« Le risque 0 n’existe pas. Aucune technologie actuelle ne peut prévenir de façon fiable la présence des requins ou non ». C’est avec ce constat clair et net que Delphine Mallet, fondatrice de la startup Visioon juge l’apport de la technologie dans la prévention du risque requin. Si, pour la troisième année de suite à l’échelle mondiale, les morsures de requins ont diminué en 2020 – 57 morsures vs 64 en 2019 et 66 en 2018 selon l’International Shark Attack File -, la Nouvelle-Calédonie tire, pour sa part, un bilan plus contrasté. 

Il n’est, dans cet article, ni question de politique, ni question d’économie et encore moins de vérité. Le peuple Kanak, comme celui de Polynésie et de bien d’autres territoires ultra-marins à travers le globe, cohabitent avec les requins depuis plusieurs siècles et leur expérience en la matière, qu’elle repose sur des croyances, des pratiques ancestrales ou du simple bon sens, devrait être au cœur des débats locaux sur la question. 

Néanmoins, les faits sont là : les morsures sont de plus en plus nombreuses et les causes de cette sinistre augmentation sont, au mieux, supputées par les scientifiques. Pollution, pêche lagunaire, réchauffement climatique, fortes averses, Niña etc… seraient autant de facteurs aggravants qui renvoient vers un seule et même responsable : l’être humain… et son activité. Dans ce contexte, le premier moyen de mieux prévenir ces morsures parfois mortelles est connu de tous : apprendre à mieux connaître ces animaux tant redoutés depuis « Les dents de la mer » et ce, malgré leur importance capitale dans la préservation de nos écosystèmes biologiques marins

Pourtant, à l’instar des problématiques écologiques globales, il est un autre fait indiscutable : l’Homme et « son gros cerveau » ne reviendront pas en arrière… Cette vision pessimiste est toutefois secondée par un soupçon d’optimisme : la recherche scientifique et l’innovation technologique peuvent permettre de trouver certaines solutions pour faire face à l’urgence. Ainsi, l’article qui va suivre propose de présenter différentes options technologiques, souvent développées par des scientifiques, qui sont actuellement à notre disposition pour mieux prévenir le « risque requin ». Le tout en gardant à l’esprit que tant qu’il y aura des hommes dans l’eau, il y aura, de facto, des « attaques » de requin. 

Les navires chinois font des ravages au large des Galapagos… © IncatrekEcuador.com

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Un sonar à la Réunion 

L’île de la Réunion est bien connue pour ses magnifiques spots de surf et, parallèlement, pour les nombreuses attaques recensées au cours de la dernière décennie. Si les causes de cette augmentation sont diverses et majoritairement humaines, cela a permis au territoire d’Outre-Mer d’expérimenter des dispositifs de prévention. Une expérimentation, menée par l’ex-Centre de Ressources et d’Appui pour la réduction du risque requin (CRA), repose sur un sonar, le SeapiX 3D développé par l’entreprise iXBlue

Ce moyen non-invasif de détection des requins est installé sur un trépied au fond de la mer, à 100 mètres du rivage et permet de détecter la présence de squales jusqu’à 300 mètres. En émettant des ondes acoustiques qui se réfléchissent sur les obstacles rencontrés, il renvoie ensuite une image des objets potentiellement détectés. Une première phase test pilotée par le CRA a été menée en 2018 dans la baie de Saint-Paul sur fond sablonneux et avait permis, entre autres, de repérer un jeune requin-tigre de plus de deux mètres à pas moins de 160 mètres de distance. Un record à cette époque ! 

Cumulé à d’autres outils, le sonar a connu de bons résultats à la Réunion © Zinfo 974

Une seconde phase d’expérimentation a débuté en avril 2019, cette fois en baie de Saint-Leu ; son objectif était d’évaluer le système dans une configuration plus proche de la réalité : eaux peu profondes, zone complexe de récifs coralliens, bathymétrie chaotique avec des obstacles de fond réverbérant et une forte agitation de surface. Si le lancement de cette opération avait été couvert mondialement par les médias, ses résultats sont malheureusement assez peu visibles et les réponses demeurent obscures et incitent à la plus grande prudence… 

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Biomimétisme et magnétisme, la SharkSafe Barrier

Autre expérimentation en place actuellement à la Réunion, il s’agit cette fois d’une technologie appelée SharkSafe Barrier (SSB) qui repose sur deux dispositifs de protection : le biomimétisme et le magnétisme. L’idée centrale de ce dispositif complexe est de fusionner le biomimétisme d’une épaisse forêt de varechs, connue pour être une barrière naturelle à certaines espèces de requins, couplé à de grands aimants permanents supposés submerger les récepteurs électromagnétiques des requins – les « ampoules de Lorenzini » – afin de créer un champ magnétique dissuasif. « Le dispositif mis en place consiste en un enclos fermé de 10 x 10m composé de trois rideaux successifs. La première rangée extérieure de l’enclos est constituée de tubes aimantés et distants de 40 cm entre eux. Les deux autres rangées sont composées de tubes non aimantés espacés de 75 cm avec 75 cm entre chaque rideau. Les tubes sont implantés dans 6 m de profondeur. » peut-on lire sur le site du Centre Sécurité Requin (Ex. CRA).  

Les premiers tests expérimentaux réalisés en Afrique du Sud – requins blancs – et aux Bahamas – Bouledogues – se sont avérés concluants dans 100% des cas et ont fait l’objet de publications scientifiques. « Tous les tests sont réussis. 84 requins blancs et 41 requins bouledogue ont été observés, aucun d’entre eux n’a passé la barrière”, indique le Docteur Sara Andreotti, biologiste marine. En outre, ce système bénéficie de deux avantages : très peu de maintenance après des mois de tests sur les 200 unités de la barrière de la Réunion et le respect de la biodiversité puisque “les autres animaux marins peuvent traverser la barrière. C’est une technologie bien plus respectueuse de l’environnement, qui n’exclut que les squales des zones choisies. Les tuyaux aimantés ne blessent et ne tuent aucun animal”, argumente la chercheuse. Seul ombre au tableau, un coût de déploiement de plusieurs centaines de milliers d’euros en fonction de la largeur des installations.

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L’efficacité des bracelets électroniques 

« Les dissuasifs électroniques sont capables de réduire la probabilité d’une morsure d’environ 60 %, sauvant potentiellement des centaines de vies au cours des 50 prochaines années. ». Ces propos sont ceux de Corey Bradshaw, auteur d’une toute récente étude sur la prévention du risque requin publiée dans la revue « Science ouverte » de la « Royal Society ». Si les objets connectés électro-dissuasifs ne sont pas nouveaux, une technologie portable développée par des chercheurs australiens pourrait sauver des centaines de vies. Le procédé est simple : porter un bracelet qui émet des signaux qui interfèrent avec les capacités des requins à détecter les champs électriques en les empêchant ainsi de cibler les baigneurs équipés. 

Grâce à des modèles statistiques, l’étude a dévoilé qu’environ 60% des attaques de requins enregistrées au cours des 120 dernières années auraient pu être évitées par le port de ces moyens de dissuasion électroniques et qu’ils pourraient sauver la vie de 1062 Australiens au cours des cinquante prochaines années. Seul bémol, l’efficacité des appareils actuellement disponibles sur le marché varie selon les fabricants et « même entre les produits d’un même fabricant ». D’autre part, ces objets ne règleront pas le problème à eux seuls et devraient être adjoints à d’autres approches… 

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Drones : surveiller la surface et intervenir depuis les airs

Un système efficace mais coûteux

Chercheurs australiens toujours, des scientifiques de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud ont travaillé sur un nouveau système technologique de répulsion des requins : une sorte de bouclier autonome anti-requin, le « Autonomus Drone Shark Shield ». Publié lors de la 6ème « International Conference on Control, Automation and Robotics » (ICCAR), ce projet propose d’utiliser des drones volants pour prévenir les attaques de requin grâce à un tube gonflable qui laisse tomber un répulsif dans l’eau lorsqu’un requin est repéré. Pas encore testé dans un environnement naturel, leur efficacité n’est encore prouvée que par simulation informatique

Drone toujours, la société « Little Ripper » a développé une solution, le « Shark Spotter », un drone équipé d’une intelligence artificielle de reconnaissance pour identifier les requins avec une précision de 90% – par rapport à 20% pour l’homme. Volant en escouade, ces robots volants sont en plus équipés d’un radeau gonflable et de balises GPS. L’objectif ? Sortir rapidement les surfeurs de l’eau pour minimiser le risque d’attaque pendant que les balises GPS avertissent et aident les sauveteurs à se rendre rapidement auprès de la personne en détresse. Testé notamment à Port-Macquarie durant les derniers mois, le « Shark Spotter » a lancé l’alarme 14 fois en quatre mois. Aujourd’hui encore très coûteux, ce système technologique permet toutefois de sauver de précieuses vies et pourrait avoir d’autres utilités, notamment dans l’identification, le traçage et le marquage des requins. 

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Les bouées connectés et intelligentes, l’échec

© NSW Government

La « chasse » aux requins grâce à des bouées semble aussi moyenâgeuse que nos fameux “prélèvements” ! C’est pourtant l’une des techniques qui a été utilisée dans de nombreux endroits du monde ; le concept est simple : mettre à l’eau une bouée munie d’une ligne, d’un plomb et d’un hameçon amorcé pour capturer le squale. Le programme « SMART Drumline » – pour « Shark Management Alert in Real Time » – utilise la même approche mais, dans ce dispositif, la bouée contient un émetteur radio qui alerte un bateau à proximité permettant d’attraper, de marquer puis de relâcher le requin. Ce programme testé à Gracetown (Australie) en 2019 a vite montré ses limites puisqu’en deux ans, seulement deux requins blancs ont été capturés parmi les 311 prises

Autre dispositif, la « Clever Buoy » (Bouée intelligente), un projet de recherche autrefois porté par l’opérateur de téléphonie mobile « Optus » en partenariat avec Google et « Shark Mitigation Systems », désormais fabriquée et commercialisée par la société « Smart Marine Systems », utilise quant à elle un sonar pour détecter le mode de nage et la taille des poissons à proximité d’une plage, avant d’envoyer ces informations aux sauveteurs par satellite pour qu’ils puissent confirmer la présence de requins et faire sortir les baigneurs de l’eau. L’échec a apparemment été tel que la société ne mentionne même plus l’usage « prévention requin » sur la présentation de son produit… 

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Combi et accessoires, why not…

Dernier élément répulsif dans la lutte pour la prévention du risque requin, les vêtements et autres accessoires. Déjà, en 2013, la même marque australienne « Shark Mitigation Systems », avait mis au point les premières combinaisons anti-requins au monde grâce à des motifs « scientifiques » qui rendaient les surfeurs globalement invisibles pour les squales qui ont du mal à distinguer les couleurs. Ces combinaisons de plongée « innovantes » se basent sur un principe simple : imiter les couleurs et les marques des espèces toxiques pour les requins. Leur expérimentation sur ces matériels en « cryptique coloré » semble avoir un effet efficace comme le montre ces essais couverts par National Geographic

D’autres combinaison et accessoires « actifs » sont également en phase de tests avec plus ou moins de réussite et sont souvent basés sur les mêmes procédés électromagnétiques que ceux décrits précédemment. Rien de bien nouveau donc… 

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La connaissance scientifique plus efficace que toutes les techs du monde

Certes, il n’existe actuellement aucune technologie fiable à 100% pour faciliter la prévention du risque requin ; la plupart des états confrontés à cette menace sont encore au stade de la recherche et des tests. Ils optent la plupart du temps pour une combinaison d’éléments technologiques, scientifiques et pratiques qui leur permet de réduire le risque sans jamais l’anéantir. 

Il serait présomptueux de penser que cette menace disparaîtra un jour – sauf en cas de disparition des espèces dangereuses de squales ce qui est loin d’être souhaitable ! – mais il le serait tout autant de penser que l’innovation technologique n’arrivera pas à la réduire au minimum. Cependant, quelles que soient les solutions trouvées et/ou envisagées, abattre des requins ne règlera pas le problème puisque le problème est avant tout humain. 

Pour connaître les raisons de ces morsures et attaques diverses, “le premier outil demeure la connaissance“, comme le confirme Julien Chable, co-fondateur de la branche calédonienne de Sea Shepherd et de NCIT. Soutenir la recherche scientifique pour comprendre comment vivent ces espèces et comment fonctionnent précisément, entre autres, leur alimentation demeure actuellement la seule solution viable. Certes, cela prendra du temps mais c’est encore la meilleure solution. Et pour ceux qui ont peur de tremper leur slip de bain, gardez bien à l’esprit deux choses :  vous n’avez qu’1 chance sur 3,7 millions d’être attaqué ! Même les chutes de noix de coco tuent plus chaque année… !  

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