Cette semaine, nous nous envolons vers l’univers de l’intelligence artificielle et de la formation avec Philippe Gadet. Pilote chevronné dans l’aéronautique et passionné de tech’, il a troqué sa casquette d’aviateur pour celle de l’entrepreneur avec OPS Insight.
Cet expert de l’aéronautique s’est entouré de professionnels de l’intelligence artificielle pour proposer une formation d’un nouveau genre. Alors, est-ce que l’IA pourra un jour remplacer les formateurs ? Pas sûr. En revanche, elle va certainement redéfinir les modes d’apprentissage dans les années à venir. Retour sur la question avec ce pédagogue passionné à la tête dans les nuages mais aux pieds bien sur terre.
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Bonjour Philippe et bienvenu sur NeoTech. Pour débuter notre échange pourrais-tu te présenter rapidement et dire à nos lecteurs comment l’on passe de pilote dans l’aéronautique à entrepreneur ?
Bonjour NeoTech, je m’appelle Philippe Gadet. Après de nombreuses années en tant que pilote, je suis passé instructeur réserviste à l’École de l’Air et de l’Espace de Salon-de-Provence en 2018 où j’ai contribué à la mise en place d’un programme appelé DROP (Developing Resources and Optimizing Performance) visant à repenser entièrement la formation des pilotes de chasse.
Il y a cinq ans, je suis arrivé en Nouvelle-Calédonie en tant que responsable des opérations en vol chez Air Loyauté. En avril 2024, j’ai quitté mon poste pour créer OPS Insight. Je dirai donc que je suis passé d’une aventure à une autre. La rigueur, l’engagement, l’objectif de résultats et les enjeux de sécurité sont des points communs entre un pilote et un entrepreneur.
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OPS INSIGHT a vu le jour en 2024, peux-tu nous revenir sur sa genèse et les motivations qui t’ont amené à créer cette entreprise ?
Quand on vit dans le Pacifique Sud et que l’on travaille dans un secteur aussi exigeant que l’aéronautique, il est souvent difficile de trouver des formations adaptées. Ces défis concernent autant les aspects techniques, les particularités culturelles, que les coûts de formation inhérents aux déplacements, les absences du poste de travail et donc, la productivité. Mon objectif avec la création d’OPS Insight était de pouvoir proposer des formations adaptées aux réalités locales, en Nouvelle-Calédonie mais aussi en Polynésie.
Dans le Pacifique Sud, les attentes et les contextes de formation sont très différents de ceux en Europeque ce soit en terme de support, de facilité de connexion voire de moyen de transport. . L’objectif d’OPS Insight est de fournir une solution adaptée aux contraintes des entreprises locales, à leurs objectifs stratégiques et à leur culture, ainsi qu’aux objectifs pédagogiques de leurs apprenants.
En Europe, on trouve des formations « sur étagère », mais ce modèle ne correspond pas à notre réalité. Mon ambition avec OPS Insight est de proposer des formations conçues à partir d’une grande quantité de données pour répondre à des besoins et des attentes spécifiques. Dans cette idée, l’intelligence artificielle joue un rôle clé en analysant de multiples données pour produire des solutions simples, évolutives, et surtout adaptées au niveau de compétence, au rythme de vie et aux contraintes des apprenants.
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Aujourd’hui, tu travailles avec différents partenaires locaux. Comment t’accompagnent-ils au quotidien ? As-tu bénéficié en parallèle de dispositifs d’accompagnements ?
En ce qui concerne les partenaires, j’ai la chance de travailler avec APID et plus particulièrement avec Thomas Avron, l’un des piliers de l’intelligence artificielle en Nouvelle-Calédonie. Dans ce projet, il y a une complémentarité très forte entre mon expertise en aéronautique et la sienne en intelligence artificielle. Chacun a également des connaissances sur le sujet de l’autre, et c’est cette double expertise qui fait la richesse d’OPS Insight aujourd’hui.
Concernant les dispositifs d’accompagnements, dès le début de mon projet, j’ai été soutenu par Initiative NC, un organisme associatif qui m’a aidé à réfléchir à la structure du projet et à son modèle économique. Pour la partie innovation, c’est Promosud (anciennement l’Adecal) qui m’accompagne sur cet aspect. La partie « innovation » est vraiment essentielle sur le long terme, pour envisager de lever des fonds et poursuivre le développement de notre solution en formations de manière plus élargie.
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Passons maintenant à la partie « tech ». Grâce à l’IA tu as la possibilité de proposer des scénarios de dialogues immersifs personnalisés en matière de formation. Comment cela fonctionne et quelles sont les perspectives d’évolution ?
OPS Insight s’appuie sur l’intelligence artificielle pour concevoir des outils qui permettent d’interroger une réglementation aéronautique complexe et d’en extraire des contenus adaptés. Chaque apprenant a un niveau de compétence et de compréhension différent et notre IA est capable de personnaliser un contenu précis en fonction de ces variations.

Lors de la conception d’un scénario, nous donnons des instructions à l’IA pour qu’elle rassemble les données en fonction des besoins spécifiques de l’entreprise, des objectifs pédagogiques de l’individu et du niveau de performance de celui-ci. Au départ, nous traitons une grande quantité de données pour créer le scénario, puis celui-ci s’adapte en temps réel à l’apprenant. L’objectif est de faire évoluer le scénario en fonction des progrès de l’apprenant puis d’analyser les données générées pour évaluer ses compétences.
D’ici la fin de l’année 2025, nous espérons pouvoir proposer un avatar vidéo conversationnel. Cette avancée aurait un impact énorme sur la formation avec un outil disponible 24 heures sur 24 et jamais fatigué de répéter les mêmes informations.
Notre priorité aujourd’hui est donc de créer un contenu fiable et pertinent. Bien que le développement soit encore en cours, j’utilise cet outil dans les formations que je donne actuellement pour établir plus spécifiquement les besoins utilisateur.
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Peux-tu nous expliquer en quoi consiste précisément l’approche basée sur les compétences (CBTA) que tu mets en avant dans tes programmes de formation ?
Le CBTA ( Competence Based Training Approach) est un concept qui vise à offrir une formation entièrement adaptée à l’apprenant. Les études montrent qu’en général, lorsque l’on dispense une formation seulement environ 10 % du contenu est réellement assimilé. Cette approche consiste à analyser la compétence initiale et le niveau de connaissance de l’apprenant pour adapter le contenu de la formation. Grâce au modèle que nous sommes en train de développer nous avons la capacité de proposer cette méthode avec des formations dont le contenu pédagogique reste générique mais avec une méthodologie d’apprentissage qui s’adapte à l’individu.

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Quel regard portes-tu sur les enjeux actuels autour de la formation en ligne notamment en Nouvelle-Calédonie ?
La formation en ligne, qu’elle soit en Nouvelle-Calédonie ou en Europe, se heurte à des contextes très différents. Mais aujourd’hui, tout le monde a un portable qui est devenu l’outil principal d’apprentissage, il est utilisé tout le temps et partout que ce soit dans les transports en commun en Europe ou sur les îlots en Nouvelle-Calédonie. C’est pour cette raison que nous avons fait le choix de développer notre approche d’enseignement en ligne sur téléphone. A mon sens, cet outil est particulièrement adapté à la réalité et aux modes de consommation actuels que ce soit en Nouvelle-Calédonie ou ailleurs dans le monde.
De même, le contenu des formations doit tenir compte des spécificités géographiques et opérationnelles notamment dans le secteur de l’aéronautique. Par exemple, lorsque l’on vole en Nouvelle-Calédonie ou sur une ligne comme Brisbane-Nouméa, les facteurs météorologiques ne seront pas les mêmes qu’en métropole et il est important que ces spécificités soient prises en compte dans un parcours de formation. L’utilisation de l’intelligence artificielle dans les formations en ligne permet de les adapter au contexte géographique et culturel spécifique de chaque région.
Enfin, lorsqu’on parle de formation en ligne en général, il est souvent difficile d’identifier précisément ses besoins. Pourquoi choisir un site ou une plateforme de formation plutôt qu’une autre ? Aujourd’hui, le principal critère de sélection est la certification, qui atteste de la qualité et de la reconnaissance de la formation. Cependant, il est essentiel de personnaliser l’apprentissage pour que l’apprenant puisse y trouver un véritable intérêt en fonction de son environnement et de ses besoins.
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Selon toi, comment l’intelligence artificielle transformera-t-elle le monde de la formation professionnelle, au-delà de l’aéronautique, dans les années à venir ?
À mon sens, l’intelligence artificielle va jouer un rôle croissant dans la formation. D’ailleurs, ce processus est déjà en cours avec des outils comme ChatGPT ou d’autres. L’une des forces principales de l’IA est sa capacité à automatiser certaines tâches et à améliorer des processus définis. Cependant, travailler avec l’IA nécessite une véritable expertise humaine pour redéfinir les méthodes et les objectifs. Pour tirer le meilleur parti de l’IA, il est important d’avoir une compréhension claire des messages à transmettre et des processus pédagogiques à appliquer.
L’IA ne remplacera pas le modèle pédagogique pensé par des humains pour des humains. En revanche, elle pourra permettre de démocratiser l’accès à la formation en la rendant accessible à des populations qui en étaient jusque-là dépourvues. Par exemple, grâce à l’IA, il est possible de traduire instantanément des contenus dans n’importe quelle langue.
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Pour terminer, aurais-tu un message à adresser à nos lecteurs ?
Pour moi, l’intelligence artificielle dans la formation est bénéfique, car elle nous pousse à repenser nos pratiques et donc à revoir nos modèles pour s’adapter à ce nouvel outil.
Travailler avec l’intelligence artificielle, c’est d’abord une véritable introspection sur ses process. Ce n’est pas la solution à tout et ce ne le sera peut-être jamais. L’IA est un formidable levier, mais il est important de nous questionner sur nos pratiques pour qu’elle soit une véritable alliée dans le monde de la formation.
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