Cette semaine, cap sur Paris en visioconférence pour rencontrer Grégory Tappero, un entrepreneur visionnaire originaire de Nouvelle-Calédonie. Passionné d’innovation et de tech, Grégory est aujourd’hui cofondateur de Silvr, une solution de financement destinée aux petites et moyennes entreprises. Avec enthousiasme et franchise, il nous a partagé les moments marquants de son parcours, les défis surmontés et les précieuses leçons acquises au fil de ses aventures. Entre insights techniques et réflexions inspirantes, plongeons sans plus attendre dans son récit pour découvrir les coulisses de son succès !
__
Bonjour Grégory, et bienvenue sur NeoTech, pour commencer, pourrais-tu te présenter et nous partager les moments clés de ton parcours ?
Bonjour NeoTech ! Je me présente, Grégory Tappero, je suis originaire de Nouvelle-Calédonie, où j’ai grandi entre le Mont-Dore et Nouméa. Dès mon adolescence, j’ai développé une passion pour l’informatique et les technologies créatives. Après mes études secondaires sur le territoire, j’ai décidé de me spécialiser en Australie, où j’ai obtenu un bachelor en informatique, centré sur la programmation et le développement logiciel.
Après quelques premières expériences entrepreneuriales, j’ai poursuivi mes études en France avec un master en management des nouvelles technologies à HEC Paris. C’est aussi là que j’ai rencontré le futur cofondateur de Silvr, preuve que le réseau se construit dès les bancs d’école !
Mon parcours entrepreneurial a réellement démarré à Paris, où j’ai lancé un premier projet de tableau blanc numérique pour l’éducation. L’idée, bien que novatrice, était peut-être un peu en avance sur son temps pour rencontrer immédiatement un succès commercial. En parallèle, j’ai intégré PeopleDoc, une startup dans le domaine des ressources humaines.
En 2014, attiré par l’écosystème de la Silicon Valley, j’ai décidé de tenter l’aventure aux États-Unis. J’ai trouvé rapidement un poste dans une entreprise à San Francisco. Pendant ce temps, mon projet de tableau numérique suscitait aussi de l’intérêt : une entreprise de Chicago a finalement décidé de racheter ce concept. J’ai intégré leur équipe pendant deux ans.
Aujourd’hui, avec Silvr, je suis pleinement investi dans mon rôle de cofondateur. Mon parcours m’a permis de renforcer à la fois mes compétences techniques et managériales. Mon goût pour l’innovation reste au cœur de mon approche entrepreneuriale, et j’essaie de le transmettre dans chaque projet.
__
Silvr est né d’une frustration : la difficulté d’obtenir des financements pour les petites entreprises en Europe. Peux-tu nous raconter les premières étapes de cette aventure entrepreneuriale et ce qui t’a motivé à lancer Silvr en 2020 ?
En 2019, après mon retour en France, j’ai eu envie de reprendre des risques et de lancer mon propre projet. À ce moment-là, en discutant avec des amis et d’anciens collègues, j’ai échangé avec Nima Karimi, un ancien camarade de HEC qui venait de vendre sa dernière entreprise. Il me raconte qu’il avait rencontré des difficultés à financer la trésorerie de sa société, en raison des délais de paiement des clients qui pouvaient s’étirer sur plusieurs mois. Il avait exploré des solutions d’affacturage, mais le système était limité : en fonction de la taille ou de la notoriété des clients, les avances de trésorerie pouvaient être refusées. C’est alors que l’idée de Silvr est née : et si nous pouvions développer une alternative plus flexible à l’affacturage pour répondre aux besoins de trésorerie des entreprises ?
En étudiant ce qui se faisait aux États-Unis, nous avons découvert le « Revenue-Based Financing », un modèle de financement basé sur les revenus. L’idée est simple : en nous connectant aux flux financiers d’une entreprise, nous pouvons analyser les revenus en temps réel. Nous avançons ensuite une somme, que l’entreprise rembourse à travers un pourcentage. Ce modèle de financement, plus souple et basé sur les revenus, n’était alors pas encore développé en Europe.
Nous avons donc décidé de nous associer pour lancer Silvr, avec Nima gérant la stratégie tandis que je m’occupais du développement d’un premier prototype. Nous avons donc démarré modestement, en réalisant nous-mêmes l’analyse des risques sur Excel, et en finançant les premiers e-commerçants avec notre propre capital. Petit à petit, nous avons affiné nos algorithmes et nos méthodes d’analyse, lançant véritablement Silvr sur ces bases. Nima et moi, ayant déjà l’expérience de la cofondation, avons pris le temps d’établir une relation de travail solide et transparente, en réfléchissant à nos complémentarités et à nos façons de travailler ensemble. C’est ainsi que l’aventure Silvr a pris forme.
__
Silvr utilise un système d’analyse de données pour simplifier et accélérer l’accès au financement. Peux-tu nous en dire plus sur cette technologie et en quoi elle représente une avancée par rapport aux méthodes de financement plus traditionnelles ?
Nous proposons un modèle de financement de trésorerie à court terme, généralement entre 4 et 6 mois, qui permet aux entreprises de couvrir leurs besoins en fonds de roulement (BFR). Contrairement aux prêts bancaires, qui sont plus rigides et demandent souvent des garanties comme des biens ou des stocks, notre solution s’adapte à des dépenses plus spécifiques comme les campagnes de publicité digitale, qui, pour des PME ne sont généralement pas acceptées par les banques traditionnelles.
Pour évaluer la solidité financière des entreprises que nous finançons, nous combinons plusieurs analyses : codes d’activité (NAF), historique des fondateurs et, surtout, données bancaires réelles grâce à l’open banking. Cela nous permet de collecter l’historique des transactions souvent sur les six derniers mois, et d’obtenir une vision fiable et actualisée de la situation de l’entreprise. Cette méthode d’analyse est plus précise que les bilans comptables, qui peuvent parfois être modifiés ou ne pas refléter les réels flux de trésorerie.
Une fois ces données récupérées, nous utilisons des algorithmes de classification, que nous avons développés en interne, capables de catégoriser automatiquement les transactions (salaires, marketing, taxes, etc.) avec une précision à hauteur de 96 %. Ces informations nous aident à construire un profil de risque complet pour chaque client.
Nos algorithmes sont basés sur des modèles de machine learning avancés, entraînés spécifiquement pour notre usage, ce qui nous permet de prendre des décisions rapidement et à moindre coût. Nous faisons en moyenne plus de 200 financements par mois. Grâce à cette méthodologie, nous sommes en mesure de prendre des décisions de financement sur montants entre 10 000 et 1 000 000 d’euros, que les banques traditionnelles n’envisageraient même pas d’étudier.
Ce métier exige une forte capacité d’anticipation et un historique solide de données. Avec plus de 20 000 décisions de financement et 3 millions de transactions bancaires analysées, nous avons réussi à développer un modèle prédictif robuste pour évaluer les risques.
__
En tant que co-fondateur, de Silvr peux-tu revenir sur tes missions et comment celles-ci se traduisent au quotidien ?
En tant que cofondateur technique et CTO, j’ai eu plusieurs missions clés. D’abord, lors de la croissance rapide de l’entreprise, notamment après notre levée de fonds importante en 2022, j’ai eu à organiser et structurer les équipes. Il a fallu passer d’une petite équipe de 2 personnes à une soixantaine, dont une trentaine d’ingénieurs. Ce changement demande beaucoup de management d’équipe pour structurer efficacement les projets et l’organisation.
Ensuite, j’ai travaillé à mettre en avant la technologie que nous développons. Cela inclut la communication externe : nous avons publié des articles de blog techniques, participé à des événements pour présenter notre infrastructure. Ce rayonnement, que j’appelle le “tech marketing”, ne se fait pas tout seul. Il faut être actif dans l’écosystème, se faire connaître et participer aux bons événements pour partager nos avancées.
Je m’occupe également de la vision et de la feuille de route technologique. Mon rôle est de développer la technologie pour répondre aux besoins spécifiques du secteur.
__
Depuis la création de l’entreprise, vous avez mené plusieurs levées de fonds. Peux-tu nous partager ton expérience à ce sujet ? Quels ont été les défis rencontrés ?
Mon expérience avec Silvr et les levées de fonds a été riche en enseignements. Au départ avec Nima, nous avions déjà une certaine légitimité entrepreneuriale, mais peu d’expérience en matière de levées de fonds. Il a donc fallu affronter de nombreuses questions sur la viabilité de notre solution en Europe, et en France en particulier. Bien que le concept soit prouvé aux États-Unis, le scepticisme des investisseurs restait élevé. La recherche des bons investisseurs a été un défi. Le financement dans le domaine du “lending” (prêt) est spécifique, et la majorité des investisseurs ne sont pas spécialisés dans ce secteur. Il nous a donc fallu du temps pour identifier les investisseurs ouverts à notre vision et capables de nous suivre dans cette aventure.
Pour notre première levée nous avons sollicité des business angels grâce à notre réseau. Ils souhaitaient voir des preuves concrètes de l’attraction de notre produit, ce qui nous a poussés à démontrer sa valeur dès le départ. Dans cet exercice, il est essentiel de bien préparer son discours et d’avoir une connaissance parfaite de la compétition et du marché, car chaque question doit pouvoir trouver une réponse rapide et précise. Le processus d’apprentissage avec les investisseurs a aussi été crucial. Au début, nous nous entraînions avec ceux qui étaient moins stratégiques pour nous, afin d’affiner notre pitch avant de rencontrer les investisseurs clés.
Depuis, nous avons réalisé plusieurs levées. Notre série A s’est élevée à 20 millions d’euros. Nous avons dû faire preuve de résilience, car chaque levée a impliqué plus de 60 pitchs avec son lot de refus et de retours contradictoires, souvent décourageants. Pour conclure, je dirais qu’une levée de fonds nécessite d’être résilient et de ne pas craindre l’échec. L’adaptabilité et la persévérance sont primordiales, car ce parcours est rarement sans embûches et demande une vraie force de conviction.
__
Selon toi, quelles sont les spécificités et les principaux défis que rencontrent les entreprises en Nouvelle-Calédonie lorsqu’elles cherchent à innover ou à se financer ?
Les entrepreneurs calédoniens qui cherchent à innover ou à lever des fonds font face à plusieurs obstacles majeurs. D’abord, l’insularité de la Nouvelle-Calédonie complique les partenariats avec les acteurs européens en raison de l’éloignement géographique et du décalage horaire important. Ce contexte limite aussi les opportunités de financements et les synergies stratégiques. En revanche, la proximité avec des marchés comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, et certaines zones d’Asie offre des perspectives intéressantes.
Aussi, la taille réduite de la population calédonienne restreint naturellement le marché local. Un produit ou service doit donc être conçu dès le départ pour s’exporter afin d’atteindre une viabilité économique. Pour cela, des financements plus conséquents et des structures de soutien adaptées sont essentiels pour permettre aux entreprises de se développer à l’international.
Le contexte politique actuel, peut également décourager les investisseurs. Les fonds d’investissement sont en général sensibles à ce type d’incertitudes et demandent davantage de garanties avant de s’engager, ce qui ralentit parfois les levées de fonds.
Malgré tout, la résilience des entrepreneurs calédoniens est remarquable. Il existe de nombreuses initiatives locales, notamment dans le secteur du digital, qui s’adaptent aux contraintes locales et répondent à des besoins spécifiques. On observe, par exemple, des innovations dans des domaines tels que la mobilité intelligente, l’optimisation de l’irrigation agricole, la protection environnementale via des solutions géospatiales, la gestion des ressources humaines, ainsi que des produits d’infrastructure numérique comme la signature électronique locale.
__
Enfin, aurais-tu un message ou un conseil pour les entrepreneurs du Caillou (et d’ailleurs) qui envisagent de lancer ou de développer leur entreprise ?
Mon conseil aux entrepreneurs calédoniens rejoint ce que j’ai mentionné précédemment : il est essentiel de penser au-delà du marché local. Tester son produit ou service sur place est important, mais il faut rapidement envisager des relais de croissance à l’international. La Nouvelle-Calédonie est idéalement placée pour se positionner comme un acteur tech dans le Pacifique, en créant des connexions avec les pays voisins et en valorisant ses atouts.
Malgré les défis actuels, la Calédonie offre un environnement propice à l’innovation digitale. Les entreprises locales gagneraient à s’orienter vers des secteurs porteurs comme la tech durable, la biodiversité et les solutions numériques exportables tout en restant implantées localement.
La diversité culturelle, la qualité de vie et l’appui croissant des institutions, à travers des incubateurs et des accélérateurs, sont également des atouts pour attirer des talents et renforcer l’écosystème. Alors, restez optimistes et continuez à croire en vos projets : le futur de l’île est riche de promesses !
__