En Calédonie, les entreprises innovent ! Est-ce que RESCO, ça vous dit quelque chose ? C’est la contraction de deux mots : recyclage et scorie. Un joli nom pour une innovation qui fait son bout de chemin en Calédonie depuis quelques temps. En 2019, une réalité frappe Steve Corroyer et son associé chez Ecoblast : le média de sablage, utilisé dans le BTP, est importé. Ils y voient de nombreux inconvénients, notamment écologiques, alors ils décident de le fabriquer eux-mêmes, à partir de scorie, avec un processus industriel fait maison. Sa source ? La montagne de scorie de la SLN.
Baptisé ScorX, le produit fini semble faire ses preuves depuis le début d’année. NeoTech a rencontré le co-fondateur de RESCO, avec qui on a parlé processus industriel et écologie.
__
Bonjour Steve et bienvenue sur NeoTech. Tu es le co-fondateur de la startup RESCO. Peux-tu d’abord te présenter à nos lecteurs ? Qui es-tu et quel est ton parcours ?
Ça fait quatorze ans que je suis en Nouvelle-Calédonie. J’ai quitté la montagne des Alpes pour le lagon. J’ai fait mes études en France, un BTS en construction bois. Ensuite je suis partie un an en Nouvelle-Zélande, pour voyager et faire du « woofing. » Après cela, je suis rentré en France et je n’étais plus du tout en phase avec la mentalité française donc j’ai cherché du boulot à l’étranger. Je suis tombée sur une annonce sur un site néozélandais et il cherchait un charpentier, avec un passeport français et qui parlait anglais ; c’était pour travailler à KNS.
Je suis arrivé fin 2008, pour la construction de l’usine du Nord. J’étais coffreur pendant un an puis superviseur logistique. J’ai travaillé là-haut trois ans, puis chez eux pendant deux ans en Australie. Je suis revenu après en Calédonie où j’ai créé une société de levage, je louais des grues. Ça faisait huit ans au total que je travaillais pour le groupe, et je suis partie pour rejoindre Ecoblast, où je suis aujourd’hui associé. C’est une société de sablage-peinture et de revêtement de toiture.
__
Comment est née RESCO ? Qu’est-ce qui a motivé sa création ?
A Ecoblast, on était face à une incohérence : tout le média de sablage – qu’on utilise pour décaper les pièces métalliques – il est importé. En Calédonie, on est assis sur un tas de scorie à ne pas savoir quoi en faire, un matériau très abrasif et on ne peut pas l’utiliser brut car ça crée un certain nombre de problèmes. La réflexion est venue de là, en 2019.
On a travaillé sur le projet il y a quatre-cinq ans dans notre coin. Petit à petit, on a vu que ça fonctionnait, on a répondu à des appels à projets et on a formulé des demandes de subventions. On a commencé le projet avec Ecoblast et quand on a vu qu’il y avait un réel débouché, on a créé une activité à part entière. C’est comme ça que RESCO est né, en janvier 2022.
__
Quel est l’intérêt de cette innovation ?
Importer le média de sablage, ça coûte très cher. D’un point de vue environnemental, c’est catastrophique car le média importé provient des carrières. On dynamite des montagnes pour pouvoir décaper nos pièces métalliques, sans compter l’énergie que ça demande. L’aspect écologique est énorme. Aujourd’hui, le média de sablage arrive par bateau, par container et ça demain, on pourra l’annuler. La montagne de scorie normalement c’est une baie donc toute la scorie a été mise dans le lagon. Le produit fini que l’on fabrique est inerte.
Cette montagne de scorie n’est pas belle. Jusqu’à maintenant, on ne s’en souciait pas trop car il y avait de la place mais on commence à comprendre que l’espace n’est pas extensible à l’infini. Le tas prend de la hauteur et ça va limiter en hauteur dans peu de temps. Il faut rester humble : à notre échelle, on ne va pas diminuer le tas mais on peut au moins y contribuer. C’est l’histoire du colibri : si chacun amène sa goûte on peut aller loin.
D’un point de vue économique, toute la Calédonie et tous les sableurs y ont un intérêt. On peut arriver à fournir un média de sablage qui est moins cher que ce qu’on importe.
__
RESCO propose le recyclage, traitement et conditionnement de la scorie du nickel. Comment cela est-il possible ? Quel procédé est utilisé ?
En gros, il faut retirer le chlorure qui se trouve dans la scorie, le sécher à moins de 0,2% et c’est un gros séchage. Il faut ensuite le dépoussiérer et le cribler. Ça demande des machines spécifiques. Une fois que le « process » est en place, il faut savoir quoi faire pour arriver au résultat final. C’est le travail de plusieurs années pour arriver à avoir un bon produit. Les tests qu’on a fait révèlent qu’on a un dépôt de chlorure inférieur avec notre scorie traité qu’avec ce qui est aujourd’hui importé. Le chlorure il n’en faut pas car ça fait rouiller. On a remarqué que le produit issu de notre prototype a un meilleur rendement que le média de sablage qui est importé. On sable mieux et plus vite.
A l’heure d’aujourd’hui, on a un prototype de machine et grâce à Territoires d’innovation, on va avoir des machines l’an prochain qui vont nous permettre de normer le produit, en utilisation de sablage. On a fait un prototype de machine, avec ce qu’on trouvait localement, qui permet de faire ces opérations et qui nous permet d’avoir un produit utilisable mais non-normé. Les machines qu’on a commandées, elles vont pouvoir sortir un produit de meilleure qualité, en plus gros volume et on va pouvoir le normer. On part d’une scorie gris-vert clair, et le produit finit à du sable gris clair, un produit propre et sec.
Au total, on a fait trois prototypes de machines. On a fini le dernier en 2023. Il faut plusieurs machines pour faire toutes les étapes du process. Avec celles qu’on a aujourd’hui, ça se fait en plusieurs étapes et plusieurs jours. Notre objectif : l’année prochaine, quand nous aurons les machines, on devrait pouvoir faire 20 tonnes à la journée.
__
Quel est l’intérêt d’investir dans des machines pour recycler la scorie du nickel ?
L’intérêt de ces machines c’est qu’elles vont pouvoir traiter la scorie en termes notamment de taille de grains et d’humidité. On va pouvoir fournir à tous les acteurs qui veulent recycler la scorie pour leurs utilisations. Ces sociétés vont pouvoir nous demander de leur vendre de la scorie traitée. Il y a plusieurs possibilités économiques avec RESCO.
L’idée ce sera aussi de trouver la bonne recette de scorie pour l’utiliser dans les routes. A chaque fois, l’idée c’est de savoir comment la sécher, quelle est la granulométrie qu’il faut garder etc. Il y a un vrai travail à faire là-dessus. On part de la scorie brute et on voit comment la transformer pour l’utiliser en remplacement des produits de carrière.
Dans notre développement, on prévoit d’autres co-produits que le média de sablage. On prévoit de récupérer la poussière de scorie, pour l’ajouter au ciment. Ça permettrait d’utiliser moins de ciment pour avoir une construction plus écologique et baisser le bilan carbone. La SLN travaille déjà sur cette possibilité-là.
__
Tu es lauréat d’un prix en Nouvelle-Zélande, avec la French Tech. Peux-tu nous en parler ? Quelles sont les prochaines étapes et réflexions à mener pour RESCO ?
Ce prix de la French Tech Nouvelle-Zélande était ouvert à toutes les sociétés du Pacifique. Il récompensait dans cinq catégories et nous on était dans la catégorie « start-up impact. » Ça nous apporte de la légitimité dans notre projet, de la notoriété et ça nous ouvre quelques portes pour continuer à développer le projet et les co-produits que l’on veut faire au-delà du média de sablage.
Parmi les prochaines étapes, on attend que les cinq machines arrivent mi-2024, avec une ensacheuse pour ensacher en sacs de 20 kg pour des sociétés ou des particuliers. On va aussi déménager à la réception de ces machines, sur un endroit beaucoup plus grand à Ducos. Le terrain est déjà en train d’être préparer. La demi-lune sera faite d’ici début 2024. On va enfin pouvoir produire en plus grosses quantités et surtout affiner le produit et le normer. Fin 2024, on pourra essayer de l’exporter.
__
Quelle est ton ambition avec RESCO ?
Je vais toujours au bout des choses, je suis déterminé et perfectionniste. Ce serait une fierté personnelle d’arriver à faire quelque chose pour l’environnement, tout en créant de l’économie. Ce serait une fierté d’arriver à créer un cercle vertueux où tout le monde s’y retrouve en termes d’environnement et d’économie. C’est assez rare finalement, car l’un prend souvent le dessus sur l’autre. Là, on arrive à avoir des bienfaits des deux côtés. Si on arrive vraiment au bout, ça sera une fierté d’avoir fait ça. Ce n’était pas prévu au début mais je me rends compte que le projet RESCO commence à faire rayonner la Nouvelle-Calédonie hors de nos frontières, notamment avec ce prix en Nouvelle-Zélande, et c’est super d’aider à faire connaître le pays.
__