Jeudi 5 décembre 2024, l’Université de la Nouvelle-Calédonie accueillait un événement qui rassemblait Coutumiers, enseignants-chercheurs et représentants des institutions et du monde économique pour la soirée de lancement du programme « DiversitES« . Entre coutume et représentations culturelles, Catherine Ris, la présidente de l’UNC, et Cyril Marchand, le premier vice-président, ont pris la parole pour rappeler les grands enjeux du programme et présenter ses principaux axes stratégiques. Et pour en parler un peu plus, ils se sont confiés à NeoTech… Plongée dans nos « DiversitES« .
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Bonjour Catherine, bonjour Cyril et bienvenus sur NeoTech ; vous représentez tous deux la Présidence de l’Université de la Nouvelle-Calédonie alors, pour commencer, pouvez-vous dresser à nos lecteurs un bref état des lieux des principales actions menées en 2024 ?
Catherine Ris : Bonjour à tous ! En 2024, nous étions dans une phase de renouvellement de notre contrat quinquennal avec l’État ce qui se manifestait par un nouveau projet pour l’établissement, mais aussi par une nouvelle offre de formations qui a été mise en place à la rentrée dernière. Elle a intégré, notamment, la consolidation de nos licences ou encore un diplôme universitaire en « Ethnomédecine » qui vise à former les professionnels du soin à la pratique des médecines traditionnelles.
Nous avons également renforcé nos collaborations à l’international avec la volonté d’augmenter les mobilités étudiantes et celles du personnel de l’Université ; nous souhaitions également développer les collaborations régionales en matière de recherche et, pourquoi pas, un programme de mobilité régionale encore plus ambitieux pour nos étudiants…
Côté infrastructures, nous allons finaliser la construction du « Vectopôle », un bâtiment qui sera ouvert en fin d’année 2025 ; ce lieu est construit en partenariat avec l’Institut Pasteur et aura pour vocation d’accueillir des projets à portée régionale sur tout ce qui concerne les maladies vectorielles : transmission par le moustique et par le rat.
Cyril Marchand : 2024, c’est également le lancement du programme « DiversitES », un projet qui se veut intégrateur, avec une volonté de rapprocher toutes les composantes de la société calédonienne : le monde socio-économique, les collectivités et les coutumiers. Pour ce faire, nous prévoyons différentes actions parmi lesquelles la création d’un conseil de l’orientation et le développement de nouvelles formations, notamment le « DU Ethnomédecine » qui est co-financé par le projet « DiversitES ».
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Le projet « DiversitES » est actuellement au cœur de la transformation de l’Université. Pouvez-vous nous présenter l’historique du programme « DiversitES » ?
C.R : Ce projet est issu d’un appel à projet national, « ExcellencES », lancé par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Il visait à identifier la signature d’un « site » ; d’un « site géographique », bien sûr, mais également d’un « site académique » en matière d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation. Le site calédonien est porté par l’Université et le CRESICA.
L’idée était de mettre en avant ce qui est spécifique à notre territoire, qu’on ne retrouve pas ailleurs et qui en fait un site remarquable sur lequel nous pouvons développer une expertise. L’objectif était de valoriser notre formation, notre recherche et surtout, de participer à la « diplomatie scientifique », c’est-à-dire à la place de l’enseignement supérieur français et européen dans la région Pacifique.
C.M : Cet AAP dédiée aux universités était doté d’une enveloppe et il s’est déroulé sur plusieurs vagues. Nous avons pris le temps de construire notre projet et n’avons candidaté que sur la troisième vague de l’AAP, ce qui ne nous laissait qu’une chance d’être lauréat. Nous avons mis près d’un an pour monter ce projet car il a d’abord fallu se concerter avec toutes les composantes de l’Université en interne mais également s’assurer du soutien des collectivités, du monde socio-économique et du monde coutumier en étudiant en profondeur leurs attentes.
Nous avons soumis notre réponse à Noël 2022, puis notre projet a fait l’objet d’une phase de sélection par un jury international composé de 25 scientifiques ; gage de qualité, nous avons été sélectionnés « sur dossier », sans avoir besoin d’être d’auditionnés. Nous avons ainsi obtenu un financement d’1,8 milliards CFP, soit environ 15 millions d’euros : c’est le plus gros budget par étudiant de toutes les universités lauréates ! Pour nous, c’est une belle satisfaction car nous allons pouvoir décliner toutes les actions que nous avions proposées, qu’elles soient locales ou régionales.
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Ce projet d’ampleur va apporter son lot de changement pour l’UNC… Quelles sont les ambitions qui y sont associées et les parties prenantes qu’il embarque en son sein ?
C. R : Ce projet comporte 3 principaux axes et un axe transverse.
Le premier axe est en lien avec les partenariats et la place de l’Université sur le territoire, au sein de son écosystème et des parties prenantes qui le constituent. On dit souvent que l’UNC est une petite partie de la vie d’un individu – étudiant, startuper, chercheur… – mais elle est également le fruit d’un travail avec l’ensemble de la communauté de la recherche, de la société civile, des collectivités et du secteur privé. Nous rencontrons quelques difficultés à faire comprendre aux collectivités ce que nous faisons au niveau de la recherche, notamment fondamentale, qui est basée sur un temps long et non sur celui d’un mandat politique. Ce projet va donc nous permettre de structurer davantage les partenariats avec ces différentes sphères pour pouvoir répondre le mieux possible aux besoins identifiés.
Le deuxième axe concerne la formation avec une transformation de nos formations pour mettre en valeur les diversités et richesses de la Nouvelle-Calédonie. Nous souhaitons renforcer nos actions sur le terrain en analysant ce qui se passe dans la nature, dans les communautés pour pouvoir connaître, valoriser et préserver ces richesses.
Le troisième axe concerne la recherche et intègre les mêmes objectifs que ceux mentionnés pour la formation : développer des projets de recherche qui valorisent les diversités calédoniennes.
L’axe transversal concerne plus spécifiquement le rayonnement régional.
C.M : C’est tout à fait cela ! À travers le projet « DiversitES », l’objectif est de rapprocher les différents mondes calédoniens et de répondre aux besoins des collectivités et du monde socio-économique, tant en matière de formations, que de recherche. Nous souhaitons que les Calédoniens s’approprient l’Université et qu’ils prennent le réflexe de faire appel à l’UNC.
Nous irons donc dans les différents écosystèmes calédoniens avec cette projection « terrain » mais nous les inviterons également à venir à l’Université. On considère que nous sommes dans un pays en construction et que nous devons tous avancer en travaillant main dans la main et certainement pas en compétition ! Pour obtenir ces réussites et avancer, nous devons échanger, nous parler, nous écouter et nous respecter :
« L’UNC doit être ce lieu qui construit l’avenir du pays. »
Cyril Marchand, au coeur de nos diversités
Certes, nous devons former mais nous avons aussi le devoir d’ouvrir les esprits aux questions de notre temps et de ne pas former les jeunes uniquement sur la discipline qu’ils étudient mais également qu’ils puissent faire les bons choix, en toute connaissance de cause, lorsqu’ils sortiront de l’Université.
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En quoi ce projet est-il étroitement lié à l’innovation ?
C. R : Je crois que la valorisation des richesses et des spécificités calédoniennes nous ouvre des potentialités de transferts et d’impact qui peuvent amener à des diversifications, notamment économiques. Ça passe par l’innovation et le transfert des résultats de la recherche en matière de création de valeur économique, mais ça passe aussi par l’adossement de l’innovation à la recherche ; quelqu’un qui a un projet innovant et qui veut lever des verrous scientifiques peut s’adresser à l’UNC et aux organismes de recherche du CRESICA pour optimiser sa technologie et développer son innovation. L’innovation numérique n’est pas toujours en lien avec un territoire mais peut parfois l’être ; quand on a des méthodes d’identification des espèces présentes dans les milieux marins, c’est tout de même assez spécifique à notre environnement…
C.M : On va développer de plus en plus de projets de recherche en partenariat avec des entreprises ; notre objectif, c’est d’avoir un continuum « recherche fondamentale, recherche appliquée et développement économique ».
Pour ce faire, nous allons accueillir des entreprises et créer des projets en partenariat avec elles car l’objectif de « DiversitES » est bien de valoriser toutes les diversités, y compris les diversités biologiques. Nous avons un panel d’écosystèmes naturels qui peuvent rejoindre des intérêts économiques : la fixation du CO2, la filtration des eaux usées par certaines plantes, le mimétisme environnemental etc… Nous avons donc des collègues qui travaillent sur des thèmes de recherche qui peuvent avoir des répercussions sur notre développement économique.
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Quel regard portez-vous sur les liens étroits entre « recherche scientifique » et « économie et innovation en Nouvelle-Calédonie » ?
C. R : Pour l’instant, ce « transfert » n’est pas optimal ; d’un côté, on a les chercheurs qui cherchent, qui trouvent et qui ont souvent pour objectif de publier dans des revues spécialisées car c’est ce qui valorise le mieux notre travail, notre carrière et qui apporte de la connaissance au monde académique ; actuellement, nous n’avons pas cette mission de « détection » par une organisation dédiée qui identifierait les résultats des recherches qui pourraient être transformés en levier économique. Il manque encore cette partie : la détection du potentiel économique une fois que le chercheur a terminé son travail.
C.M : Sur le contrat de développement, on va pouvoir avoir une nouvelle infrastructure, un bâtiment « BlueTech / GreenTech » qui permettra d’accueillir les entreprises. C’est parce que nous avions le contenu de « DiversitÉS » que nous avons demandé à bénéficier de cette nouvelle infrastructure. Nous allons ainsi accroître nos projets de recherche sur les diversités biologiques et il nous paraissait indispensable de le faire en partenariat avec des entreprises.
Sur un autre projet, « TRIAD », qui concerne les systèmes alimentaires durables financé par le Plan d’Innovation Outre-mer, nous avons recruté, en co-financement avec la province Sud, une chargée de mission « adossement à la recherche et transfert ». Son rôle est de faire de la détection dans les laboratoires, tout d’abord sur les systèmes alimentaires mais, si ça fonctionne, nous travaillerons sur d’autres problématiques.
Dans le cadre du projet « DiversitES », nous avons également recruté un chargé de mission qui travaille sur le transfert des résultats de la recherche vers les collectivités ; le but n’est donc pas le développement économique mais l’appropriation des résultats de la recherche par les collectivités ce qui pourrait servir à optimiser leurs politiques publiques : gestion de l’environnement, des aménagements urbains etc…
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Un dernier mot pour nos lecteurs ?
C.M : Une précision ! Sur l’axe « transverse », le quatrième du projet « DiversitES », qui concerne le rayonnement international, il ne s’agit pas que de stratégie Indopacifique française mais également de notre volonté d’être attractifs ; nous sommes en sous-effectif et nous souhaitons que des enseignants-chercheurs australiens, néo-zélandais etc. viennent chez nous.
Nous voulons également faire vivre le PIURN, le réseau des universités du Pacifique insulaire et nous avons aussi un budget pour faire venir des chercheurs. L’idée, c’est que nous fassions du « capacity building », c’est-à-dire que les plus jeunes viennent faire leur doctorat à l’UNC, avant de retourner dans les états insulaires du Pacifique.
Cela nous permettra de développer des partenariats sur le long terme. On s’appuie donc sur les grands frères australiens et néo-zélandais et on partage ensuite avec les états insulaires. Ce n’est donc pas que pour le rayonnement de la France sur l’axe Indopacifique :
« Nous voulons faire vivre l’UNC et la Nouvelle-Calédonie dans leur environnement régional ! »
Catherine Ris, la coopération régionale au coeur des ambitions
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