C’est dans les locaux de OneShot, aussi nommée la « batcave » par ses occupants, que Nolann Charles, chemise à fleurs et casquette à l’envers, nous accueille. « Demain, c’est aujourd’hui… N’attendez plus ! On prend un café… et on parle de vous. » : telle est la devise de OneShot. Pourtant, aujourd’hui, c’est Nolann qui se sert un café et qui parle de son activité professionnelle.
Alors qu’il revient d’un déplacement auTech4Islands Summit, en Polynésie française où il a pu présenter la solution Hivy, notre rencontre est l’occasion d’y voir plus clair parmi toutes ses “casquettes”. Entrepreneur à cent à l’heure, Nolann nous parle de son activité de « startuper » et de sa vision de la mobilité durable et électrique. Discussion avec un homme électrisant !
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Bonjour Nolann et bienvenu sur NeoTech ; pour débuter notre échange, peux-tu te présenter à nos lecteurs et nous résumer ton parcours en quelques dates clés ?
Bonjour NeoTech, et merci pour l’invitation ! Nous sommes très heureux de vous recevoir dans notre « batcave ». Je m’appelle Nolann Charles, calédonien de naissance et je fais partie de ceux qui sont revenus au pays après leurs études ! En effet, après avoir fait toute ma scolarité sur le territoire, je me suis envolé en 2007 au Canada, à Montréal plus précisément. Là bas, j’ai suivi une licence en économie appliquée. En parallèle à cette formation, j’ai suivi un certificat en marketing à HEC Montréal. J’ai su très vite que je voulais entreprendre. Ainsi, j’ai continué en Master Management, spécialité « entreprenariat ».
Dès ma sortie d’études, j’ai commencé à travailler dans un cabinet de « staffing » (gestion des ressources humaines) dans lequel je créais des modèles macroéconomiques pour prédire les tendances du marché du travail canadien. Cette expérience fut très intéressante mais ne correspondait pas franchement à mes envies professionnelles. En 2012, j’ai donc décidé de revenir dans notre beau pays, toujours avec ce projet d’apporter ma pierre à l’édifice dans son développement. Néanmoins, j’ai senti qu’il me fallait encore amasser quelques flèches à mon arc et j’ai donc intégré un cabinet d’études, spécialisé en études de marché et en études marketing. J’y suis resté quatre ans où j’ai terminé associé.
Pourtant, je me suis rendu compte que je m’étais éloigné de mes valeurs personnelles et de mon envie d’entreprendre. J’ai quitté l’entreprise en 2016 et c’est en cette même année que j’ai rencontré mon « partner in crime » : Pierre Henaff ! J’ai racheté des parts de OneShot et c’est comme ça que je suis entré dans l’univers du développement informatique, ce monde des possibles !
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Justement, tu es impliqué dans plusieurs structures : One Shot, Yugo, CityZen, Hivy… avec, de plus, un partenariat avec Enercal. Est-ce que tu peux nous aider à y voir plus clair parmi toutes ces activités ?
D’abord, il faut comprendre que notre ambition première, avec Pierre et One Shot, c’est d’aider nos clients à être plus productifs ou à adresser de nouveaux marchés. Ce qu’on aime par-dessus tout dans cette approche, c’est de commencer de zéro : en mode bac à sable !
Commençons par OneShot ; c’est une société qui dispose de ressources dans le design UI et UX (web et mobile), de compétences en développement informatique (web et mobile) et de compétences en marketing produits. Le logiciel est toujours au centre de nos différents projets, le but étant à chaque fois de créer une synergie entre chaque activité. Grâce à ces compétences et avec d’autres associés, YuGo est né.
YuGo propose des solutions de mobilités alternatives en Nouvelle-Calédonie et dans le Pacifique : autopartage, covoiturage pour professionnels, mutualisation de flotte… Avec ces solutions, notre objectif est d‘optimiser les parcs automobiles de nos clients et de fluidifier les réservations d’un véhicule par un outil dédié. En bref, grâce à un boîtier installé dans une voiture et connecté à une application, plus besoin d’échanger des clefs pour déverrouiller la voiture, ni d’appeler un standard pour réserver un véhicule : tout se fait par le collaborateur, de manière parfaitement autonome via son smartphone ! En plus de ces avantages, grâce à cette gestion optimisée, l’entreprise peut réduire la taille de son parc automobile d’environ 30% : elle fait des économies considérables sur son fonctionnement, tout en ayant un impact positif sur l’environnement….
Dans le cadre de cette activité, nous avons équipé beaucoup de véhicules électriques. De là, une nouvelle idée a germé dans nos deux esprits : si nous avons la capacité de gérer des parcs de véhicules, pourquoi ne pas gérer des parcs de bornes électriques ? Problème : nous ne sommes pas énergéticiens et nous ne maîtrisons pas les problématiques métiers liées à l’énergie. Action-réaction : nous nous rapprochons de l’énergéticien du pays pour croiser nos visions et nos compétences.
C’est de là qu’est née CityZen, une « corporate venture » entre Enercal et YuGo : deux structures morales qui investissent dans une startup. Ensemble, nous avons déposé un dossier à BPI France pour l’appel à projet PIA3 : lauréat, nous avons reçu une aide au financement à hauteur de 50% pour notre premier projet : Hivy. Celui-ci consiste à créer un écosystème propice au déploiement du véhicule électrique en Nouvelle-Calédonie et, plus largement, en territoire insulaire.
Niveau fonctionnement, les experts métiers se trouvent du côté d’Enercal et les compétences informatiques et logiciels sont de notre côté. Nous développons une plateforme capable de lire les données de n’importe quel constructeur de borne afin de les afficher dans une application mobile qui centralise déblocage et achat de recharge. « On ne réinvente pas la roue » certes, mais nous avons la volonté de créer des « outils-pays» qui nous correspondent et qui pourront évoluer au même rythme que nos usages. L’idée est de fixer la valeur en Nouvelle-Calédonie.
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Le slogan de « CityZen » est « innover pour un monde durable » ; quelle est la raison d’être de cette structure ?
Au début, CityZen n’avait pour ambition que de traiter de l’électromobilité. Pourtant, à la suite de nos discussions et des échanges avec les équipes d’Enercal, nous nous sommes aperçus que d’autres problèmes existaient et pouvaient se résoudre grâce à des solutions informatiques. Comme notre territoire a des spécificités, nous avons décidé de créer, avec CityZen, des solutions propres à nos insularités. Nous voulons créer des produits adaptés à nos besoins tout en incorporant des entrepreneurs locaux qui ont des réponses à apporter. Ainsi, la startup devient un incubateur de solutions pour une meilleure efficience énergétique. Nous sommes thématisés au niveau de l’énergie !
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Parlons un peu de Hivy, une solution de supervision de bornes électriques et de recharge pour véhicules électriques ; en quoi l’écomobilité est-elle une solution d’avenir pour la Calédonie ?
L’installation de bornes électriques n’est pas forcément de l’écomobilité. Pour moi, ce terme se réfère avant tout à l’utilisation d’un mode doux de transports et à la modification de nos manières de se déplacer, en vélo ou en covoiturage, par exemple. La borne électrique seule ce n’est pas de l’écomobilité si le modèle dominant reste carboné. C’est pour cela qu’avec Hivy, nous portons aussi de la recherche et du développement : nous travaillons sur l’énergie solaire et sur son stockage. Ainsi, nous voudrions réutiliser les batteries des anciens véhicules électriques pour en faire des batteries de stockage dans notre cercle de production d’énergie. Et c’est en couplant toutes ces solutions qu’on peut initier un cercle vertueux et une économie circulaire.
« Avec le pétrole qui s’amenuise, nous devons repenser nos usages de la voiture et tendre vers de la mobilité verte pour être indépendant énergétiquement. Avec Hivy, nous entrons dans cette démarche. »
Pierre henaff
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Ici, les pickups courent les rues… Penses-tu que le territoire est déjà assez mature pour adopter ces nouveaux usages ? Quelles seraient les initiatives à mener pour lever les freins psychologiques des Calédoniens ?
Dans un pays où le pick-up est roi, il est difficile de penser que l’écomobilité à sa place… Et pourtant, je ne suis pas d’accord ! Rester bloqué sur cette vision simpliste empêche, à mon sens, de voir naître des actions concrètes. Au début, avec YuGo, nous avions été confrontés au « c’est perdu d’avance ». Et pourtant, le chemin parcouru est bluffant et, aujourd’hui, avec Hivy, c’est la même chose. Nous sommes de grands optimistes : les initiatives et les solutions existent, il suffit de les mettre en place !
La Nouvelle-Calédonie a une relation forte avec la terre : couplé à de bons incitatifs, il y a fort à parier que les Calédoniens peuvent devenir un exemple pour certains voisins du Pacifique. Les acteurs publics se mobilisent et le dialogue est ouvert entre toutes les parties prenantes de l’écosystème – concessionnaires, pétroliers, énergéticiens, pouvoirs publics. Notre souhait est d’avancer dans le même sens, tout en adaptant les modèles à des solutions qui nous ressemblent.
Cette stratégie est complexe à mettre en place puisqu’elle nécessite des investissements publics conséquents. Heureusement, pour nous, il existe de nombreux appels à projet, des fonds européen et pacifique qui nous permettent de ne pas imputer le budget du pays, tout en développant de nouvelles filières d’avenir.
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Quel regard global portes-tu sur la transition écologique du territoire ?
J’aimerais qu’on aille plus vite, bien sûr ! En revanche, il faut noter que l’amélioration de notre mix énergétique est en accélération depuis plusieurs années. Tous les acteurs sont dans cette dynamique de transition écologique.
Concernant l’électromobilité en Calédonie, nous faisons le pari de mettre d’abord les infrastructures en place. Pourtant, il est vrai que nous devons accélérer sur la mise en circulation des véhicules. Pour cela, il faut sans doute une incitation à l’achat de la part des politiques, comme c’est le cas partout dans le monde.
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En quoi le numérique est-il un levier d’accélération de cette transition écologique ?
Le numérique permet de tester vite et à moindre coûts. C’est de cette manière qu’il faut le voir. Certains pensent que la Nouvelle-Calédonie est en retard au niveau du numérique vis-à-vis de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande : c’est un raccourci de penser comme ça ! Nous devons en finir avec ce sentiment d’imposteur… La Nouvelle-Calédonie a des compétences locales ainsi que des jeunes talents à l’extérieur qui ne demandent qu’à rentrer pour monter des projets d’envergure !
Nous avons la chance d’avoir un « bac à sable » propice à l’innovation. Notre défaut se trouve dans la phase de « scalling » puisque nous sommes vite rattrapés par la taille de notre marché. Cependant, là encore, il y a des solutions existantes. Les pouvoirs publics, notamment les cabinets de Vaïmu’a Muliava et de Christopher Gygès, s’engagent sur ces thématiques. Le numérique est donc clairement un vecteur permettant d’optimiser des systèmes existants.
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Tu étais en Polynésie Française au mois d’octobre, pour l’événement Tech4Island. Peux-tu nous en dire plus sur la raison de ta présence à cet événement ? Quelles conclusions tires-tu de ce déplacement ?
Je suis parti avec la « casquette Hivy » cette année. En 2019, j’avais fait le déplacement en délégation et je voulais revivre cette super expérience et ces moments forts d’échanges avec nos « cousins » tahitiens. C’était aussi l’occasion de rencontrer les entrepreneurscalédoniens innovants puisque nous n’avons pas toujours le temps d’échanger avec tout l’écosystème. Le Tech4Islands, c’est aussi l’occasion de relancer les opportunités identifiées en 2019 ainsi que d’en créer de nouvelles avec Hivy.
C’est donc sans retenue que je peux dire être très satisfait et heureux des rencontres faites sur place. Il y a trop de monde à citer mais je remercie du fond du cœur toutes les personnes qui nous ont accueilli avec la si belle générosité qui caractérise les Polynésiens. De très beaux partenariats vont naître et nous sommes ravis de créer des exemples de régionalisation de projetsinnovants. Un merci tout particulier à Vaïmu’a Muliava pour avoir piloté la pirogue d’une main de maître, tout en laissant à chacun la place de s’exprimer.
Un dernier mot ou une dernière actualité pour la route ?
Spoiler alert ! Une application de covoiturage est en route et va bientôt sortir ! Grâce au soutien de la Province Sud, WiGo va voir le jour dès le premier semestre 2023. L’idée se base sur un business model simple mais audacieux : les conducteurs sont rémunérés et les passagers ne payent rien ! N’hésitez pas à suivre nos réseaux sociaux pour comprendre la faisabilité de ce projet !
Spoiler alert bis ! Des challenges seront là pour vous tester : êtes-vous aussi forts à Candy Crush que pour sauver notre planète ?