Et si l’avenir de la santé passait aussi par l’innovation ? C’est le pari relevé par Jean-Marc Desvals, orthoptiste calédonien et autodidacte passionné de nouvelles technologies. À la fin des années 90, une intuition lui vient : et si la rééducation visuelle pouvait être réinventée grâce à un logiciel ? De cette idée naît Ollos, un outil numérique pensé pour alléger la charge des professionnels, améliorer le confort des patients et ouvrir la voie à de nouvelles pratiques médicales.

Entre orthoptie et numérique, le tout sur un fond de rock-électro (Blackwoodstock oblige), Jean-Marc nous a raconté son parcours, l’aventure d’Ollos et sa vision des enjeux de la HealthTech. Prêts ? Alors… let’s rock !

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Bonjour Jean-Marc, bienvenue sur NeoTech ! Pour commencer, peux-tu nous présenter ton parcours en quelques dates clés ?

Bonjour NeoTech, je me présente, Jean-Marc Desvals, je suis calédonien d’origine, de retour dans mon pays dans les années 80. J’ai passé mon baccalauréat sur le territoire et je suis ensuite reparti faire mes études d’orthoptiste à l’hôpital Nord à Marseille. J’ai été diplômé en 1987, j’ai travaillé deux ans en métropole puis je suis revenu dans mon pays d’attache, la Nouvelle-Calédonie.

Depuis, je suis orthoptiste installé en libéral à Nouméa depuis une trentaine d’années. En parallèle de mon métier, je me suis toujours intéressé au développement logiciel que j’ai voulu appliquer à ma profession. En 1999, avec deux calédoniens nous avons gagné le prix « initiative cré@tions » du Ministère de la recherche qui a validé le projet de logiciel de rééducation orthoptique et qui a fait naître Ollos. 

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Comment est née l’idée d’Ollos ? A quel(s) besoin(s) souhaitais-tu répondre ? 

En 1999, nous avons donc remporté ce prix qui aurait dû nous permettre de créer une entreprise et de lancer un développement. Ça correspondait à un vrai manque dans la profession où tous les orthoptistes de France utilisaient encore des outils classiques comme des barres de prismes ou d’autres appareils médicaux très anciens et archaïques.

J’avais déjà dans l’idée de développer un projet pour moderniser la rééducation en utilisant uniquement des ordinateurs qui commençaient à se démocratiser à la fin des années 1990. Nous avions alors mis sur papier la théorie de ce principe là en se disant que si nous pouvons dissocier les deux yeux, c’est-à-dire envoyer une image différente à chacun, il serait alors possible de faire la même chose que sur ces outils archaïques mais sur des écrans. Sauf qu’avec l’ordinateur, on a l’avantage de pouvoir travailler avec des images dynamiques. Elles peuvent être modifiées, être animées, là où avec les méthodes traditionnelles on fixe toujours le même objet, la même image statique.

J’ai donc expérimenté plusieurs procédés de dissociation de la vision. Au départ, j’utilisais des lunettes à cristaux liquides, mais j’ai trouvé que le système le plus léger était d’utiliser des lunettes possédant des filtres rouges et bleus qui permettait de programmer facilement des images en stéréoscopique. Le plus long a été de concevoir l’interface et d’élaborer toute une méthode. J’ai intégré dans le logiciel une aide à la méthodologie destinée à mes collègues en métropole. En plus de l’outil, le logiciel permet de gérer cette progression dans la rééducation qu’un outil standard ne permet pas.

Ollos
Dis Jamy, c’est quoi la stéréoscopie ?

Le logiciel s’appelle Ollos, un mot galicien qui signifie « les yeux ». J’ai choisi ce nom parce qu’il me faisait sourire avec ses deux « O » et ses deux « L », on pouvait facilement imaginer un logo représentant deux yeux et un nez.

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Ollos propose des logiciels destinés aux professionnels de santé. Comment fonctionnent ces outils et en quoi le numérique permet-il d’améliorer leur efficacité ou leur usage ?

La dernière version du logiciel propose un catalogue de 1500 exercices possibles en modifiant tous les paramètres. L’orthoptiste peut donc évaluer le niveau de son patient et mettre en place une rééducation. Son fonctionnement permet de réduire les séances de rééducation, ce qui peut effectivement être un inconvénient économique pour l’orthoptiste qui va donc faire moins de séances (rires). Plus sérieusement c’est un réel avantage pour les caisses de sécurité sociale car il va permettre de générer moins de dépenses pour ces soins.  

Paradoxalement, la rééducation sur écran donne aussi beaucoup moins d’effets secondaires comme les migraines. Nous avons également constaté que les patients progressent très rapidement avec un résultat durable même quinze ans après. Cela permet d’apporter une efficacité dans le travail des professionnels, une réduction des séances et une rapidité pour le patient qui va être soigné plus vite.

Enfin cette approche apporte aussi un confort pour l’orthoptiste en termes de manipulation. La manipulation répétée des outils générait des problèmes pour le praticien qui devait par exemple tenir des objets en l’air durant toutes les séances. Notre logiciel apporte un confort physique pour les professionnels qui l’utilisent. 

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Quelles sont les prochaines étapes pour Ollos ? As-tu des perspectives d’évolution, de nouvelles fonctionnalités ou d’extension vers d’autres territoires ?

Je suis un développeur autodidacte, donc mon code ferait sans doute rire un vrai professionnel, mais le logiciel fonctionne parfaitement. Cela dit, notre objectif est d’arriver à une version 5 réellement professionnalisée avec une certification Microsoft, une reconnaissance de notre logiciel comme dispositif médical, une protection des droits d’auteur du logiciel… Tout cela correspond à notre passage en société pour arriver à la création d’une version professionnelle complète.

Ollos

Actuellement, le logiciel fonctionne et compte déjà de nombreux utilisateurs mais pour s’étendre davantage, il est essentiel de résoudre des aspects techniques comme la compatibilité avec les antivirus ce qui demande une approche professionnelle.

Une fois cette nouvelle version prête, l’idée est de développer le marché. Aujourd’hui, notre clientèle est surtout en métropole, même si nous sommes basés en Nouvelle-Calédonie. Nous avons choisi de rester basés ici, d’autant plus que nous avons sur le territoire tous les services nécessaires au développement de notre société.

À plus long terme, notre ambition est d’étendre le logiciel à l’ensemble de la francophonie, à l’Europe, et pourquoi pas au reste du monde. Il existe des orthoptistes partout et des milliards de personnes qui ont deux yeux parmi lesquels certains ont besoin de rééducation orthoptique. Cela s’inscrit pleinement dans la HealThtechun secteur en forte croissance, même si c’est encore une niche dans tous les développements technologiques.

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Plus largement, quel rôle le numérique peut-il jouer dans la transformation du secteur de la santé, notamment sur un territoire comme la Nouvelle-Calédonie ?

En Nouvelle-Calédonie, la situation actuelle montre clairement un manque de praticiens par rapport à la demande. Les politiques essaient de mettre en place des mesures pour attirer des médecins et des professionnels paramédicaux, mais le territoire reste en carence. Dans ce contexte, le numérique offre des solutions concrètes, notamment à travers la télémédecine. Elle permet aux médecins de travailler à distance, tandis que les techniciens peuvent être sur place pour envoyer les résultats. Je pense que ça peut vraiment être une piste pour l’avenir du territoire d’autant plus que nous avons des spécificités géographiques liées aux distances. Pour un patient vivant à Koumac, par exemple, se déplacer jusqu’à Nouméa pour une consultation de dix minutes peut être compliqué, voire impossible.

Le logiciel Ollos peut s’inscrire dans cette logique, puisqu’une rééducation à distance est tout à fait envisageable. Le professionnel peut coacher le patient à distance, en temps réel, sans que sa présence physique soit nécessaire. Plus largement, dans des domaines comme l’ophtalmologie, les dispositifs numériques permettent de réaliser tous les examens et d’envoyer les dossiers via un cloud sécurisé au médecin, qui peut superviser à distance, demander des examens complémentaires ou prescrire simplement des lunettes. Le médecin peut se trouver à Paris, à la Fondation Rothschild par exemple, sans que cela ne pose de problème. Sur place, les praticiens ne seraient sollicités que pour les urgences médicales lourdes. Cela implique toutefois le développement d’innovations technologiques adaptées.

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Selon toi, quelles innovations Health Tech seront essentielles à développer dans les prochaines années ?

À mon avis, la télémédecine doit vraiment être développée et pleinement opérationnelle, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Elle aurait dû l’être depuis longtemps, surtout en raison encore une fois de nos spécificités géographiques. Il y a vraiment des déserts médicaux en brousse et plus particulièrement sur la côte Est. Des initiatives ont déjà commencé avec des téléconsultations pour pallier ce manque de praticiens, mais à mon sens il reste essentiel de continuer à développer ces solutions. 

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Pour conclure, un dernier mot pour nos lecteurs et/ou un conseil à celles et ceux qui souhaitent innover dans la santé ?

Avec Ollos, je me suis retrouvé à un croisement car je n’ai pas de culture d’entreprise. Je suis orthoptiste, issu du milieu médical et paramédical, et je ne suis pas commercial. Mon objectif a toujours été d’accompagner les gens dans leur rééducation pour améliorer leur confort visuel ou la qualité de vie. A la base c’est ça ma fibre et c’est celle d’ailleurs qui anime la grande majorité des professionnels de santé.

Mais lorsqu’on se lance dans l’innovation, on se rend compte qu’il faut une stratégie de communication, une stratégie commerciale et il faut apprendre à gérer ça aussi tout en restant honnête dans notre démarche. Il faut apprendre à mettre en place des stratégies d’entreprise qui permettre de pouvoir aider et rendre service aux gens. Il faut être honnête, croire en son idée et la tester concrètement, par exemple lors d’événements comme Viva Tech, pour valider sa pertinence.

Et après, il faut se donner les moyens et basculer d’une démarche de professionnel de santé à celle d’un entrepreneur car nous ne sommes pas exactement au même endroit. Dans notre travail, on gagne de l’argent pour vivre mais on ne travaille pas pour gagner de l’argent. Quand on bascule dans le monde de l’entreprise on est là pour gagner de l’argent, c’est un croisement philosophique qu’il faut réussir à gérer et qui n’est pas forcément évident.

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