Après avoir été le visage (rassurant) des conférences de presse pendant le mois de confinement d’avril, Christopher Gygès, Porte-parole du gouvernement et chargé, entre autres, de l’économie numérique a accepté de rencontrer NeoTech pour évoquer la situation numérique de la Nouvelle-Calédonie et partager avec vous sa vision de cet écosystème. Morceaux choisis…
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NéoTech : M. Gygès, en tant que Porte-parole du gouvernement de la NC, chargé de l’économie numérique, quelle est votre vision globale de cette économie numérique pour la Nouvelle-Calédonie ?
Christopher Gygès : Ma vision repose sur deux principaux aspects : la thématique du « développement numérique et de la diversification de l’économie calédonienne » et le sujet de la « transformation numérique » du territoire à proprement parler.
Concernant l’aspect « transformation numérique », je dirais que la Nouvelle-Calédonie a connu tout d’abord une période de développement rapide avant de subir une certaine stagnation au cours des dernières années. Ce phénomène est lié au besoin réel de mettre en place de nouvelles structures et de nouveaux outils divers pour doper cette fameuse « transformation numérique du territoire ».
Aujourd’hui, à travers la mise en place d’outils fiscaux tels que le « Crédit Impôt Recherche et Innovation » ou la création du statut des « Jeunes Entreprises Innovantes » qui vient d’être adopté par le Congrès, mais aussi l’ouverture de la « Station N » et l’organisation d’une nouvelle gouvernance qui a défini des axes concrets de développement, nous agissons pour que cette reprise ait lieu.
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Quel rôle joue aujourd’hui le numérique dans le développement économique de la Nouvelle-Calédonie et, plus globalement, du Pacifique insulaire ?
Dans un premier temps, nous avons besoin de diversifier l’économie calédonienne et de faire en sorte que le numérique en soit un vrai pilier, une force ; d’autre part, nous devons augmenter la compétitivité de notre marché, mais également améliorer le quotidien du consommateur calédonien, tout en positionnant la Nouvelle-Calédonie comme un acteur majeur de l’économie numérique dans la zone du Pacifique insulaire.
Concernant la diversification de l’économie calédonienne, nous avons vu que le secteur du numérique était créateur d’emplois en métropole et ce n’est pas encore le cas ici : avec la crise économique que nous traversons, les reconversions professionnelles représentent une solution idoine pour absorber les pertes financières d’autres secteurs. Notre ambition, toutes collectivités confondues, est de tout faire pour mettre en place des outils fiscaux et économiques pertinents, favorables à cette transformation du tissu économique calédonien.
Au niveau de la « compétitivité » du territoire, nous devons également accompagner les entreprises, notamment les PME / TPE, à travers une collaboration avec les chambres consulaires afin d’accélérer la digitalisation de l’économie calédonienne. Cela permettra d’adopter de nouvelles pratiques, de réduire les coûts par l’optimisation de la gestion des stocks par exemple, mais également de trouver de nouvelles sources de croissance économique pour ces entreprises de taille modeste : la vente en ligne, à ce titre, représente un symbole de transition numérique réussie.
Côté améliorations du quotidien des consommateurs, nous sommes actuellement dans une logique d’éclatement des compétences qui nuit à la bonne visibilité des solutions et des informations ; des outils numériques tels que « Cesam.nc » permettent de réduire cette fracture et d’obtenir rapidement une information claire et uniformisée, peu importe la collectivité compétente.
Quant à notre compétitivité territoriale dans la zone insulaire, nous travaillons de plus en plus avec nos voisins de Nouvelle-Zélande, d’Australie et ou des Fidji par exemple et ce, en partie grâce à la visio-conférence qui nous offre la possibilité d’établir des partenariats économiques favorables à notre île.
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Comment jugeriez-vous l’état de la transformation numérique de la Nouvelle-Calédonie aujourd’hui ?
Elle n’est pas encore suffisante, malheureusement… Nous sommes un « petit » territoire mais qui est, de facto, très agile : nous devons nous servir de cette force ! Au cours de ces dernières années, nous nous sommes mis les contraintes administratives et décisionnelles d’un pays de 50 millions d’habitants… Nous devons casser ce cercle vicieux. Nous avons un pouvoir législatif qui nous permet de gagner en vitesse de décision : servons-nous du numérique pour accélérer cette transition !
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Quels secteurs portent cette transition numérique et quels secteurs doivent encore l’accélérer ?
Le secteur du « commerce » est une excellente illustration de notre faculté d’adaptation ; très en retard à l’origine, – les habitudes des calédoniens étaient orientées vers un commerce « physique » – il s’est rapidement transformé à travers la création de plateformes en ligne ou de page Facebook et attire de plus en plus de nouveaux clients. L’émergence du « click and collect » a remporté un franc succès auprès des calédoniens et a permis à certaines entreprises de maintenir les activité et leur chiffre d’affaires, y compris durant le confinement.
Le secteur de l’énergie est extrêmement numérisé grâce à la présence de grands groupes locaux qui apportent des compétences et du savoir-faire, notamment dans la maîtrise énergétique des foyers calédoniens grâce à des applications et des outils numériques. Le secteur du nickel n’est évidemment pas en reste avec la numérisation des process qui permet d’augmenter sa compétitivité.
Le maritime a suivi le mouvement et s’est vraiment développé grâce à la « Recherche et Développement numérique ». Notre agriculture commence également à s’y mettre avec de belles réussites.
D’autres secteurs, souvent composés d’un épais tissu de TPE / PME, ne sont pas encore assez numérisés car ils considèrent parfois que le coût financier est trop important par rapport au retour sur investissement à court ou moyen terme. C’est donc à nous de mettre en place des outils de sensibilisation, d’accompagnement ou de formation pour les aider à franchir le cap.
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Quels sont les projets numériques phares que porte le Gouvernement actuellement pour franchir ce fameux « cap » ?
Il en existe plusieurs. Premier volet que je peux citer, la mise en place d’une gouvernance claire et la création d’un comité de pilotage du numérique réunissant les différents acteurs de la filière ou leurs représentants, et les institutions. Cette instance de concertation, qui se veut souple et agile, est un véritable outil de réflexion commun qui permettra d’échanger sur la stratégie du territoire en matière de développement du numérique et le bon déroulé des actions de la feuille de route pour les prochaines années.
Second point, la création d’outils législatifs et fiscaux adaptés à notre marché et à notre situation particulière. Enfin, l’expression « physique » de cette volonté trouve son symbole dans la création d’un lieu « totem » dédié au numérique : la Station N, clin d’œil à la Station F parisienne. Cette ancienne gare maritime située à Nouville accueillera plusieurs startups et facilitera leur travail quotidien et leur développement à travers différents services et avantages. Son ouverture aux différents acteurs de l’innovation est prévue pour Septembre.
Au-delà de l’écosystème « startup », nous devons également nous positionner sur la problématique des télécoms ; nous devons absolument ouvrir notre modèle car celui proposé par l’OPT n’est plus satisfaisant et, malgré son investissement irréprochable, je suis convaincu qu’il faut insérer une dose de concurrence sur différents services, tout en en préservant d’autres qui sont structurants pour la Nouvelle-Calédonie.
Nous travaillons aujourd’hui sur une stratégie composée de différents scénarios répartis entre « monopole performant », « ouverture régulée » et « ouverture totale » qui doit être soumise aux élus du Congrès. Personnellement, ma position sur le sujet est claire : je suis favorable à une ouverture régulée à l’international qui permettra de préserver un certain niveau d’infrastructures tout en améliorant les services des « Télécom ». Évidemment, je souhaite avant tout protéger les emplois locaux et privilégier les investissements locaux : l’idée n’est pas de « tuer » l’OPT en intégrant des opérateurs qui cassent les prix mais de mettre des contraintes à l’entrée et ce, à travers des régulations et obligations contractuelles, notamment en termes d’emplois et d’imposition.
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Quel est votre vision de l’entreprenariat en Nouvelle-Calédonie et comment accompagnez-vous les startups dans leur création et leur développement ?
La Calédonie est une terre d’entrepreneurs, cela fait partie de l’identité calédonienne et ça ne date pas d’hier… Ce goût du risque d’entreprendre, presque plus américain que français, est présent sur notre territoire et nous devons nous en servir !
Côté startups, nous avons de beaux exemples de réussite depuis quelques années ! La géomatique en est une illustration mais des projets innovants autour de la livraison à domicile ont également prouvé qu’ils apportaient une réponse à un besoin pendant la crise sanitaire. A travers leur formidable capacité d’adaptation à de nouvelles contraintes extérieures, ils ont répondu présents. Certaines de nos startups se développent à l’international ou sont primées à l’étranger, à « Tech4Islands Polynésie » par exemple, ce qui prouve bien que la Calédonie possède cet esprit pionnier, d’entrepreneuriat et la volonté de sauter le pas du numérique.
Nous travaillons également sur l’axe des financements à travers les levées de fonds : nous souhaitons faciliter la levée de fonds en Nouvelle-Calédonie en développant la réglementation sur les « Business Angels », les investisseurs privés et les avantages fiscaux proposés aux investisseurs privés et entreprises.
C’est en s’inspirant de la métropole mais aussi de ce qui se fait plus près de nous, dans le Pacifique, que nous créons des solutions simples et adaptées aux entrepreneurs. J’insiste sur ce qualificatif « simple » car ce n’est pas normal qu’il soit aussi compliqué de créer son entreprise en Nouvelle-Calédonie alors que ça prend 30 minutes en Nouvelle-Zélande par exemple…! Nous devons faciliter les démarches des entrepreneurs et être fiers d’eux et de l’émulation qu’ils créent : c’est ainsi que la croissance reviendra !
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Pouvez-vous nous donner des exemples de startups à succès en Nouvelle-Calédonie ? Quel est leur véritable impact sur l’économie locale ?
Je dirais « COVIE Shop » parce qu’ils ont su s’adapter à une situation particulière et être réactifs depuis la crise sanitaire 2020. Je citerais également « AEDES System» qui a été lauréat d’un prix à « Tech4Islands » et a été reçue au « CES 2021 de Las Vegas ». Cette startup innovante propose une solution écologique conçue en AGLOSTIC (qui contient 85% de caoutchouc recyclé), installée dans les gouttières pour éviter la ponte des moustiques. Leur développement s’effectue désormais à l’international et sera prochainement accompagné par l’ex-Ministre Fleur Pellerin : quel beau succès ! Nous avons également « Insight » et « BlueCham« , deux projets innovants dans le secteur de la géomatique qui sont extrêmement performants sur cette thématique satellitaire.
Je crois beaucoup au fait de lier le numérique, l’environnement, le maritime et l’énergie ; c’est d’ailleurs le sens des appels à projet que nous lancerons bientôt autour des sujets « GreenTech » et « Tech4good« . Nous devons nous positionner sur ces deux axes d’innovation car nous disposons d’un potentiel de développement gigantesque lié aux caractéristiques particulières de notre territoire.
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En quoi le numérique peut-il représenter un outil efficace dans la lutte économique contre la crise sanitaire ?
La crise sanitaire a permis d’accélérer les changements d’habitudes de consommation de la population, principalement en faveur d’une numérisation des services ; le développement rapide du « click & collect » ou de la livraison à domicile sont des exemples concrets de cette faculté d’adaptation, tout comme les plateformes de réservation d’un RDV chez le médecin en sont de parfaites illustrations. La crise de la « COVID » a donc eu au moins l’avantage de montrer que nous pouvions faire cette transition vers de nouveaux modes de consommation liés au numérique.
De plus, pendant mes points presse, je ne cessais de répéter les messages clés de « distanciation sociale » et de « gestes barrières » mais, grâce a la technologie toutes nos interactions sociales se sont reportées vers la sphère numérique et ont permis une continuité de l’activité et le maintien du lien social ! Visioconférences, réseaux sociaux etc. sont autant d’outils qui ont permis de maintenir ce précieux lien social.
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Quel est le rôle de la formation initiale et de la formation professionnelle dans la transformation numérique de l’économie calédonienne ?
Leur rôle est essentiel mais elles sont insuffisantes actuellement ! Il existe un vrai manque dans le secteur de la formation initiale au numérique en Nouvelle-Calédonie et le combler passe d’abord par l’école ; à ce sujet, des investissements ont été réalisés pour former au numérique dès le plus jeune âge, mais il manque encore une vraie formation qualifiante et professionnelle sur les métiers spécifique du numérique.
Nous sommes en train d’en discuter avec le membre du gouvernement en charge du secteur de l’enseignement et souhaitons mettre en place une école, pourquoi pas sur le modèle de « L’École 42 » par exemple. Il faut également travailler sur la sensibilisation auprès des entreprises pour qu’elles favorisent les formations professionnelles internes et l’acquisition de compétences spécifiques liées au numérique.
Cela passe aussi par une mutualisation des moyens qui offrirait la possibilité de créer une certification propre aux métiers du numérique. En complément, je souhaite d’ailleurs que la « Station N » soit un lieu d’accueil de formations « professionnalisantes » sur le numérique.
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Pour conclure, quel(s) message(s) souhaiteriez-vous adresser à tous les acteurs du numérique sur le caillou ?
Nous sommes là pour vous soutenir ! Notre logique a pu être, par le passé, déconnectée de la réalité mais nous souhaitons aujourd’hui nous adapter à vos besoins : notre ambition est d’être plus pragmatiques et de proposer une vision modernisée de l’innovation en réponse directe aux besoins que vous évoquez régulièrement.
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