Il suffit de se rendre à quelques encablures du 4ème kilomètre pour tomber sur une drôle de machine : un électrolyse posé sur un parking… Pas n’importe quel parking bien sûr, puisqu’il s’agit de celui du siège flambant neuf d’EEC – Engie où NeoTech est allé à la rencontre de Philippe Mehrenberger, Directeur Général Déléguée de l’un des deux fournisseurs d’énergie calédoniens. L’occasion de faire le point sur la transition énergétique du Caillou et de parler d’énergie verte.
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Bonjour M. Mehrenberger, vous le Directeur Général Délégué d’EEC – Engie ; quelles sont vos principales missions et celles de votre organisation ?
Bonjour NeoTech et bienvenus dans nos locaux ! « EEC » est une société spécialisée dans la distribution d’électricité : c’est notre cœur de métier depuis 1929. Cette énergie est distribuée dans des concessions de 15 à 20 ans attribuées par les communes.
Nous sommes ainsi les concessionnaires des réseaux de distribution de Nouméa, du Mont-Dore, d’une partie de Dumbéa, de Bourail, de Kaala Gomen, de Koumac, de Lifou et, plus récemment de Canala et Thio. Notre activité consiste à amener l’énergie des points de livraison ou des points de production jusqu’au compteur du client. Globalement, nous alimentons 65% des clients du territoire.
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L’une de vos missions consiste à favoriser la transition énergétique de la Nouvelle-Calédonie. Quelle est la situation actuelle de cette transition énergétique sur le territoire ?
Depuis 2016, le Gouvernement a mis en place un Schéma de Transition Énergétique (STENC) qui repose sur trois objectifs majeurs dont deux concernent principalement l’énergie : la production d’énergies renouvelables et la maîtrise de la consommation énergétique.
Sur l’aspect de la production d’énergies renouvelables, les choses ont été très vite ! 300 megawatts d’installation solaires ont été validées par le Gouvernement depuis la mise en place du STENC, soit plus du double de la pointe de la distribution publique ! En plus, les prix deviennent très compétitifs : lors de ses derniers appels à projet lancés, le Gouvernement a sélectionné des prestataires à moins de 4 CFP par kilowatt heure, bien en-dessous des coûts de production thermique et charbon. Sur ce volet les objectifs sont largement atteints.
Côté consommateur, les clients ont aujourd’hui la possibilité de s’équiper de panneaux solaires et de s’autoalimenter en énergie : plus de 5500 clients ont fait ce choix qui représente une puissance d’environ 60 megawatts, soit l’équivalent des quatre plus grosses fermes solaires déjà installée en Calédonie. On constate un véritable engouement sur ce volet.
L’objectif global était que 100% de la distribution publique soit fournie par de l’énergie verte en 2030 : cet objectif devrait être atteint vers 2024 grâce au solaire (env. 25% sur le 1er trimestre 2021 selon la DIMENC), mais aussi à l’éolien (env. 5%) et à l’hydraulique (env. 70%).
Le deuxième objectif était de diminuer de 25% la consommation d’énergie des ménages ; à ce sujet, nous avons fait énormément de sensibilisation auprès du public : elle porte ses fruits puisque depuis 2016, la consommation énergétique par foyer a chuté de 10%. Les Calédoniens se sont équipés en « leds », investissent dans des appareils éco-performants « A3+ » grâce, entre autres, à des incitations fiscales et à l’interdiction de l’importation des lampes halogènes par exemple. Il y a encore du travail mais on s’approche de l’objectif !
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La dématérialisation est un enjeu de taille pour les structures qui ont un contact direct avec les usagers. Où en est la dématérialisation des services chez EEC ?
Le digital est un véritable outil de transformation de notre relation client. Désormais, 70% de nos clients ont un smartphone ou un accès à internet ce qui change fondamentalement les usages. Depuis huit ans, nous avons une agence en ligne qui permet aux clients d’interagir avec nous, de payer leurs factures, d’accéder en temps réel à leur consommation énergétique, de souscrire à un abonnement en ligne…
Depuis deux ans, nous avons également développé une application mobile « EEC Smart » qui permet de retrouver toutes ces fonctionnalités, mais aussi d’informer nos clients sur les coupures programmées et non-programmées par alertes / notifications.
Nous avons également mis en place plus d’une quinzaine de bornes « physiques » de paiement qui permettent de payer en liquide ou par carte bleue les factures d’électricité ou d’eau. Les deux tiers de nos clients ont recours à ce service : cela leur évite, entre autres, de faire la queue.
Dernier point, nos clients reçoivent des factures électroniques accompagnées d’un baromètre qui les situent en termes de consommation par rapport à d’autres usagers au profil similaire.
Autre aspect de la digitalisation : la possibilité pour nos clients moyenne tension de mieux maîtriser leur consommation grâce à des compteurs communicants connectés qui calculent le niveau de consommation en temps réel et envoient des alertes lorsqu’ils sont proches de la puissance souscrite. C’est un service qui a été mis en place l’année dernière.
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En quoi le modèle énergétique calédonien diffère-t-il de celui de la métropole ?
Les principales différences, c’est que notre kilowatt heure est carboné et thermique avec les centrales de production au charbon, alors qu’en métropole il est plutôt décarbonné et nucléaire.
Autre grosse différence : notre insularité. On ne peut pas compter sur l’extérieur, nous devons tout produire sur place.
Dernier point : les trois-quarts de notre consommation concernent les usines de métallurgie. Cela fait beaucoup de différences entre nos deux modèles !
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Quelle part de l’électricité fournie aux usagers provient de sources vertes ?
Aujourd’hui, on doit être à 65 % d’énergie verte pour la distribution publique ; si on ramène ça à l’ensemble des besoins énergétiques de la Calédonie, ça représente 30%. La prochaine étape, c’est de faire en sorte que les métallurgistes consomment également cette énergie verte pour produire un « nickel vert ».
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Quelles sont les technologies « green » que vous utilisez actuellement et quelles sont celles que vous comptez intégrer à terme ?
La production d’hydrogène vert par électrolyse n’est pas encore mature mais en bonne voie de développement. L’hydrogène est un gaz que l’on sait stocker et transporter. Dans ce mode de stockage, il serait utilisable jusqu’à quelques mois après sa production.
Il faut également promouvoir la possibilité d’utiliser des réseaux de froid : stocker du froid dans la journée avec des énergies renouvelables pour le réutiliser et le distribuer sur un réseau froid. Ça fonctionne bien sur des zones très denses mais on pourrait également l’utiliser dans d’autres zones géographiques.
Autre exemple, nous avons pour ambition de faire de Lifou le premier territoire 100% alimenté par de l’énergie verte et ce, dès 2022. On doit être capable de stocker l’énergie des éoliennes et des installations solaires : l’idée c’est aussi d’utiliser de l’huile végétale usagée, récoltée auprès des restaurateurs, sur le grand Nouméa puis de la brûler dans les moteurs de Lifou. « L’assiette verte », un beau projet écoresponsable d’économie circulaire !
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Est-il concevable (et recommandable) de créer un modèle écologiquement vertueux pour fournir l’énergie indispensable au fonctionnement de l’industrie du nickel ? Si oui, quel serait-il ?
C’est un enjeu de taille : il va falloir faire en sorte que les mines soient vertueuses et qu’elles puissent utiliser progressivement une plus grande masse d’énergies vertes. Ça passe évidemment par de gros investissements dans le stockage.
Lors d’une récente conférence, des voix se sont élevées pour proposer une alternative à la centrale C qui doit être rénovée pour les besoins de la SLN : à partie d’énormes fermes solaires et de systèmes de stockage conséquents, on pourrait fournir les 100% d’énergies vertes dont a besoin la SLN.
C’est un pari ambitieux qui me paraît encore prématuré et qui passera sûrement par une étape « gaz » avec des unités de stockage plus petites qui permettent une meilleure modularité. De plus, les moteurs gaz peuvent « accepter » jusqu’à 40% d’hydrogène ce qui permettrait de faciliter la transition énergétique.
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Depuis 2015, les Calédoniens peuvent eux-mêmes produire et revendre leurs surplus d’électricité. Avez-vous des statistiques concrètes à nous donner sur cette production « artisanale » et comment fonctionne l’ensemble de cette démarche côté usagers ?
Aujourd’hui, 5500 installations « individuelles » sont capables de produire et stocker de l’énergie dans la journée pour la consommer le soir ou dans la nuit. Le coût des panneaux solaires a diminué de 30 à 40% ! Progressivement, ces technologies sont accessibles au plus grand nombre…
Jusqu’à récemment, lorsqu’un usager renvoyait de l’électricité produite chez lui sur le réseau, les distributeurs le rémunéraient à 21 CPF. Ce tarif vient de passer à 15 CPF. En Australie, lorsqu’on revend de l’électricité au réseau par exemple, on ne touche plus rien ! Ainsi, le stockage individuel est un nouvel objectif à atteindre, tout comme l’utilisation plus régulière des véhicules électriques rechargés au travail pendant la journée et dont les batteries peuvent ensuite servir à alimenter la maison lorsqu’elles sont branchées au carport.
On a également mis en œuvre la possibilité d’installer du solaire pour des logements collectifs, comme ceux de la SECAL par exemple. On pose des panneaux solaires sur les toits des immeubles et, grâce à un système de compteurs intelligents et de répartition échelonnée des consommations, on est capable de fournir une part d’électricité verte aux ménages les plus modestes. Ce système est actuellement financé par les promoteurs mais est en passe d’être développé à plus grande échelle.
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Quels conseils ou « écogestes » donneriez-vous aux Calédoniens pour réduire leur facture et l’impact de leur consommation sur l’environnement ?
Il faut partir de gestes simples : éteindre les lumières, les multiprises, s’équiper avec des lampes basse consommation mais aussi de frigo et climatiseurs éco-performants, installer des chauffe-eaux solaires et des panneaux solaires pour les plus motivés ! C’est un beau défi que les Calédoniens sont en passe de relever !
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