Alors que notre population se retrouve confinée à la maison, le fantasme d’un univers virtuel collectif entièrement en ligne refait surface. C’est certainement ce qui explique les récentes agitations médiatiques autour du concept de métaverse, contraction de « meta » et « universe », soit littéralement « au-delà de l’univers” en anglais ; ce terme désigne un cyberespace parallèle à la réalité physique où une communauté de personnes peut interagir sous forme d’avatars et qui fascine plus que jamais les entrepreneurs et technophiles. 

Bienvenus dans le cyberespace… © Truth Daily

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De la science-fiction à la Silicon Valley

Imaginez un monde dans lequel nous n’aurions plus besoin de sortir de chez nous pour aller au cinéma, prendre l’apéro entre amis ou faire du shopping… Un monde numérique où nous pourrions mener une vie parallèle à la première personne depuis notre canapé… Plutôt pratique dans le contexte actuel ! Pourtant, le concept de métaverse ne date en rien de l’irruption du covid dans nos vies. Elaboré en 1992 par Neal Stephenson dans le roman de science-fiction “Le Samouraï virtuel” (ou “Snow Crash” en anglais), alors qu’internet n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements, il est vite devenu culte pour les entrepreneurs de la tech. Le livre décrit néanmoins un futur dystopique où les humains branchés au métaverse sont la cible d’un virus informatique qui endommage leur cerveau. Pas très réjouissant, donc ; mais les pionniers du web ne l’entendent pas de cette oreille et entrevoient dans ce concept disruptif l’avenir de leur industrie. Un an après la sortie du livre, la société de jeux vidéos “Steve Jackson Games” tente une première percée en lançant son propre système de réalité virtuelle, ingénieusement baptisé… « The Metaverse ». Un peu ambitieux pour les moyens technologiques de l’époque : leur univers reste limité et uniquement composé de texte. 

Il faudra attendre une décennie de plus, et la sortie du jeu “Second Life” en 2003, pour connaitre une nouvelle tentative de métaverse à grande échelle. Le jeu, gratuit, propose un univers virtuel en 3D et attire vite jusqu’à 36 millions d’utilisateurs dans le monde, ainsi que de nombreuses marques par l’odeur alléchées, comme IBM ou American Apparel. C’était sans compter sur la crise des « subprimes » qui met un terme aux projets de développement de ses créateurs, seulement quelques années plus tard. 

Second Life, un succès inattendu !

Depuis, le concept a continué de flotter dans les eaux de la fiction et c’est davantage du côté d’Hollywood qu’il constituera une manne véritablement rémunératrice. Des réalisateurs comme les Wachowski (avec leur saga “The Matrix”) ou Steven Spielberg sont en effet de férus lecteurs de Stephenson et viennent populariser son concept de métaverse à travers leurs blockbusters. Dans “Ready Player One” (2018), Spielberg met ainsi en scène une humanité accro à un métaverse vidéoludique et contrôlé par des grandes entreprises, le préférant à la réalité d’une Terre devenue apocalyptique.

Alors, le métaverse serait ce concept de science-fiction juste bon à nourrir les scénarios les plus ambitieux ? C’était sans compter sur l’avènement des réseaux sociaux et leurs milliards d’utilisateurs…

Trailer de © Ready Player One

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Facebook entre dans le jeu

C’était en Juillet dernier, le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, annonçait la création d’un département dédié au développement du propre métaverse de la firme, baptisé « Horizon ». Les interactions sociales sont évidemment le fond de commerce de son réseau mais Zuckerberg juge trop limitante la téléphonie mobile sur laquelle elles reposent actuellement. Pour lui, le métaverse sera « le Graal des interactions sociales », en permettant des « déplacements fluides d’univers virtuels en lieux physiques, comme des « téléportations » ». Sa qualité essentielle sera la présence, le sentiment d’être vraiment là avec les gens.

« Pour accomplir notre vision, nous avons besoin de construire le tissu connectif entre les différents espaces numériques, afin de passer outre les limitations physiques et de pouvoir se déplacer entre eux avec la même facilité qu’entre les pièces de sa maison », résumait-il dans une interview donnée au magazine The Verge

Le métaverse serait alors bien le successeur attendu de l’internet mobile. Depuis 5 ans, Facebook investit ainsi plusieurs milliards de dollars dans ces nouvelles technologies virtuelles, cherchant à créer les espaces où l’on vivra nos expériences sociales de demain. Les investissements portent à la fois sur les logiciels et le matériel, la firme ayant racheté la société Oculus, l’un des principaux fabricants de casque de réalité virtuelle, pour près de 3 milliards de dollars. Une stratégie rapidement imitée par TikTok, qui s’est à son tour approprié l’un des principaux concurrents d’Oculus

meta verse
Zuckerberg s’éclate dans le monde parallèle ! © Realite-virtuelle.com

Les métaverses semblent donc bien constituer le prochain « grand coup » dans lequel mettre des billes pour les géants de la tech : la course au développement s’annonce féroce ! Progressivement, les écrans, hologrammes, casques VR et lunettes de réalité augmentée pourraient permettre la concrétisation de la vision de Zuckenberg et de Stephenson. Mais de nombreux questionnements demeurent, tout aussi bien d’ordre techniques – quelles infrastructures pour héberger un métaverse ? -, qu’économiques – comment s’assurer que des entreprises acceptent d’y interconnecter leurs produits et comment y définir la propriété intellectuelle ? -, mais aussi et surtout éthiques – le métaverse renforcera-t-il encore davantage la domination des géants du web ? Et pour quel impact sur l’environnement… ? Il n’empêche que la numérisation toujours plus importante de notre quotidien continue de s’accélérer. 

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Une révolution déjà en marche

Les mesures de confinement n’ont fait qu’exacerber la tendance. Les apéro-skype avec les amis sont devenus monnaie courante, tout comme les réunions de travail sur Zoom. Nous apprenons avec Youtube, nous faisons notre sport quotidien sur Twitch… et même “Second Life” revient à la mode… Pour de nombreux analystes, ces phénomènes induits par la pandémie sont les prémisses de l’avènement d’un futur métaverse, également favorisé par l’essor de la « gaming culture » avec les plus jeunes. 

Metaverse
On lui repose la question ?

En avril 2020, le rappeur américain Travis Scott donnait même une série de cinq concerts entièrement virtuels, hébergés sur Fortnite, un jeu de tir populaire chez les 12-25 ans. L’évènement a réuni plus de 12 millions de spectateurs virtuels connectés via leur propre avatar personnel. Par le passé, Fortnite proposait déjà à ses utilisateurs de partager de nombreuses expériences annexes au jeu – et souvent sponsorisées – comme regarder le trailer du film “Tenet” de Christopher Nolan.  A la question de savoir si Fortnite était un simple jeu ou un début de métaverse, son PDG, Tim Sweeney, tweetait fin 2019 : « Fortnite est un jeu. Mais reposez-moi la question dans un an »

La révolution métaverse semble bel et bien en marche, avec la fin définitive de la frontière entre le réel et le virtuel. Il est en effet de plus en plus facile de passer de l’un à l’autre, de voir ces deux mondes s’interconnecter, tendance qui devrait être renforcée par le développement de la réalité augmentée. Reste à savoir à quel horizon nos capacités de mise en réseau et de puissance de calcul permettront de prendre en charge un monde numérique persistant pouvant être expérimenté en temps réel par des millions d’utilisateurs. Mais tout comme aucun changement formel n’a marqué la transition du web 1.0 au 2.0, le métaverse s’imposera naturellement aux internautes selon que les gens passeront plus de temps en ligne et s’identifieront davantage à leur vie numérique… 

Un trailer de film dans Fortnite © TheSlayer 360

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Une dystopie littéraire bientôt réelle ?

C’est certainement le propre des grandes crises traversées par nos sociétés que d’induire une disruption dans nos pratiques et de favoriser l’innovation technologique. Mais sans nous mentir, notre expérience pénible du confinement strict atteste bien que nous sommes encore loin de pouvoir nous enfuir et nous retrouver tous ensemble dans un monde virtuel en ligne.

Pourtant, les prémisses de la révolution « métaverse » sont déjà observables et nous pouvons faire confiance aux milliards investis par les géants de la tech pour que cette dystopie littéraire devienne une réalité bien tangible qui apportera son lot de problématiques structurelles et morales. Si le metaverse nourrit les débats technologiques et éthiques, il n’en demeure pas moins une réalité qui ne sera bientôt plus virtuelle !

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