuée de termes scientifico-techniques que nous n’aurons ni le courage, ni la culture suffisante pour les citer ici… 

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L’exploration, c’est la compréhension de l’Homme

L’écouter raconter les nombreuses missions auxquelles il a pris part permet de situer notre niveau de connaissance des abimes sous-marins – Spoil alert : on n’y connaît rien (ou vraiment pas grand-chose !) – et de faire preuve d’un peu d’humilité ; l’eau de mer, cet « H2O salée », est à elle seule, une merveille d’innovation : régulation du climat, génération de métaux et gaz rares, solutions d’hydrothermalisme, piégeage de carbone, émission d’oxygène, foisonnement de formes de vie et d’adaptations (…) sont autant de facteurs qui rendent la vie humaine bien douce sur le plancher des vaches. Cette eau est en outre la composante fondamentale de notre plasma sanguin et du liquide amniotique de nos mères où tous, nous avons séjourné. On l’oublie bien souvent*… Et pour ne rien gâcher, c’est souvent sous la surface que tout se joue ! Le défi technologique et scientifique est quasiment illimité et, lorsqu’il s’agit d’étudier Dame Nature, la « finitude » sort de l’almanach. 

Saviez-vous, par exemple, que cette nature sous-marine produisait naturellement de l’hydrogène et ce, pas au beau milieu de nulle part, mais dans des sites particuliers dont un gisement privilégié se trouverait à quelques milles nautiques au sud de la Grande Terre ? Auriez-vous pensé que notre Caillou était une anomalie géologique qui, sous l’effet des cycles de l’eau salée et de l’érosion de la terre, a produit et concentré des métaux tels que le nickel ou le cobalt ? L’océan, ce patrimoine naturel si cher aux Calédoniens, ne sert donc pas qu’à se nourrir de filets de perroquets ou de thons mais également à respirer et, peut-être un jour, à se déplacer, s’éclairer, stocker ou encore produire de l’énergie…

Les pupilles dévorées d’une passion gloutonne, Lionel plonge dans le flux et reflux de ses souvenirs ; 2012, sur l’Atalante, dans l’est des Îles Marquises si chères à Gauguin, il prend part à l’une des expéditions du programme « Extraplac ». La mission ? Explorer et cartographier les fonds sous-marins pour permettre aux États d’étendre les zones maritimes sous leur juridiction au-delà des 200 milles marins. La nature sauvage à perte de vue, des formations géologiques immenses sous la coque, la solidarité et la confiance réciproque de tous les membres de l’équipage le poussent même à rédiger un journal de bord pour partager ce que « la vie à bord d’un bateau pourrait apprendre aux terriens ». Naviguer sur un navire sophistiqué mais aux ressources limitées, où l’économie et la solidarité sont la base du quotidien et ce, au-dessus d’un monde totalement inconnu, n’est-ce pas l’ambition de n’importe quel explorateur ? 

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Un port scientifique en Nouvelle-Calédonie ? 

« Pour 1 dollar placé dans la recherche spatiale, on s’est aperçu qu’on recevait 3 dollars en retour sur investissement ; par exemple, dans une fusée, on a inventé des pièces métalliques qui peuvent bouger les unes sur les autres sans être lubrifiées : c’est ainsi qu’est né le Teflon qui te permet de cuire tes steaks à la poêle ! ». Le parallèle entre les recherches aérospatiale et sous-marine ne s’arrête pas là, tant les similitudes et opportunités économiques sont nombreuses. « En apprenant avec des techniques innovantes et non intrusives, dans des milieux agressifs, qui sont extrêmes, de pression, de chocs thermiques, d’acidité, de corrosion… on va trouver des solutions technologiques qui auront une utilité annexe pour la vie humaine ». Galaxies et abysses, même combat ! 

Don’t drop the mic’ © Lionel Loubersac

Aussi actif qu’à ses 20 ans – qui ne l’a pas croisé tout attentif au téléphone, ou encore à une conférence et autres réunions thématiques ? -, Lionel, après son rôle d’architecte du « Livre Bleu pour une stratégie maritime calédonienne » pour le compte du CMNC, rêve d’un nouveau baroud d’honneur : mutualiser les moyens du privé et du public pour créer un port scientifique à Nouméa. Une idée loin d’être irréaliste tant les applications seraient nombreuses : accueil des navires scientifiques français et étrangers, base maritime technologique pour les chercheurs calédoniens et internationaux, espaces de stockage des drones et autres outils d’observation et de surveillance de l’océan, d’entretien, de calibration, de gestion des données acquises… Ce port scientifique, en outre couplé à une cité de la connaissance de la mer ouverte au plus grand nombre, pourrait devenir un facteur d’attractivité, de culture et de recettes économiques non-négligeables ! Et Lionel de conclure notre rencontre : « L’Homme est partie prenante d’un écosystème global et, à ce titre, il doit apporter sa participation et sa compréhension de l’environnement dans le très profond respect de ce dernier ». Après l’avoir rencontré, comment ne pas en être convaincu… ? 

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*Loubersac Lionel (2021). L’eau de mer dans tous ses états . Revue Juridique Politique et Économique de Nouvelle-Calédonie , 2021/1(37), 255-275 . Open Access version : https://archimer.ifremer.fr/doc/00691/80355/