Ce jeudi en fin de journée, une petite foule se presse devant les portes de la Station N. Et pour cause, quand on parle numérique il est difficile de détrôner la super star du moment : l’intelligence artificielle. Omniprésente dans nos vies privées et professionnelles, elle s’impose désormais comme un outil incontournable. Et pourtant, son utilisation fait débat. Si elle est aujourd’hui largement utilisée (et plébiscitée), elle est aussi responsable de nombreuses craintes et dérives. 

C’est pour éclairer ces zones d’ombre qu’OPEN NC et la Station N ont organisé cet événement thématique autour de deux tables rondes consacrées aux impacts de l’IA sur notre travail. Experts et acteurs locaux ont partagé leurs expériences, leurs cas d’usage et leurs visions pour mieux comprendre ce phénomène qui fascine autant qu’il questionne. Alors, l’IA est-elle une révolution à embrasser ou un risque à maîtriser ? Peut-être un peu des deux…

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Le b.a-ba de l’IA

Avant d’entrer dans le vif du sujet, Mehdi Mahroug, notre super formateur local en intelligence artificielle, a pris le temps de rappeler les bases. Car non, l’IA n’a pas vu le jour avec ChatGPT. Derrière cette technologie se cachent notamment les Grands Modèles de Langage (LLM), qui existent depuis longtemps mais dont l’essor n’a été possible qu’avec les progrès du machine learning. Concrètement, un LLM est d’abord pré-entraîné sur d’immenses corpus de textes pour apprendre la structure du langage. Il décompose les mots en tokens (petites unités de données) et apprend, de manière probabiliste, à prédire la suite la plus cohérente d’une phrase. 

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Simple comme bonjour comme dirait l’autre ! Source : reddit

Ce processus est ensuite affiné grâce à l’intervention humaine d’abord par des annotateurs en interne qui corrigent et valident les réponses générées, puis par les utilisateurs eux-mêmes qui, en interagissant avec le modèle, contribuent à l’améliorer et à le rendre plus performant. Aujourd’hui, les tokens sont de plus en plus précis. La dernière version de ChatGPT peut ainsi prendre en compte près de 260 000 mots de contexte. Pourtant, même si on pourrait penser qu’on se trouve face à un être de chair et de sang, il ne faut pas oublier que, derrière nos écrans se cache avant tout un algorithme mathématique qui n’a pas (encore) le niveau de compréhension d’un être humain.

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Quand Mehdi rime avec pédagogie ! © NeoTech

Au-delà du fonctionnement général des LLM, la question de l’adaptation de ces modèles aux données d’une entreprise demeure. Pour répondre à ce besoin, deux approches existent. La première est celle du Fine-Tuning qui consiste à reprendre un modèle déjà entraîné et à l’enrichir avec des données spécifiques à l’entreprise. En d’autres termes, on lui « apprend » de nouvelles choses pour qu’il puisse l’intégrer et le restituer. La seconde approche, appelée RAG (Retrieval-Augmented Generation), fonctionne différemment. Plutôt que de réapprendre de nouvelles données, le modèle va aller chercher directement l’information dans une base documentaire externe au moment où on l’interroge dans une sorte de grande bibliothèque virtuelle remplie d’étagères et de cartons classés. Et comme dans la vraie vie, plus les données sont organisées, plus l’IA saura où chercher. Une mécanique redoutablement efficace donc mais à condition d’avoir fait le tri en amont !

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« Up » ou « down » des compétences ?

Une fois les bases posées, place aux échanges animés par Sylver Schorgen, président d’OPEN NC. La première table ronde s’est attaquée à une question oh combien centrale. L’IA représente-t-elle une opportunité de création de valeur pour les entreprises ou, au contraire, une menace pour les compétences et l’emploi ?Pour en discuter, c’est un panel d’experts aux regards complémentaires avec Maxime Bollengier, responsable mission « Transformation Numérique » à la DINUMPhilippe Gadet, CEO d’OPS InsightIsmaïl Zitouni, directeur général de la Société Générale de Nouvelle-Calédonie et Fabrice Juste, délégué au numérique à NC la 1ère qui ont rejoint Sylver.

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Les 4 fantastiques de l’IA © NeoTech

Autour de la table, le même constat est partagé. L’IA n’est pas une fin en soi, mais un outil pour délivrer les services différemment, avec plus d’efficacité. Fabrice de NC la 1ère a rappelé leur credo : garder l’humain au début et à la fin du processus, en utilisant l’IA comme intermédiaire pour gagner du temps tout en maîtrisant le rendu final. Maxime a mis en avant des expérimentations au gouvernement que ce soit dans la génération d’images ou encore le développement de chatbots pour simplifier l’accès aux procédures administratives ou encore pour accompagner le grand public sur le code du travail. Côté bancaire, Ismaïl a insisté sur l’IA comme outil d’aide à la décision, notamment pour le scoring de crédit ou l’anticipation de trésorerie, avec un gain de temps indéniable mais nécessitant cependant une grande prudence et une vérification humaine. Philippe a quant à lui, rappelé l’importance de la gouvernance et du cadre avant l’utilisation d’outils IA. Quoiqu’il en soit, après ces échanges, une idée principale émerge autour de l’utilisation de l’IA pour les entreprises et administrations. Il faut avancer par étapes, garder méthode et humilité et surtout replacer l’humain au centre du processus.

Reste alors la question (sensible) des métiers. L’IA va-t-elle provoquer leur disparition ou leur transformation ? Nos experts ont été unanimes. Si certaines tâches vont disparaître, les métiers, eux, évolueront. De nouveaux rôles vont émerger, notamment autour de la donnée et de l’expertise technique. Comme l’a souligné Ismaïl, le secteur bancaire a déjà traversé plusieurs vagues de mutations et l’IA sera l’occasion de créer de nouvelles compétences. Fabrice y voit même une opportunité pour la jeunesse d’accéder à de nouveaux métiers. Mais attention, comme l’a rappelé Philippe, des études McKinsey montrent que ce sont surtout les profils intermédiaires qui pourraient être fragilisés, tandis que les experts et les débutants bénéficieront de gains de productivité ou développeront de nouvelles compétences. En somme, comme lors de chaque avancée technologique, une transformation de nos sociétés s’annonce et celle de l’IA pourrait bien rimer avec montée en expertise et ultra-spécialisation.

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Aie confiance. Crois en moi…

Pour la seconde table ronde c’est un autre débat brûlant qui a été ouvert. « L’IA est-elle réellement un progrès durable et peut-on lui faire confiance ? », vaste question certes. Pour tenter d’y répondre Sylver a accueilli Xavier Liénart, gérant de MSI.nc et référent pour la Fresque du Numérique en Nouvelle-Calédonie, Mehdi Mahroug, directeur d’iLearnEve Chiapello, co-gérante d’APID et Moehau Huioutu, chargée d’études juridiques à la DINUM. Tous ont commencé par souligner les travers de l’IA, notamment les fameuses « hallucinations » qui peuvent induire en erreur si elles ne sont pas relues par un expert. Du côté juridique, Eve a alerté sur le risque de faux décrets générés par l’IA et sur les enjeux de gouvernance liés à la protection des données personnelles. D’un point de vue plus général, s’est également posée la question de la responsabilité.

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Un peu de parité ça a jamais fait de mal ! © NeoTech

Au-delà de la fiabilité, le débat a porté sur les enjeux éthiques et environnementaux. Xavier a notammentsouligné l’absence de données fiables sur l’impact écologique des IA, alors même que leur déploiement accélère la construction de data centers, souvent alimentés par des énergies polluantes. La régulation apparaît donc comme un impératif. Moehau a d’ailleurs mentionné le futur règlement européen sur l’IA, basé sur une approche par les risques, devrait fournir un premier cadre. Mais les entreprises peuvent déjà agir en interne, par exemple via des chartes d’usage co-construites avec les collaborateurs, afin de cadrer la place de l’IA dans leurs activités. Enfin, tous ont insisté sur la nécessité de pragmatisme et d’intelligence collective. Sortir des postures de fascination ou de peur, encadrer les usages, vérifier les sources, et aussi utiliser ces outils pour réduire (et non aggraver) la fracture numérique. 

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Et donc ? 

En somme, l’IA n’est ni une amie parfaite, ni une ennemie absolue. Elle est avant tout un levier d’innovation et de transformation… à condition de savoir l’utiliser. Ces tables rondes ont d’ailleurs rappelé l’importance de replacer l’humain au centre. Car oui, l’IA transforme nos métiers, notre rapport au travail et à la société, mais elle ouvre aussi la voie à de nouvelles perspectives. Comme toute évolution technologique ou technique, elle nous invite à repenser nos usages et à se questionner sur sa place au sein de notre société. Entre fascination et vigilance, il appartient à chacun de nous de tracer la direction qu’on souhaite lui donner. 

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