L’intelligence artificielle révolutionne bien des domaines, y compris celui de la création artistique et audiovisuelle. Mais comment la rendre accessible aux jeunes et en faire un outil d’expression et d’apprentissage ? Pour répondre à cette question, nous avons rencontré Guénolé Bouvet, organisateur local du festival AI4GOOD en Nouvelle-Calédonie. Ce concours international dédié aux 12-25 ans invite les jeunes à repousser les limites de la création vidéo grâce à l’IA, tout en les sensibilisant aux enjeux éthiques et sociétaux qu’elle soulève.

De l’origine du festival à son implantation sur le territoire, en passant par les défis de cette première édition locale, plongez au cœur d’un projet qui veut donner aux jeunes les clés du futur numérique.

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Bonjour Guénolé et bienvenu sur NeoTech. Pour débuter notre échange, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ? 

Bonjour NeoTech, je m’appelle Guénolé Bouvet et je suis l’organisateur local du festival AI4GOOD. Je fais également partie de l’équipe internationale qui veille à ce que le festival ait lieu dans différentes villes au niveau mondial. J’organise également des événements depuis de nombreuses années comme les TEDx

En mêlant organisation d’événements, ma passion pour l’IA et mes autres compétences notamment dans la formation, j’ai été naturellement pressenti pour m’occuper de l’organisation calédonienne de AI4GOOD.

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Le festival AI4GOOD est une organisation à but non lucratif, basé à l’île Maurice, peux-tu nous raconter l’origine du festival et nous expliquer les motivations qui ont conduit à sa création ?

Ce festival est un concours pour les 12-25 ans de création vidéo grâce à l’intelligence artificielle. Il a été initié l’année dernière par Charlotte Govin une passionnée d’intelligence artificielle, qui a d’ailleurs habité en Nouvelle-Calédonie pendant de nombreuses années. Après avoir participé à une compétition pendant la Fashion Week à New York, où elle a créé toute une gamme d’habits grâce à l’IA, elle s’est dit qu’il fallait absolument partager ce savoir-faire notamment auprès des jeunes qui ne sont pas forcément les plus favorisés. Elle a proposé l’idée à l’Institut français de l’île Maurice, qui a adoré l’idée, et qui l’a financée. Elle a ensuite trouvé quelques collaborateurs sur place. L’organisation s’est faite en quelques semaines, elle a proposé des ateliers/tutoriels en ligne pour tous les participants puis il y a eu la compétition. C’est ainsi qu’est née cette première édition en novembre 2024 à l’île Maurice qui a été un vrai succès avec environ quatre-vingts participant·e·s.

Pour cette seconde édition, l’idée était donc de proposer AI4GOOD un peu partout dans le monde. Charlotte a donc constitué une équipe internationale pour être le relais dans différentes villes du monde et gérer la coordination générale. 

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Quels sont les principaux enjeux pour cette première édition en Nouvelle-Calédonie et quel est ton rôle en tant que directeur ? 

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Cette année, il devrait y avoir une douzaine de villes réparties dans sept pays différents : au Sénégal, au Kenya, au Mozambique, en Afrique du Sud, à Madagascar, à Maurice, à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie. L’enjeu pour cette édition locale est de réussir à être prêt pour le mois de mai, ce qui n’est pas si simple à la suite des événements de l’année dernière. Il est difficile de trouver des entreprises qui ont la capacité de financer cette aventure. Nous avons notamment envie de fournir aux participant·e·s des licences logicielles qui leur permettront d’être illimité·e·s dans leur processus de création et d’offrir des lots aux gagnants comme des ordinateurs, tablettes ou smartphone. Mais tout cela coûte de l’argent et il est compliqué à ce jour de trouver des partenaires en capacité d’apporter un financement. 

Pour cette édition en Nouvelle-Calédonie, j’ai en charge la coordination générale ainsi que la recherche de sponsors, de partenaires financiers ou institutionnels. Je m’occupe également de l’organisation de la remise des prix qui aura lieu le 24 mai à la Station N et bien entendu du recrutement des participant·e·s. Je suis accompagné par des bénévoles de l’association ainsi que par des relais comme OPEN NC ou le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie (notamment le vice-rectorat).

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L’essence de ce festival réside dans le fait de donner aux jeunes les moyens d’exploiter le potentiel de l’intelligence artificielle. Au-delà du concours, quels sont les outils et les accompagnements qui seront proposés aux participants ?

Nous avons à cœur de sensibiliser les jeunes à l’intelligence artificielle et de leur permettre d’acquérir une certaine autonomie dans leurs utilisations. Bien qu’il soit ambitieux de parler d’autonomie complète, il s’agit avant tout de leur faire découvrir ces technologies et leurs usages qui ne sont pas encore généralisés. Certains jeunes utilisent déjà des IA comme ChatGPT ou Mistral, mais d’autres types d’intelligence artificielle restent peu exploités, comme celles permettant de générer des images ou du code. L’objectif est donc d’accompagner les jeunes dans une utilisation responsable de l’IA. Pour cela, son usage ne sera pas totalement libre, mais encadré autour de thématiques telles que la protection de l’environnement, l’inclusion ou le handicap. Il est important que les jeunes ne passent pas à côté de l’intelligence artificielle. Finalement nous nous retrouvons face aux mêmes enjeux qu’il y avait dans les années 90/2000 avec l’arrivée du web puis celle des réseaux sociaux. Dans l’évolution de la société il y a toujours eu des grandes marches qu’il ne faut pas louper parce que sinon nous nous retrouvons à la marge. Je pense que l’IA fait partie des trains qu’il faut prendre, aussi bien pour ne pas manquer la modernité que pour se l’approprier, savoir de quoi il s’agit et être sensibilisé aux mauvais usages de l’IA, actuels ou à venir.

Pendant le festival, nous avons donc vraiment mis l’accent sur l’aspect apprentissage que ce soit sur les outils mais aussi sur des aspects plus artistiques. Nous allons également avoir des modules autour de l’éducation à l’image et de l’impact environnemental des intelligences artificielles. Enfin, une partie des ateliers préparatoires s’articuleront autour de l’aspect éthique pour sensibiliser les jeunes utilisateurs et utilisatrices au fait que les images générées par les IA ont tendance aussi à reproduire des stéréotypes, notamment des stéréotypes de genre. À partir du premier mai, les participant·e·s auront accès à ces modules d’apprentissage. À l’issue ou pendant ces derniers, ils pourront commencer à produire leur court-métrage. Ils auront jusqu’au 20 mai, à minuit heure locale, quel que soit le pays pour soumettre leur production. Les prix locaux seront remis le 24 mai, puis une cérémonie internationale en ligne pour récompenser les meilleures productions au niveau mondial sera organisée le 31 mai.

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© AI4GOOD

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Comment le festival AI4GOOD s’intègre-t-il dans le paysage local, et comment travailles-tu avec les différents acteurs de la technologie et du numérique présents sur le territoire ?

L’objectif est de mobiliser un maximum d’acteurs locaux impliqués dans le numérique, l’éducation et la production audiovisuelle. Parmi eux, OPEN NC est un partenaire important pour nous car il regroupe de nombreuses entreprises du numérique. Le gouvernement, via le vice-rectorat, est également un relais essentiel, notamment pour toucher les établissements scolaires. L’idée est de trouver des relais au sein de ces établissements, comme des enseignants, documentalistes ou autres personnels motivés, qui pourront agir en tant qu’animateurs ou encadrants de l’événement dans leurs classes. Les établissements privés et publics peuvent participer. Certains de ces établissements accueillent des élèves issus de milieux moins favorisés, et il est essentiel de les inclure afin de réduire la fracture numérique. Nous pourrons également compter sur l’UNC notamment avec de BUT MMI.

En parallèle, des institutions éducatives et des structures volontaires participeront au projet, notamment en apportant un soutien financier. Il ne s’agit pas uniquement d’entreprises du numérique, mais aussi d’autres acteurs souhaitant associer leur image aux valeurs du festival : la jeunesse, l’intelligence artificielle, l’éducation à l’image, l’inclusion, l’environnement et le handicap. Ces thématiques sont porteuses et nous espérons pouvoir réunir un grand nombre de partenariats financiers malgré le contexte économique difficile. Enfin, les médias auront aussi un rôle à jouer pour assurer la visibilité de l’événement.

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Selon toi, comment l’intelligence artificielle transforme-t-elle le paysage créatif et artistique ? 

Cette question n’est pas facile car l’IA évolue vraiment rapidement. Il y a quelques années, on s’accordait presque tous à dire qu’elles ne seraient jamais en compétition avec les humains parce qu’elles manquaient de créativité et d’ « émotions » mais il se trouve que cela a changé. Aujourd’hui, des IA remportent des compétitions de photographie, composent des musiques, remportent des compétitions littéraires. Effectivement, le côté créatif peut être interrogé. Car il vient notamment des bases de données utilisées et créées pour la plupart par des humains. Il y a donc une sorte de spoliation derrière. Mais le fait est qu’aujourd’hui, les IA sont capables de proposer des images qui racontent quelque chose, qui donnent l’impression d’une créativité, qui donnent des émotions quand on les regarde. À mon sens, nous sommes à un moment où nous pouvons totalement la rejeter ou l’accepter. Nous pouvons très bien nous situer à mi-chemin en utilisant des outils d’intelligence artificielle pour produire des images ou des morceaux d’images, pour stimuler la création humaine. La démarche artistique existe toujours, elle est simplement différente. 

L’IA permet également de donner des moyens productifs à des personnes isolées, notamment dans le secteur audiovisuel qui était réservé à une poignée de professionnels. Aujourd’hui, il est tout à fait possible pour quelqu’un qui n’est pas dans ce milieu-là ou qui n’a pas de talent artistique de pouvoir malgré tout aller au bout d’une idée grâce à l’IA. Actuellement, une personne seule avec un téléphone portable peut produire des clips, courts-métrages, dessins-animés, etc. C’est une nouvelle dimension qui ouvre plein de perspectives même si cela peut aussi effrayer. 

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A ton avis, quels défis majeurs se profilent dans l’appropriation de l’intelligence artificielle par les jeunes générations ?

Il y a un véritable enjeu autour de l’éducation à l’image et de la capacité à ne pas se laisser tromper par ce que l’on voit. L’esprit critique devient une qualité essentielle à cultiver, peut-être même la plus importante aujourd’hui. Avec les avancées technologiques, on peut désormais faire dire n’importe quoi à n’importe qui, en utilisant sa voix et son visage, ce qui rend central l’apprentissage de la distinction entre images réelles et images générées par l’IA. Cela demande un effort d’enquête, similaire à celui que l’on faisait déjà avec les articles de presse en vérifiant leurs sources. Mais l’impact des images est encore plus puissant car elles marquent instantanément notre perception du réel et peuvent nous piéger bien plus rapidement. Par exemple, le phénomène des « boomer traps », répandus sur les réseaux sociaux est un piège utilisé par les brouteurs pour identifier des personnes crédules, qui pourront ensuite être ciblées par des arnaques. Même si les boomers sont souvent les premiers à tomber dans ces pièges, car pour eux, une image a valeur de preuve, les jeunes générations ne sont pas à l’abri, loin de là. 

L’enjeu pour la jeunesse est immense. Il s’agit non seulement d’apprendre à ne pas se faire manipuler, mais aussi de s’impliquer activement dans la construction des IA. Il ne faut pas laisser ce domaine aux seules mains d’une élite technologique homogène (riche, blanche, privilégiée), sinon les bases de données d’entraînement risquent de perpétuer des stéréotypes et des biais. Les images générées ne seront pas seulement dangereuses parce qu’elles ne reflètent pas la réalité, mais aussi parce qu’elles renforceront des visions biaisées du monde. Cela soulève des questions philosophiques et éthiques. À mon sens, l’enjeu n’est pas simplement d’accepter ou de rejeter les IA, mais de comprendre comment elles fonctionnent pour pouvoir les utiliser intelligemment. Une IA bien maîtrisée donne un véritable « super pouvoir » pour celles et ceux qui savent s’en servir. C’est un peu comme un saut évolutif au sens darwinien du terme.  

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Pour terminer, un dernier mot à adresser à nos lecteurs ?

Il y aurait beaucoup de choses à dire mais je dirai juste une chose : ne vous laissez pas distancer par les IA. 

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