En partenariat avec Island Robotic

Surveiller 1,3 million de km² d’océan grâce à la tech ? C’est le pari relevé par le Projet Sentinelles, une initiative innovante portée par le Parc naturel de la mer de Corail et la startup Island Robotics. En réponse aux enjeux de surveillance maritime et de lutte contre la pêche illégale, Michael Field a imaginé un système embarqué capable de transformer les navires de pêche en véritables sentinelles connectées. Rencontre avec Michael pour parler souveraineté maritime, low tech embarquée et innovation au service des océans.

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Bonjour Michael ! Tu as développé avec le Parc Naturel de la mer de Corail un système de radar appelé « projet sentinelles » pour surveiller la ZEE de la Nouvelle-Calédonie. Peux-tu nous expliquer comment fonctionne cette technologie et ce qu’elle change concrètement pour la gestion du Parc ?

Le Parc naturel de la mer de Corail a mis en place un programme de surveillance maritime. Dans ce cadre, ils ont fait appel à l’entreprise Magis pour développer une plateforme logicielle capable de centraliser et analyser toutes les données collectées. C’est à ce moment-là que je suis intervenu : nous avons intégré à cette plateforme une nouvelle source de données, au cœur d’un système baptisé « Sentinelles ».

Le problème, ici en Nouvelle-Calédonie, c’est l’immensité de notre espace maritime : on parle de 98 % de mer. C’est à la fois une surface énorme à surveiller et un espace de mer extraordinaire au niveau de la biodiversité. Le gouvernement avait déjà mis en place une politique de pêche durable, avec seulement 15 bateaux autorisés à pratiquer la pêche à la ligne pour le thon. L’objectif est de préserver cette ressource, à la fois pour notre alimentation et pour notre économie.

Mais cette immense zone est impossible à surveiller avec des techniques terrestres. D’où l’idée de transformer ces 15 navires de pêche en véritables sentinelles. Lors de leurs campagnes, ces bateaux naviguent jusqu’aux frontières de la zone économique exclusive (ZEE) de la Calédonie et peuvent ainsi détecter la présence éventuelle d’autres navires afin de lutter contre la pêche illégale.

Depuis quatre ans maintenant, nous avons développé en plusieurs phases un système embarqué à bord de ces bateaux. Il capte les données générées in situ et toutes les détections radars sans impact sur la navigation ou sur l’équipage. Grâce à une analyse en temps réel et automatisée des échos radar, le système détecte les autres bateaux à proximité. Les données sont ensuite transmises directement à la plateforme développée par Magis, qui les croise avec d’autres sources pour vérifier si les navires détectés sont autorisés ou non. En cas de doute, les autorités peuvent ainsi intervenir rapidement.

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Quels ont été les principaux défis (techniques, logistiques ou environnementaux) que tu as rencontrés pour adapter cette technologie aux spécificités du Parc Naturel de la mer de Corail ?

Le premier défi, c’était de concevoir un système à la fois performant et économiquement viable. En Calédonie, les ressources sont limitées, donc il fallait que la solution soit peu coûteuse à l’usage. Le principal poste de dépense étant la transmission satellite, j’ai donc dû tester de nouveaux liens satellitaires et les optimiser les flux pour réduire les coûts et en faire un système le plus efficace possible. 

L’objectif n’était pas d’équiper un seul bateau, mais vraiment d’équiper autant de navires que possible. Actuellement les 15 navires de pêche calédoniens sont équipés, mais à terme, cette solution peut être installée sur tout type de navires, bateaux ou voiliers qui se baladent dans le parc, du moment qu’ils disposent d’un radar. J’en profite aussi pour remercier les armateurs de pêche qui ont collaboré avec nous. Leur engagement a été précieux.

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Avec ce projet, Island Robotics démontre que la tech peut jouer un rôle clé dans la surveillance et la préservation des espaces maritimes. Quelles sont les prochaines étapes pour cette technologie ? Et imagines-tu d’autres applications possibles en dehors du Parc de la mer de Corail ?

Nous avons déjà mené entre quatre et cinq phases de développement, depuis les premiers tests jusqu’à la version opérationnelle. Aujourd’hui, toute la flotte de pêche calédonienne est équipée. La prochaine étape, ce sera d’étendre cette technologie à d’autres types de navires, notamment institutionnels.

Techniquement, le système est totalement exportable. Il peut fonctionner partout dans le monde, car il repose sur une liaison satellitaire mondiale. Il pourrait être utilisé en Polynésie, chez nos voisins du Pacifique, ou encore dans d’autres territoires insulaires confrontés aux mêmes enjeux.

Au-delà de la surveillance maritime, cette technologie ouvre la voie à de nombreuses applications. Puisqu’on dispose d’un système capable de collecter et transmettre des données en temps réel depuis des zones isolées, on peut par exemple imaginer des fonctions météorologiques, pour affiner les prévisions de trajectoires cycloniques, ou encore des usages scientifiques, pour la recherche en océanographie ou en géographie.

En réalité, dès lors qu’un bateau peut être utilisé comme une plateforme de collecte de données, cette technologie peut être adaptable. C’est un peu comme transformer chaque navire en objet connecté (IoT), capable de transmettre toutes sortes d’informations en temps réel. Les perspectives sont très larges.

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