On décode la tech’ – épisode #4

« Blockchain », « IA », « deep learning », « ransomware »… Le monde de la tech a son propre jargon et ses concepts qui, soyons honnêtes, laissent parfois un peu perplexe. Même si ces technologies font désormais partie de notre quotidien, leur fonctionnement reste souvent un mystère pour beaucoup (y compris vous, ne mentez pas). Dans cette série, nous retroussons nos manches en vulgarisant certaines de ces notions pour en comprendre l’essentiel. Alors, que vous soyez un geek en devenir ou un néophyte un peu perdu, embarquez avec nous dans les fascinants méandres de la tech’ !

Identique, semblable, pareil… autant de mots qui évoquent aussitôt le terme « jumeau ». On connaît tous quelqu’un (ou quelqu’un qui connaît quelqu’un) qui a un jumeau ou une jumelle. Mais saviez-vous qu’il est possible d’avoir un jumeau numérique ? Oui, un double digital, bien réel (enfin, façon de parler). Grâce à des capteurs, des flux de données en temps réel et des modèles virtuels, ces copies reproduisent fidèlement le comportement de leur original. Derrière ce concept un brin futuriste se cache pourtant une technologie, déjà utilisée dans des domaines aussi variés que l’industrie, la santé, ou même l’environnement. Alors, enfilez vos lunettes VR, on plonge dans cette réalité parallèle pas si virtuelle que ça.

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« Nous sommes des sœurs jumelles… » 

Derrière ce terme de jumeau numérique, se cache une réplique virtuelle et dynamique d’un objet, d’un système ou d’un environnement bien réel. Contrairement à une simple simulation ou à une maquette figée, ce double évolue en temps réel, grâce à un flux continu de données captées qui peuvent permettre d’anticiper un phénomène avant qu’il ne survienne ou de simuler un comportement, le tout sans impact dans le monde réel. Pratique, non ?

Mais ne vous y trompez pas, le jumeau numérique ne fonctionne pas tout seul. Il fait appel à différentes technologies telles que des capteurs de données, l‘IoT ou encore intelligence artificielle ET une expertise humaine qui vient enrichir et orienter le système… C’est cette synergie qui donne naissance à un outil capable de modéliser, simuler, apprendre, prédire et agir, en miroir du monde physique.

Il existe d’ailleurs toute une palette de modèles de jumeaux numériques, chacun pensé pour un niveau d’observation spécifique. Il y a le jumeau de composant qui permet de reproduire un élément isolé. Vient ensuite le jumeau d’actif capable d’analyser les interactions entre différents composants, comme l’interdépendance entre la température, l’humidité et la qualité de l’air. En combinant ces actifs, on obtient un jumeau de système, qui modélise l’ensemble des rouages à l’échelle d’un territoire, d’un réseau ou d’un écosystème. Enfin, le jumeau de processus permet de suivre le cycle de vie complet d’un environnement, en connectant l’ensemble de ses composantes et de leurs dynamiques. Quel que soit le type de jumeau, cette capacité à observer le réel dans sa complexité, à relier les données entre elles et à anticiper les évolutions, devient un allié précieux et un levier de décision dans bien des domaines.

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Un jumeau qui vous veut du bien

Avant d’être une technologie opérationnelle, le jumeau numérique a d’abord été une idée évoquée par David Gelernter dans son ouvrage « Mirror Worlds ». Mais c’est en 2002 que l’idée prend corps avec Michael Grieves qui l’introduit dans le secteur industriel. En 2010, John Vickers de la NASA officialise le terme « digital twin ». Une technologie qui, depuis ces dernières années, a vu son utilisation s’étendre à bien des secteurs d’activité.

Les jumeaux numériques sont aujourd’hui utilisés comme bacs à sable virtuels, permettant de tester, prévoir, diagnostiquer ou optimiser sans toucher au réel. Ils sont capables de simuler le fonctionnement d’un système allant d’un moteur d’avion à une ville entière pour en prévoir les défaillances, ajuster les performances ou tester des scénarios alternatifs. Et leurs usages sont multiples. Dans l’industrie, ils permettent d’optimiser la chaîne de production et rendent la maintenance prédictive. Dans la santé, des projets comme Meditwin qui visent à modéliser numériquement des organes ou des corps pour simuler des traitements, anticiper des maladies ou personnaliser les soins.

Et figurez-vous que côté environnement aussi ils ont un intérêt ! Face à la montée des eaux, aux incendies ou à l’appauvrissement des ressources naturelles, ces répliques virtuelles deviennent des outils d’aide à la décision. En modélisant l’impact du climat futur sur un littoral ou une forêt, les jumeaux numériques permettent d’évaluer, de comparer et de choisir les meilleures stratégies d’adaptation. Comme le soulignent Raquel Rodriguez Suquet et Vincent Lonjou (CNES), leur force réside dans la combinaison de modélisation avancée et de données terrain. Demain, ces outils pourraient bien devenir incontournables pour aménager nos territoires, gérer les risques, ou accompagner la transition écologique. En Nouvelle-Calédonie, ils s’appuient sur les données satellites pour concevoir un jumeau numérique dédié à la modélisation des submersions marines. Le BRGM a d’ailleurs mis au point une première version de cet outil, capable de simuler des scénarios d’inondation en estimant, par exemple, la hauteur de l’eau atteinte ou la vitesse des courants dans les zones impactées.

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Trop beau pour être vrai ?

Vous l’aurez compris, les jumeaux numériques ouvrent de sacrées perspectives. Dans la R&D, ils permettent de simuler un produit ou un processus bien avant sa fabrication, réduisant ainsi les erreurs, optimisant les performances et abaissant les coûts. Ils sont également de précieuses sentinelles, capables de surveiller en temps réel, de simuler des scénarios ou d’ajuster les paramètres. Mais ces répliques ne sont pas exemptes de limites.

Le rapport de 2023 de Smart city institute souligne notamment la complexité technique à modéliser fidèlement un territoire. Car oui, ces jumeaux se d’une avalanche de données qui doivent être fiables, accessibles, interopérables et continuellement mises à jour. En parallèle nous pouvons aussi nous questionner sur la consommation énergétique et le coût de développement et de maintenance de ces doubles digitaux. 

À ces défis techniques s’ajoute une couche éthique, celle de la gouvernance des données. À qui appartiennent-elles ? Qui les maîtrise ? Et selon quelles règles peuvent-elles être exploitées sans compromettre les libertés individuelles ? Autant de questions à ne pas prendre à la légère à l’heure où la frontière entre réel et virtuel s’estompe…

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Numérique quand tu nous tiens…

En bref, le jumeau numérique, encore discret aux yeux du grand public, s’impose pourtant comme un outil stratégique dans un monde où le réel et le virtuel s’entrelacent de plus en plus. Ses usages sont nombreux et ouvrent des perspectives intéressantes dans de nombreux domaines mais ne sont pas sans contrepartie. Gouvernance, éthique, transparence… Autant de sujets à ne pas perdre de vue. Car oui si l’on veut que ces doubles restent nos alliés et non nos miroirs déformants, mieux vaut garder un œil sur la machine… et l’autre sur le monde réel.

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