Qui n’a jamais imaginé converser avec un personnage emblématique de la littérature ? Pour les passionnés de lecture, le fantasme n’a jamais été plus proche de la réalité… En effet, à partir du 27 septembre, il vous sera possible de réaliser ce rêve à la Bibliothèque Nationale de France à l’occasion de l’exposition « Molière, le jeu du vrai et du faux ». La BNF se dote d’une expérience numérique interactive et immersive : faire revivre le célèbre « Dom Juan » de Molière grâce à l’innovation technologique !
Aussi sûrement que le numérique envahit notre quotidien, la technologie lui emboîte le pas… Et, cette fois, c’est l’intelligence artificielle qui s’immisce dans le secteur culturel et offre de nouvelles possibilités. Partons à la découverte de l’œuvre immersive BOT°PHONE dans laquelle un Dom Juan numérique répondra à toutes vos questions, avec son fameux franc parler ! On laisse sa susceptibilité à l’entrée…
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Un Dom Juan dopé à l’IA !
La BNF poursuit sa transformation numérique ! Grâce à la création de son site web « Gallica Studio », la Bibliothèque Nationale de France se dote d’un catalogue numérique et enchaîne les projets de digitalisation de son offre culturelle. Cette année, à l’occasion des 400 ans de la naissance de Molière, la bibli’ organise une exposition dédiée dans les bâtiments entièrement rénovés du site Richelieu. Fraîchement réouvert, il accueille déjà un projet immersif de réalité augmentée et aura bientôt l’occasion d’entendre raisonner la voix de Dom Juan et de son vocabulaire fleuri !
L’idée de faire « vivre » Dom Juan est née de la rencontre entre « Gallica Studio », l’« École universitaire de la Recherche (EUR) ArTec » et l’artiste Rocio Berenguer. Imaginez-vous vous installer confortablement dans une cabine pour passer un coup de téléphone à Dom Juan, voir l’interface du chatbot prendre visage humain, calqué sur vos propres traits et, finalement, entendre une voix répondre à toutes vos questions. Derrière cette interface, il y a une machine programmée grâce à l’IA pour parler comme l’aurait fait le personnage de littérature. À partir de la pièce de théâtre de Molière, ainsi que de toutes ces autres œuvres, et en compilant toutes les pièces de théâtre françaises du XVIIe, les chercheurs ont réussi à faire apprendre à l’IA des tournures de phrases, du vocabulaire ou encore des manières de parler propres à l’époque, et particulièrement à celles de Dom Juan.
Le travail sur cette IA a duré trois ans et donne au personnage la capacité de fournir des réponses originales à chaque prise de parole. L’enjeu était de permettre à la machine de piocher dans un corpus de textes existant et déterminé pour formuler des réponses cohérentes, tout en lui laissant la possibilité de créer ses propres phrases. En gros, lui laisser dire ce qu’elle veut tout en l’obligeant à respecter le vocabulaire du siècle de Molière ! C’est en utilisant le système GPT-2 d’Open AI que le défi a été relevé : dorénavant l’IA peut produire des textes cohérents grâce un cadre de référence fermé.
« Le modèle ouvert donne au système la capacité de créer tandis que les logiques fermées permettent de cadrer la conversation pour lui donner un minimum de cohérence. À partir de cette sélection, le système peut faire ce qu’il veut. »
Rocio Berenguer pour © L’ADN
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Joue-la comme l’IA…
Cette artiste, installée en France depuis 10 ans, s’amuse des rapports entre homme et nouvelles technologies. Plusieurs de ses créations sont inspirées directement du monde de la tech et c’est en collaborant avec des chercheurs et des ingénieurs qu’elle aboutit à des œuvres artistiques hybrides, mêlant danse, théâtre, textes et arts numériques. À travers ses créations, Rocio Berenguer titille les frontières du vrai et du faux dans l’art et pousse à l’extrême ces expériences perturbantes grâce à l’IA et aux nouvelles technologies.
« Les outils interactifs nous permettent d’explorer, d’observer et de jouer avec de nouveaux modèles relationnels. Notre objectif était de proposer un autre type de dialogue avec une œuvre littéraire. »
Rocio Berenger pour © L’ADN
Cependant, la question du système GPT-2 utilisé pour l’occasion a donné des sueurs froides aux programmeurs. En effet, créer une Intelligence Artificielle capable de parler indépendamment de son rôle peut produire des réponses imprévisibles et parfois vexantes. L’équipe a notamment dû rendre Dom Juan un peu plus « poli » car il est connu pour son franc-parler ! Il s’agissait de ne pas vexer les personnes qui voulaient lui parler dès leurs premiers échanges…
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L’art numérique, aux frontières du réel
Quel que soit le sujet, ce Dom Juan peut donc apporter une réponse censée. Devant cette autonomie langagière, le spectateur pourrait avoir tendance à s’émerveiller de tant d’intelligence. Pourtant il ne faut pas l’oublier : la machine n’a pas de conscience, elle est programmée et n’a pas pour vocation dans le domaine artistique d’explorer autre chose que nos propres émotions. Nous restons des spectateurs qui assistons à une performance artistique : c’est nous qui donnons du sens à ce que l’on entend, à ce que l’on voit et qui acceptons d’être convaincu.
Dom Juan est un programme numérique, un personnage de fiction qui se fait « passer pour » et qui n’existe pas vraiment. Grâce à une utilisation créative de l’IA, l’art floute encore les frontières du réel et propose une réflexion autour de l’utilisation de ces nouvelles technologies et de notre capacité à trouver du sens. « Le bonheur, c’est quand le temps s’arrête », peut-on lire dans l’œuvre de Molière. Pour le moment, la tech ne doit pas être très heureuse…
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