Un territoire insulaire aussi magnifique que la Nouvelle-Calédonie représente forcément un terrain de jeu exceptionnel pour les métiers de la production audiovisuelle. Et si l’on ajoute à cela que le Caillou est d’une rare richesse culturelle, écologique et démographique, on comprend mieux que ce secteur d’activité se développe et se professionnalise à vitesse grand V. Parmi les locomotives de la production documentaire, télévisuelle et cinématographique du territoire, comment ne pas citer Archipel Production, installée depuis 17 ans dans le Pacifique avec une antenne en Polynésie et une autre à Nouméa. Nous sommes allés à la rencontre de Catherine Marconnet – à la tête du volet calédonien de la société – pour évoquer avec elle les récentes évolutions rencontrées par son métier, l’impact du numérique sur la production audiovisuelle en général ainsi que ses dernières actualités.

Bonjour Catherine. Pouvez-vous nous présenter l’historique d’Archipel Production ?

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© Archipel Production

Bonjour aux lecteurs de NeoTech ! Archipel Productions est une société de production audiovisuelle constituée en Nouvelle-Calédonie à la fin de l’année 2012. Nous produisons essentiellement des films documentaires, des magazines, des reportages et des émissions de télé. Nous avons participé à beaucoup de co-productions nationales et internationales, c’est-à-dire que nous nous associons avec d’autres sociétés de production métropolitaines ou étrangères et nous réalisons la partie calédonienne – ou océanienne – de ces productions. 

Archipel Production possède également une antenne à Tahiti, qui existait déjà dans les années 2000. J’ai moi-même vécu quelques temps en Polynésie avant de décider de rentrer vivre sur le Caillou, avec lequel j’ai une longue histoire. Je fais à présent des aller-retours entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie car, même si ces deux entreprises sont détachées l’une de l’autre, elles restent jumelles dans leur management et leur ligne de production. 

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Pouvez-vous nous donner quelques exemples de vos plus belles réalisations calédoniennes ?

Parmi nos plus belles réussites, je pense à un documentaire intitulé “La montée des gros” qui traite de l’obésité dans le Pacifique et plus spécifiquement en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie et à Tonga. Je pense également à “Cyril, ma part Kanak” qui avait marqué les esprits. Le documentaire relate le départ de Nouvelle-Calédonie d’un jeune métisse Kanak lorsqu’il avait trois ans. Ses parents sont allés vivre en Métropole et le film aborde son retour à dix-sept ans lorsque, en pleine adolescence, il rend visite à sa grand-mère restée à Ouvéa. Je pourrais également évoqué de nombreux films comme “Une tribu dans la ville ou encore “Les défis d’un retour aux sources”.

Nous avons également réalisé des émissions pour la télévision qui ont duré plusieurs saisons. C’est le cas de “Demain c’est nous” qui s’intéressait à la jeunesse calédonienne ou encore d’“Eclairages”, un magazine économique présenté par Erik Dufour. 

Nous préparons actuellement la saison 2 d’une émission sur l’entrepreneuriat calédonien intitulée “Ose Ta Boîte”. Le format a été développé en Polynésie par les auteurs Karim Mahdjouba et Nicolas Perez avec les équipes d’Archipel Production à Tahiti et adapté par nos soins pour la Calédonie. 

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Extrait de “La montée des gros” © France TV

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Quel regard portez-vous sur la production audiovisuelle calédonienne ?

En tant que présidente de la FIPA NC, la Fédération Indépendante des Producteurs Audiovisuels de Nouvelle-Calédonie, je peux dire que la production locale possède de nombreux atouts. Elle est à l’image de notre pays : riche d’histoires, de variétés de décors et de cultures. Elle est à la croisée d’enjeux capitaux pour la Nouvelle-Calédonie, d’abord sur le plan culturel et artistique bien sûr, mais elle contribue également à informer sur les enjeux sociaux, environnementaux et humains. C’est aussi une filière précieuse pour le rayonnement du territoire. La filière s’est beaucoup professionnalisée ces dernières années et représente un secteur d’activité porteur.

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© NC la 1ère

Il y a encore beaucoup à faire pour son développement notamment du côté de la formation, de l’attractivité du territoire et de la visibilité des œuvres calédoniennes au-delà de notre lagon. Les trois chaînes de télévisions sur le territoire et c’est un atout : NC la 1èreCaledonia et Canal+ Nouvelle-Calédonie sont des partenaires incontournables mais les institutions également.

Nous possédons en Nouvelle-Calédonie un fonds de soutien audiovisuel qui englobe des aides accordées par les trois Provinces et le Gouvernement. Il s’agit d’un fonds “pays” qui est un soutien indéniable à la filière. Il reste cependant complètement dépendant de la vie politique du pays, ce qui peut s’avérer problématique. En 2021, par exemple, l’irruption du Covid et l’absence de Gouvernement pendant neuf mois ont fragilisé la filière. Aujourd’hui, nous essayons de faire en sorte de consolider et de pérenniser ce fonds et de mettre en lumière ce secteur méconnu qui peut se révéler comme porteur dans l’avenir du pays. 

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En quoi cette production locale est-elle impactée par l’essor du numérique ?

Le numérique est de plus en plus présent dans nos habitudes de production. Avoir des programmes complémentaires à destination du web est devenu une condition “sine qua non” de notre travail. Ils doivent venir renforcer nos formats plus classiques, avec des déclinaisons à destination des réseaux sociaux, etc. 

Pour ce qui est de la consommation des contenus, toutes nos chaines de télévision possèdent désormais des outils de replay et des plateformes dédiées aux contenus numériques. Ce qui est certain, c’est que la consommation des Calédoniens pour regarder des programmes évolue : la tendance est de plus en plus de consommer “à la carte” les contenus audiovisuels. 

On peut ajouter à cela une offre toujours plus riche d’abonnements et de médias à la demande comme Netflix, Amazon ou Disney. Pour nous autres producteurs calédoniens, nous sommes encore loin de collaborer étroitement avec ces systèmes de plateformes par abonnement. On y travaille, même si notre éloignement rend difficile les déplacements sur les marchés internationaux où l’on peut rencontrer ces acteurs. Je pense toutefois qu’il y a, une un intérêt fort de la part des Calédoniens pour les œuvres locales qui leur donnent à voir et à comprendre leur pays.

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Quels sont les outils numériques et innovations technologiques qui sont apparus au cours de la dernière vingtaine d’années et que vous avez intégré dans votre activité quotidienne ?

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Cyril, ma part Kanak © Outre Mer la 1ère

Il est certain que toute la chaine de production de notre métier a changé avec le numérique. Il y a vingt ou trente ans, nous en étions encore aux pellicules de films ! Aujourd’hui, il est plus aisé et abordable de se procurer une caméra numérique. Les outils de post-production sont également désormais en ligne. L’intégralité de nos dossiers sont stockés numériquement sur le Cloud, ce qui nous permet de travailler en toute facilité. Dans le cas des co-productions, il nous faut souvent faire valider notre travail par des partenaires en Métropole ou à l’étranger, ce qui n’est facilement possible qu’avec le numérique et les services de transfert en ligne… Il y a donc désormais une nécessité absolue d’être rompu au numérique, ce qui s’est répercuté sur notre chaine de production et de validation.

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Les sociétés de production calédoniennes ont-elles changé d’approche créative et commerciale avec l’avènement des réseaux sociaux ?

Cela dépend des formats et de nos moyens de production. Ce qui est sûr, c’est que la communication des programmes a évolué. Avant de sortir un film, il faut aujourd’hui préalablement réfléchir à la façon dont nous allons communiquer autour de ce film. Les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant sur ce point. En Nouvelle-Calédonie, Facebook a une place prépondérante et il faut en tenir compte. Il faut s’efforcer de réaliser des teasers, proposer des photos de tournage et ainsi de suite, afin de valoriser notre travail. Bien entendu, on ne communique pas non plus de la même manière sur un film de fiction ou sur un programme télévisé, mais il est clair que les réseaux sociaux font, dans cette optique, désormais partie intégrante de notre métier.  

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L’arrivée des plateformes de streaming par abonnement et autres webTV a-t-elle changé votre métier ?

Nous signons encore principalement des contrats avec des canaux de diffusion plus classiques, comme les chaines de télévision. La chaine acquiert alors, pour une certaine durée, les droits de diffusion de nos programmes. C’est donc à elle, ensuite, de gérer avec les plateformes de streaming par abonnement la revente de ces droits de diffusion. 

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© Netflix

L’arrivée de ces plateformes à la demande a bien sûr tout changé dans le paysage audiovisuel. En Nouvelle-Calédonie, nous sommes encore loin de privilégier ces canaux même si c’est logiquement ce vers quoi il faut tendre. J’ai assisté à des conférences en Métropole avec le directeur de Netflix France… Il s’agit de procédures très carrées, avec des algorithmes qui déterminent le potentiel de vos programmes. C’est une autre façon de faire qui nécessite de proposer des contenus et des formats qui correspondent aux attentes de ces plateformes et qui ne peuvent que difficilement être strictement centrés sur la Nouvelle-Calédonie… Toutefois, il existe de plus en plus de petites plateformes qui pourraient être intéressées par des contenus plus confidentiels. Affaire à suivre…

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Avec Archipel Prod, vous lancez en 2019 l’émission « Ose ta boite », un jeu télévisé sur la création d’entreprise qui va connaitre sa 2ème saison. Pouvez-vous nous en expliquer le concept et les résultats des deux premières éditions ?

Ose Ta Boite est donc un programme d’abord développé en Polynésie et qui va connaitre là-bas sa troisième saison. Nous avons adapté son concept à la Nouvelle-Calédonie en partenariat avec ses auteurs et l’antenne tahitienne d’Archipel Productions. L’idée est assez simple : il s’agit d’un casting géant de Calédoniens porteurs de projets d’entreprises. Ces candidats s’affrontent alors dans des épreuves centrées sur l’entrepreneuriat et sont départagés par quatre membres d’un jury entièrement composé d’entrepreneurs. Les épreuves peuvent consister à faire une étude de marché, à tester ses capacités de communication, la solidité de son business plan… Le candidat qui en sort vainqueur repart avec un million de francs pour développer son entreprise. 

L’idée derrière Ose Ta Boîte est aussi de montrer ce côté un peu “pionnier” qu’ont les Calédoniens et cette facilité qu’ils ont à entreprendre. L’émission doit encourager les porteurs de projet à se lancer sur la voie de l’entreprise tout en leur faisant prendre conscience des prérequis et des règles à respecter pour y parvenir. C’est également l’occasion de montrer une Calédonie qui fonctionne, avec une ambiance géniale sur les tournages et des relations qui perdurent entre les candidats et les membres du jury. 

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Oserez-vous ? © CMA NC

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© Mme Pâtisserie

Des anecdotes à partager avec nos lecteurs au sujet de ces jeunes entrepreneurs et du projet vainqueur de la précédente saison ?

Les anecdotes, ce n’est pas ce qu’il manque ! Il y a eu pas mal de surprises. Lorsque le jury reçoit les candidats, il n’a aucune idée des profils auxquels il va avoir affaire, ce qui donne parfois des moments savoureux ! Il faut aussi relever que les journées de tournage sont conséquentes et les candidats ne savent pas toujours à quoi s’attendre en signant…

En ce qui concerne le vainqueur de la précédente saison, il s’agit du projet de Gabrielle, qui a créé “Madame Pâtisserie” que vous pouvez retrouver sur les Quais Ferry. Gabrielle avait un profil de première de la classe : ses parents voulaient qu’elle soit avocate mais elle a insisté pour porter ce projet et elle est aujourd’hui chef d’entreprise à seulement 23 ans ! 

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En quoi l’entrepreneuriat est-il un sujet qui passionne les Calédoniens ?

Je pense que la Nouvelle-Calédonie est un pays dynamique et, à mon avis, cela est ancré dans les racines de son histoire : il a fallu “faire” ce pays et tout le monde a mis les mains dans le cambouis pour le construire… Il en a résulté l’esprit pionnier que nous évoquions tout à l’heure. J’ai aussi l’impression que, au-delà de l’entrepreneuriat, la notion de travail a évolué ces dernières années. Les gens veulent désormais avoir davantage de temps à consacrer à leurs proches, cherchent du sens dans ce qu’ils réalisent et se tournent de plus en plus vers des projets liés à l’environnement, au développement durable ou à l’harmonie sociale. Cela se traduit par un grand nombre d’individus qui se lancent dans l’entrepreneuriat et se mettent à leur compte. 

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Clap de fin ou encore une actualité à partager ?

Merci aux lecteurs de NeoTech pour le temps consacré à la lecture de cette interview et je vous attends nombreux pour la seconde saison d’Ose Ta Boite sur NC la 1ère !

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