Et si la reprise calédonienne passait… par l’énergie ? Pas seulement celle qui alimente nos bâtiments, nos usines ou nos transports, mais aussi celle qui insuffle de l’audace aux filières, réinvente les pratiques et fait émerger des projets ambitieux. À l’Agence calédonienne de l’énergie (ACE), l’innovation sert de boussole très concrète : électromobilité, construction durable, process industriels plus sobres, solutions maritimes décarbonées, montée en compétences locales… bref, faire autrement et mieux avec ce qu’on a ici.

Jean-Christophe Rigual, directeur adjoint de l’ACE, nous ouvre les coulisses de cette dynamique : comment naissent les projets innovants, de quelle manière ils sont accompagnés et surtout, pourquoi l’agilité reste leur maître-mot. Prêt·e ? On embarque…

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Bonjour Jean-Christophe, bienvenue sur NeoTech ! Pour commencer, peux-tu te présenter et nous dire ce qui t’a amené à l’ACE ?

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Merci NeoTech ! À la base, je viens du génie civil et de l’architecture, avec un long passage dans le monde hospitalier en Polynésie, La Réunion, Cap-Vert… Autant te dire que dans un hôpital, l’énergie, c’est vital : impossible d’accepter la moindre rupture quand tu es en réa ou au bloc. Cette réalité m’a marqué et m’a fait plonger dans les sujets d’efficacité énergétique : comment on produit, comment on stocke, comment on consomme… En arrivant en Nouvelle-Calédonie, j’ai d’abord travaillé sur la construction du Médipôle et j’ai mesuré à quel point nos contraintes insulaires obligent à être malin : pas de pétrole, des ressources limitées, mais une vraie technicité locale. Quand l’ACE s’est créée en 2017, j’y ai vu l’endroit idéal pour transformer ces contraintes en opportunités.

Concrètement, notre rôle, c’est d’accompagner les porteurs de projets, qu’ils aient une idée à préciser ou une solution déjà avancée. On peut les aider sur le plan technique, les orienter vers les bons contacts ou encore les soutenir financièrement. Et parmi ces projets, il y en a un type qui prend de plus en plus de place dans notre action : les projets innovants.

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C’est quoi un « projet innovant » pour l’agence calédonienne de l’énergie ?

Facile ! Un projet est innovant à partir du moment où il n’existe pas encore en Nouvelle-Calédonie. Même si l’idée ou la technologie est déjà en place ailleurs, le fait de l’introduire ici suffit à la rendre nouvelle pour nous. Mais ça ne s’arrête pas là : il faut aussi que cette innovation puisse se dupliquer et vivre au-delà d’un premier essai. L’objectif n’est pas de financer un one-shot, mais de permettre une diffusion dans le tissu économique local, et pourquoi pas à l’échelle du Pacifique Sud, là où nos contextes sont proches. Enfin, un projet innovant doit pouvoir s’adapter à notre cadre normatif et assurantiel : pas question de rester sur une belle idée impossible à certifier ou à prescrire.

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Pourquoi l’ACE mise autant sur l’innovation en Nouvelle-Calédonie ?

Parce qu’ici, on ne peut pas faire du copier-coller de ce qui se fait ailleurs, ça ne fonctionne pas ! La Nouvelle-Calédonie, c’est un territoire insulaire, avec peu d’effet d’échelle, une économie contrainte et des ressources limitées. Beaucoup de technologies pensées pour l’Europe ou pour l’Australie ne collent pas à notre réalité : climat tropical, isolement logistique, coût des matériaux… Résultat : si on veut des solutions efficaces, il faut les inventer ou les adapter. Miser sur l’innovation, c’est aussi préserver nos savoir-faire locaux — soudeurs, chaudronniers, techniciens, en leur donnant de nouveaux défis. Enfin, l’innovation permet de garder un temps d’avance dans le Pacifique, en créant des modèles duplicables chez nos voisins francophones, comme la Polynésie ou La Réunion.

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Imaginons : j’ai une idée un peu folle, un projet innovant à lancer… Je fais comment pour toquer à la porte de l’ACE, et qu’est-ce qui se passe ensuite ?

Hyper simple ! Un mail via le formulaire de contact sur notre site, et on cale une pré-rencontre. Même si tu n’as « qu’une » idée, viens ! On a 7 ingénieurs de profils variés, une veille active (mobilité, bâtiment, process, etc.) et du retour d’expérience régional/international. On t’aide à affiner le besoin, discuter de l’approche, vérifier les contraintes locales (techniques, normatives, assurantielles. Côté financement, on dispose de subventions dédiées à l’innovation, avec des aides qui peuvent grimper jusqu’à 10 millions de francs, selon les projets. Et si ton sujet sort de notre périmètre, on te redirige vers le bon guichet, celui qui pourra donner suite à la demande. L’idée : ne laisser personne sur le bas-côté.

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Autour de la table avec l’ACE : quand les idées innovantes passent du brainstorming aux projets concrets. © ACE

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Côté délais et financeurs, dans combien de temps pourrais-je avoir une réponse ?

À l’ACE, on aime avancer vite. Si tu déposes ton projet le 1er du mois, il est instruit par nos équipes puis présenté au COTEQ, notre comité technique qui réunit tous les financeurs autour de la table : l’ADEMEBPI France, l’AFD, la Banque des Territoires… Ce rendez-vous a lieu chaque dernier jeudi du mois. En clair, 15 jours après le dépôt, ton dossier est analysé ; 3 à 4 semaines plus tard, tu as une décision. Et la semaine qui suit, si c’est validé, on peut te proposer une convention. Autrement dit, en un mois environ, tu sais si ton projet sera accompagné, comment et par qui. C’est un délai court par rapport à d’autres guichets, et c’est volontaire : notre objectif est de donner de la lisibilité rapide aux porteurs de projets innovants, afin qu’ils puissent se concentrer sur le concret plutôt que d’attendre des mois une réponse.

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Quels sont les blocages les plus fréquents quand vous accompagnez des projets ?

Le vrai frein, ce n’est pas tant la qualité des idées que la manière dont elles s’insèrent dans une filière. Si on accompagne un seul acteur, on crée vite des déséquilibres : l’un avance, les autres restent à la traîne, et les appels d’offres deviennent impossibles à équilibrer. C’est pour ça qu’on préfère travailler au niveau filière, pour faire monter tout le monde en compétence en même temps. L’autre blocage, c’est l’absence de vision stratégique : sans cap clair, chacun avance isolément. Par exemple, avec le STENC, on a enfin une colonne vertébrale qui fixe des objectifs et permet d’ajuster la trajectoire.

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Un cerf-volant géant pour tirer un bateau : non, ce n’est pas de la science-fiction, c’est le SeaKite. © Site Beyond the sea

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Mon petit doigt me dit qu’en septembre, aux Journées de la mer, tu as présenté des projets très concrets. Est-ce que tu peux nous en dire plus ? 

Oui ! J’ai présenté trois initiatives, dont le SeaKite, une technologie développée par le navigateur Yves Parlier et son équipe. L’idée : utiliser une aile de traction géante pour réduire la consommation de carburant d’un navire d’environ 20 %. Après un premier test concluant sur un catamaran, nous avons proposé de l’expérimenter avec la DI3T, qui entretient les phares et balises. L’ACE intervient ici comme financeur et coordinateur technique, en lien avec les chantiers navals locaux qui adapteront le bateau. Si tout se passe bien, le baliseur Louis Hénin pourra naviguer avec son kite dès le premier semestre 2025. Pour nous, c’est typiquement un projet où innovation, réduction carbone et emploi local se rejoignent. 

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Impressionnant ! Et au-delà du SeaKite, quels autres projets vous poussez en ce moment ?

Deux autres projets avancent vite. Le premier concerne des navettes maritimes équipés de motorisation100 % électriques. Après les événements de mai 2024, des transporteurs privés ont assuré une desserte provisoire entre le centre-ville et les quartiers côtiers. Avec eux et la CCI, nous avons étudié la faisabilité de mise en place d’une offre de navettes maritimes décarbonées pour le Grand Nouméa. Objectif : mettre à l’eau un ou deux bateaux pilotes dès 2026, avec notre appui technique et financier. Le second projet vient de la compagnie française TOWT, qui développe des voiliers-cargos propulsés uniquement à la voile, capables de transporter des marchandises comme du café, du miel ou d’autres produits. L’ACE ne sera pas armateur, mais nous facilitons les contacts locaux et pouvons cofinancer l’adaptation du projet au territoire. Leur arrivée dans le Pacifique pourrait être envisagée en 2026. Et au-delà de la mer, la même logique d’innovation s’applique aussi au bâtiment, à la mobilité terrestre et aux process industriels.

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Pour finir, si tu devais résumer l’avenir de l’ACE en un mot, ce serait quoi ?

Un mot ? Agilité. Ici, rien n’est figé : nos dispositifs évoluent tous les quatre ou cinq mois, parfois plus vite encore si le terrain nous le demande. Un projet qui cartonne en deux mois alors qu’on l’avait prévu sur six ? On ajuste. Une mesure qui ne donne pas les résultats attendus ? On pivote. C’est notre force : une agence de 12 personnes avec des profils complémentaires pour embarquer tout un écosystème. Bien sûr, on rend des comptes à notre conseil d’administration, on suit les objectifs du STENC, on a des points d’étape réguliers. Mais tant que la boussole reste claire, réduction des émissions, montée en compétences, transition énergétique, on se donne la liberté de changer de braquet. L’ACE de demain, c’est ça : une agence souple, agile, opérationnelle sur le terrain en étant proche des besoins et capable d’innover.

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