Ancien “chairman” du groupe A2EP, co-fondateur de la start-up L2K Innovation et Président de l’association des “Talents Calédoniens“, Pierre Kolb se confie sur ses différentes missions. De l’innovation à l’IoT, des problématiques énergétiques à la recherche des talents calédoniens, il reste un expert incontournable lorsqu’il s’agit d’aborder ces sujets. NeoTech a passé un bon moment à discuter avec lui : morceaux choisis…

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Bonjour M. Kolb ; pourriez-vous nous présenter votre startup L2K Innovation, sa raison d’être et ses principales missions ?

L2K Innovation est une « société innovante calédonienne » : c’est ainsi que nous avons souhaité la décrire avec mon associé et co-fondateur Joël Kasarherou. Cette aventure a démarré il y a déjà plus de six ans avec pour objectif de démontrer qu’il était possible d’innover à une échelle internationale en Nouvelle-Calédonie. 

Notre mission est d’utiliser les objets connectés (IoT) et de les mettre en lien avec des problématiques maritimes. L’écosystème calédonien est particulièrement favorable à l’interaction entre les besoins utilisateurs et les solutions technologiques ; la valeur ajoutée de ce projet itératif provient donc de la combinaison de ces deux facteurs : besoin utilisateur et outil technologique.

L’exemple de notre collaboration avec la Sodemo qui possède plusieurs marinas à Nouméa en est une bonne illustration : on développe des concepts de « smart marina » bâtis à partir de briques technologiques qui correspondent à des besoins utilisateurs. Nous proposons alors des solutions technologiques adaptées, tels que des capteurs de détection de la présence de bateaux à quai, d’autres qui permettent d’écouter sous l’eau ou encore de mesurer des paramètres physico-chimiques de la marina. 

Pierre Kolb, co-fondateur L2K Innovation
L’équipe de la start-up L2K Innovation © L2K Innovation

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Qu’est-ce qu’une « smart marina » ? 

Je la définirais comme une marina qui permet aux parties prenantes – exploitants, utilisateurs et collectivités associées – de partager des informations rapidement, de manière économique en intégrant une notion de valeur ajoutée pour chacun. 

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Comment fonctionne la récupération de données via les plateformes sous-marines sur lesquelles vous travaillez ? 

Ce sont des plateformes qui visent à être complètement autonomes afin qu’elles puissent être placées dans des endroits relativement éloignés de la côte, dans la ZEE. Le fait qu’elles soient autonomes en termes d’énergie grâce à des panneaux solaires, mais également en termes d’acquisition et de transmission des données récoltées via un réseau satellite ou de la 4G présente beaucoup d’avantages ; elles permettent, en outre, de réduire le coût financier des interventions humaines lors de leur implantation, de leur maintenance et de leur rapatriement au port.

Grâce à ces plateformes et aux capteurs implantés, on peut relever la température, l’acidité (Ph), la salinité, l’oxygène dissous sur une longue période sans avoir à intervenir « humainement ». De notre côté, nous sommes des « assembleurs » : nous utilisons ces sondes et les optimisons avec différents objets connectés mais nous ne les produisons pas directement. L’intelligence embarquée via un processeur nous permet de traiter les données « in situ » et éventuellement de déclencher des alertes en cas de dépassement de certains seuils. 

Pierre Kolb, co-fondateur L2K Innovation
Joël Kasarherou & Pierre Kolb, co-fondateurs de L2K Innovation ©L2K Innovation

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Le secteur de l’IoT est en pleine croissance ces dernières années. Pourriez-vous nous citer trois objets connectés qui vont, selon vous, impacter durablement nos usages ? 

La plus grande révolution se fera sûrement dans la mobilité, à travers les véhicules autonomes notamment ; ça va transformer profondément nos modes de transport mais générer également d’autres problématiques : qui sera responsable aux yeux des assurances en cas d’accident ? 

Le suivi individuel de santé, et d’une manière générale de l’accompagnement humain est aussi très relié à l’IoT. Je pense aux personnes âgées qui sont vulnérables et parfois dépendantes : des capteurs IoT permettraient de vérifier, par le contrôle de séquences automatisées – ouverture du frigidaire, démarrage de la machine à café etc… -, que la personne est active et vit normalement. Les technologies actuelles permettent de faire ce genre de choses même s’il manque encore l’équipement de nombreuses infrastructures. 

Un mauvais côté de ces technologies se situe peut-être dans les programmes de surveillance que l’on peut déjà voir à l’œuvre dans certains pays. Entre la reconnaissance faciale et les capteurs embarqués dans les smartphones ou appareils divers, on peut déterminer précisément ce que font les gens en temps réel. Ce n’est pas parce que c’est « technologiquement faisable » qu’il est souhaitable que ce soit mis en place ! Vigilance donc… 

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Dans un écosystème mondial en pleine transformation numérique, la problématique de l’écologie devient prégnante ; selon vous, en quoi la technologie numérique peut-elle aider et accompagner la préservation de l’environnement ? Et comment réduire son impact écologique à l’échelle mondiale ? 

C’est un vrai problème ! La technologie est un outil aux capacités formidables mais très énergivore. Pour moi, il n’y pas de solution miracle si ce n’est que l’énergie utilisée doit provenir de sources non polluantes et, en particulier, des énergies renouvelables. 

Dans ce contexte, la Nouvelle-Calédonie dispose d’avantages quasiment uniques au monde, notamment sur l’énergie photovoltaïque. Nous savons tous que les courbes d’ensoleillement sont parmi les meilleures au monde par exemple. En revanche, pour fabriquer de grandes quantités d’énergie photovoltaïques, il faut naturellement du soleil mais aussi de la surface car la production d’un mégawatt représente en moyenne la superficie d’un hectare… De ce point de vue-là, la Nouvelle-Calédonie est le seul territoire français à disposer de ces deux atouts, sans conflit d’usage. 

Le dernier « atout » de la Nouvelle-Calédonie est son haut niveau de consommation énergétique « grâce », entre autres, aux industries métallurgiques électro-intensives. La Nouvelle-Calédonie se place en tête des plus gros pollueurs au monde par tonne de CO2, par an et par habitant : seuls les États du Golfe font « mieux » mais eux produisent du pétrole ! 

Et voilà un enjeu extraordinaire : produire assez d’énergie verte pour subvenir à ces besoins énergétiques. La production de ces énergies vertes pourrait permettre de créer bon nombre d’emplois en terres coutumières, de développer de nouveaux métiers liés à la maintenance – la filière ovine par exemple – et de valoriser certains espaces actuellement déserts. L’indépendance énergétique serait une belle victoire pour notre territoire et notre économie ! 

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Vous êtes l’un des anciens dirigeants de NCE (Nouvelle Calédonie Énergie). Au regard de cette expérience, pourriez-vous nous expliquer en quoi la transition énergétique calédonienne a-t-elle besoin de l’innovation pour se développer durablement ?

Je pense que la transition énergétique est basée sur des technologies en évolution constante ; le photovoltaïque coûte désormais beaucoup moins cher qu’il y a cinq ans et cette innovation est désormais accessible à tous. Pour atteindre l’objectif du « full ENR », on a besoin d’innovations technologiques sur au moins deux axes : le stockage – optimisation des batteries – et la production de l’hydrogène vert qui est actuellement en plein développement mais qui soulève des problématiques de transport. 

Ainsi, l’énergie verte produite en Calédonie pourrait servir, par électrolyse, à faire de l’hydrogène vert pour des usages calédoniens, notamment pour les engins miniers. Aussi, il faut continuer à innover parce que, même si tout ne fonctionne pas aujourd’hui, dans dix ans ces technologies seront intégrées dans les programmes de production, de stockage et de transport de l’énergie. 

Pour arriver à être 100% vert, il faudra des énergies pilotables ; aujourd’hui, c’est du gaz et du charbon mais demain ça pourrait être de l’hydrogène ! Aujourd’hui, les batteries sont performantes pour un stockage « jour – nuit » mais pas pour stocker sur de longues périodes saisonnières. Je suis convaincu que ces énergies et exploitations complémentaires peuvent permettre d’atteindre le 100% autonomie, sans impact CO2 direct. Ce n’est pas de la science-fiction mais il faut s’engager pour et programmer cette transition sur dix à quinze ans ! 

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Ces potentiels cercles vertueux sont confrontés à la réalité du coût écologique des batteries : la phase d’extraction est consommatrice d’énergie fossile et elles sont souvent composées de métaux rares. Comment limiter ces aspects polluants ? 

Dans l’activité humaine, en matière d’impact écologique, on fonctionne toujours avec la « moins mauvaise solution » mais il faut toujours continuer à avancer. Ces pollutions ne sont pas toujours du même ordre d’ailleurs. Si on prend l’exemple de l’activité minière, les problématiques d’extraction se situent à deux niveaux : environnemental et sociétal. L’extraction du cobalt par des enfants en Afrique doit cesser ! 

Dans les faits, la Calédonie pourrait se positionner sur un nickel responsable, à la fois vertueux en terme social et environnemental : le « nickel vert » est une vraie opportunité de se différencier d’autres producteurs peu scrupuleux. Le mouvement est déjà en cours : le « London Metal Exchange » (LME), la bourse des métaux, a annoncé que tout le nickel serait traçable d’ici 2022. Il faut que nous soyons des précurseurs et valoriser nos exploitations vertes grâce à une labellisation spécifique. 

En aval, on touche aux problématiques de recyclage ; le recyclage du photovoltaïque n’est pas très polluant mais certaines batteries comme les « lithium ion » sont composées de terres rares qu’il faut traiter avec précaution. Des compositions comme celle du « fer phosphate » sont moins polluantes par exemple… 

De plus, le recyclage des batteries se fait généralement par dissolution acide et nous avons l’usine de Prony Ressources qui utilise justement ce procédé. Rien n’empêche de penser qu’on pourrait adapter et compléter ce procédé pour récupérer ces métaux et optimiser notre recyclage. 

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On entend souvent dire que les réserves de nickel calédoniennes seront épuisées d’ici quelques décennies. Au regard de votre expérience, confirmez-vous ce postulat ? 

Non ! Il y a largement de quoi faire ! Nous ne vivrons pas l’épuisement de cette ressource, et nos enfants et petits-enfants non plus… Au rythme actuel et en considérant que la consommation continue de baisser, il n’y pas de limite à l’exploitation du nickel. 

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Quels sont actuellement les freins politiques, économiques ou technologiques qui handicapent cette transition énergétique ? 

Connaissez-vous Idriss Aberkane ? Ce conférencier et essayiste français s’est inspiré de Schopenhauer pour affirmer que l’appréhension de l’innovation suit trois étapes : d’abord, elle est considérée comme ridicule, ensuite comme dangereuse et enfin comme une évidence ! Ce sont essentiellement des freins psychologiques, humains… Le droit de vote des femmes, par exemple, a suivi cette même logique pour les conclusions que l’on connaît aujourd’hui… 

Un autre frein est lié à la taille des structures : il est plus difficile de faire bouger les mentalités à l’échelle d’un État ou d’une très grosse entreprise. Lorsqu’on y rajoute des enjeux complexes, variés et parfois opposés, l’évidence peut être jugée ridicule car elle contredit parfois des objectifs connexes. 

Une hypothèse pour illustrer ce sujet : l’État Français souhaite maintenir une industrie nucléaire en affirmant qu’elle est l’une des moins polluantes au niveau du CO2 alors, si on développe des technologies moins polluantes, on se tire une balle dans le pied… C’est toute la contradiction liée à ces problématiques énergétiques, environnementales et énergétiques ! 

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