Une fois n’est pas coutume, nous avons reçu notre entrepreneur du jour dans nos locaux. Bien installés dans une des salles climatisées du business center OoTECH, nous rencontrons Erwan Kerbrat, qui a bien voulu délaissé ses lignes de code pour répondre à nos questions. Ce jeune entrepreneur calédonien a soif d’entreprendre et il compte bien arriver à ses fins avec le développement de deux applications innovantes : Ceres et Néo.

De retour en Nouvelle-Calédonie depuis quelques mois pour se consacrer entièrement à ses projets, il revient sur son parcours et ses ambitions. Fier de faire partie de l’écosystème tech du Caillou, il n’hésite pas à passer des messages à tous les jeunes qui voudraient entreprendre. Si l’expérience n’est pas transmissible, elle est largement inspirante concernant Erwan et son parcours.

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Salut Erwan, bienvenu sur NeoTech ! Pour commencer, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Salut NeoTech, et merci de m’accueillir. Je suis Erwan Kerbrat, Calédonien de naissance et ingénieur de formation. Mes domaines sont les mathématiques, l’informatique, la data science et l’enseignement. J’ai commencé à enseigner pendant mes études d’ingénieur les matières que j’avais choisi en « majeur », à savoir les mathématiques et l’informatique. La data science étant la combinaison des deux autres disciplines, il était logique que je m’y intéresse. Tous ces domaines m’ont permis d’acquérir les compétences nécessaires pour commencer à développer des applications par mes propres moyens. Et la data science m’a donné la possibilité d’inclure de l’intelligence artificielle dans mes projets.

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Peux-tu nous résumer ton parcours en quelques dates clés ?

Je suis né en Nouvelle-Calédonie, j’y ai suivi mon cursus scolaire jusqu’à la fin de ma prépa’, au lycée Jules Garnier, à Nouméa. Je suis ensuite parti intégrer une école d’ingénieur à Paris. En parallèle de mes études, je donnais des cours particuliers de mathématiques et c’est cette activité qui m’a amené à créer une application pour aider les élèves dans leurs apprentissages mais aussi les professeurs.

L’application a d’ailleurs été le sujet de mon projet de fin d’étude. Pendant un semestre, l’école nous pousse à réaliser un stage ou un projet : le mien était tout trouvé et ces semaines m’ont permis de m’y consacrer pleinement. Pour cela, pas besoin d’être à Paris ! Je suis donc rentré quelques mois sur le territoire pour développer ce projet.

Au moment d’obtenir mon diplôme, il a fallu faire un choix vis-à-vis du futur de cette application : m’y consacrer pleinement en allant chercher des subventions ou le continuer en parallèle d’un autre travail. Comme il faut bien payer son loyer, j’ai choisi de poser une candidature spontanée dans une entreprise de formation aux métiers qui touchent à la data science : Datascientest. Située à la Défense, c’est une entreprise qui a connu une hyper-croissance et j’ai y été recruté très rapidement. Je n’avais pas encore passé mes partiels de fin d’étude que j’étais déjà développeur chez eux ! J’ai ainsi pu voir les pratiques qu’ils avaient mis en place pour connaître cette croissance et m’en inspirer largement. Le cadre était très stimulant puisque j’étais entouré de « pointures » de l’univers du développement. Travailler avec eux m’a permis d’en apprendre beaucoup sur la partie opérationnelle, data, développement et de comprendre que c’était une filière porteuse sur le marché du travail.

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Développeur dans une entreprise inspirante : voilà les clés pour une expérience formatrice © DataScientest

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On nous souffle à l’oreillette que tu es une « pépite » issue du programme éponyme : peux-tu nous conter cette histoire ?

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Pôle Pépite © UNC

Dans le cadre du projet de fin d’étude, l’école d’ingénieur nous demandait de pouvoir témoigner de la crédibilité du projet. Il ne s’agissait pas simplement de développer un projet en « off » mais bien de démontrer qu’il tenait la route. Je me suis donc inscrit au pôle « Pépite NC » de l’Université de la Nouvelle-Calédonie. Ce pôle étudiant a pour mission d’accompagner l’étudiant-entrepreneur dans sa création d’entreprise.

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Les « pépites » en pleine séance de coaching à la Station N © NeoTech

De prime abord, je suis plutôt de nature méfiante envers ce type de programme mais j’ai été totalement séduit par cet accompagnement ! Il a été très instructif. Il m’a permis de me créer un réseau professionnel et de rencontrer des intervenants de mon domaine. J’en suis sorti avec un projet plus construit et forcément, plus crédible aux yeux de tous.

Mon conseil si vous êtes dans la même situation que moi ? N’hésitez pas à rejoindre ce programme. Même si vous avez un projet un peu vague, cette formation est vraiment porteuse d’opportunités. Il suffit de se renseigner et d’aller taper aux portes. Le bureau de Noami Daculsi, la responsable du pôle Pépite, est au-dessus de la bibliothèque universitaire et elle pourra vous informer et vous accompagner. C’est gratuit, alors lancez-vous !

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Il y a quelques temps, on avait parlé de toi au sujet d’une application autour de l’enseignement des mathématiques : peux-tu nous parler de ce projet et nous dire où tu en es aujourd’hui ?

Cette application est celle que j’ai développé lors de mon dernier semestre d’étude : Néo. J’ai eu l’idée lorsque j’enseignais les mathématiques. Je me suis vite rendu compte qu’il y avait des difficultés pour beaucoup d’adolescents à comprendre cette discipline. Je voulais les aider en me mettant à leur place, en comprenant la manière dont ils réfléchissaient, ce qui était bloquant pour eux. Les freins identifiés, j’ai adapté mes cours, notamment en fonction de leur projet et de leurs facilités : vont-ils arrêter les mathématiques à la fin de la Seconde, veulent-ils aller en Prépa, passer un concours pour entrer dans une grande école post-bac… ? Tant de questions qu’il faut se poser pour leur donner toutes les armes nécessaires. Au-delà de cette vision long terme, je voulais aussi « prioriser » les savoir-faire à transmettre en fonction des facilités qu’ils présentaient.

J’ai donc passé beaucoup de mon temps avec eux, à analyser leur profil et leurs difficultés afin de mieux structurer mes séances. Il fallait leur transmettre les bons savoir-faire, au bon moment et sans les traumatiser des mathématiques. Sacré défi ! L’ambition de Néo se trouve dans cet accompagnement : autonomiser et automatiser le processus d’apprentissage en fonction d’un profil.

J’essaie aussi de développer Néo comme un outil pour les professeurs. Il ne faut pas oublier que ce n’est pas évident de gérer des classes d’élèves aux niveaux hétérogènes. Chacun arrive avec des lacunes ou au contraire, une forte appétence pour la discipline, ce qui ne facilitent pas un cours collectif. Les professeurs doivent souvent revenir sur des notions déjà traitées, doivent faire face aux redondances dans les programmes ou aux vitesses d’apprentissage des élèves. Néo est là pour aider les professeurs à construire leur séance de cours en fonction des profils des élèves.

Niveau avancement du projet, il y a mes objectifs… et là où j’en suis réellement ! Comme j’ai fait le choix de travailler directement après mes études, je continue de développer sur mon temps libre. Mais c’est compliqué de s’en dégager… Je n’ai pas encore trouvé de financement mais je suis convaincu que c’est une solution qui fonctionne et qui a de l’avenir. Avant de m’y consacrer pleinement, je travaille sur le codage d’une autre application afin de me donner plus de visibilité.

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Parlons un peu d’intelligence artificielle : comment définirais-tu ce terme ? Des exemples de cas d’usage en Calédonie ?

C’est un sujet très vaste ! Il y a plusieurs disciplines qui se cachent derrière ce mot. L’idée générale est d’entraîner des modèles et de les utiliser pour identifier des groupes dans une population donnée ou prévoir la valeur de quelque chose en fonction de son historique. Dit plus simplement, on utilise des données pour affiner un comportement.

À mon sens, tous les domaines peuvent être sujet à l’introduction de l’iA. Selon la situation, on test d’abord un algorithme puis on regarde s’il fonctionne. Si c’est le cas, parfait ; sinon, on corrige le comportement. A force, l’algorithme va créer des réflexes de résolution d’un problème lorsqu’il en reconnait un. Il va apprendre de ces situations et s’enrichir de l’expérience des « loupés ». En Nouvelle-Calédonie il y en a déjà des cas d’usage mais je ne suis pas le mieux placé pour tous les citer.

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© Ceres

Tu mènes aujourd’hui un nouveau projet digital, le « projet Ceres » : c’est quoi cette histoire au juste ?

Ceres est une application pour les restaurateurs. Je la considère comme plutôt complète puisqu’elle est « 9 en 1 » : trois applications pour les clients, deux pour les serveurs, deux pour les cuisiniers, une pour les producteurs et une dernière pour les gérants. Le tout réuni sur une même interface.

Prenons le point de vue d’un consommateur final : il va au restaurant, il scanne un QRcode sur la table pour accéder au menu (c’est déjà une première utilisation). De cette interface, il va pouvoir aussi commander son repas et le payer (deuxième utilisation). Enfin, l’application va tenter d’améliorer son expérience client vis-à-vis du restaurant en lui proposant d’accéder à des fiches détaillées des produits consommés. Du côté des autres parties prenantes, c’est un peu la même chose… Mais je ne vous en dis pas plus, vous aurez l’occasion – je l’espère – de tester l’application à partir de janvier ou février 2023.

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Quelles sont les technologies sur lesquelles tu t’appuies dans le cadre de ce projet ?

Pour moi, plusieurs choses quand on parle de technologies. D’abord, je pense au différents « langages de programmation« . J’utilise Python, React, SQL, Figma, Docker, Bootstap, Javascript, Linux et tant d’autres…

En termes d’iA, c’est un peu plus technique mais cette technologie me permet de travailler sur 3 sujets pour mon projet Ceres. Le premier est de pouvoir prédire la population d’un restaurant avant un service. Sans entrer dans mes secrets de fabrication, j’utilise l’iA pour aider les restaurateurs à savoir s’il va y avoir 2 clients, 10 clients ou salle comble ! Cela va leur permettre, par exemple, d’adapter leurs stocks ou la présence de personnel. Le deuxième sujet est l’identification des profils des clients en analysant les comptes des restaurants. Cela leur permettrait d’identifier des régimes alimentaires particuliers et donc leur segmentation clientèle. Le dernier sujet concerne l’identification des stocks dans une conception de limitation du gaspillage alimentaire. Avoir le stock approprié, au bon moment et pour la clientèle visée !

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Le dessous des cartes… C’est ici que tout se joue ! © Erwan Kerbrat

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En tant qu’entrepreneur calédonien, quelle est ta vision de l’écosystème et quels conseils donnerais-tu aux jeunes qui ont envie d’entreprendre ?

Je trouve qu’il y a de la bienveillance et beaucoup d’entraide sur le territoire calédonien. L’écosystème tech n’est pas composé de millions de personnes ici mais il est porteur de tant de projets ! En Calédonie, je trouve que nous avons ce point d’équilibre entre pragmatisme et mise en action : moins de « timidité » et plus d’agissements. Nos ressemblances suscitent notre bienveillance à l’égard des autres.

J’aime cet aspect-là puisque chacune des rencontres est porteuse de nouveaux projets innovants. J’aimerais d’ailleurs particulièrement remercier Nicolas Beaufort de Cegelec, Winyfred Luc d’Axians, Nolann Charles et Pierre Hénaff de One Shot, Marie-Sofia Bouaddi de Kortex, Naomi Daculsi de Pépite NC mais aussi les membres de la FTNC ou de l’ADECAL. Ils sont tous inspirants et bienveillants les uns envers les autres, ce qui me donne encore plus envie de rejoindre le bateau.

De ce fait, le conseil que je donnerais est d’aller vers les personnes concernées directement par le projet entrepris ! Il ne faut pas craindre d’aller vers les experts du métier, de discuter avec eux, de proposer des choses. Personne ne vous volera votre projet ! Contactez les personnes que j’ai pu citer, contactez-moi, contactez Pépite NC, la CCI, l’ADECAL, la FTNC… Vous avez des interlocuteurs de choix, lancez-vous !

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Quelle est ta vision de la transformation numérique de notre territoire et quels freins as-tu identifié ?

Un sujet redondant est le fait que les compétences ne reviennent pas sur le territoire. Beaucoup de Calédoniens partent faire leurs études en métropole et y restent, faute de trouver du travail dans leur domaine en Calédonie. En sondant les offres d’emploi ici et en les comparant aux salaires métropolitains, il était presque tout le temps plus avantageux de rester en France. Au-delà des salaires, ce sont aussi les conditions de travail et de vie qui sont favorables.

Pour ce qui est de mon domaine en développement web, il est difficile de trouver des langages de programmation autres que Java. En métropole, quoi que vous fassiez, vous pouvez avoir accès à vos langages préférés ! Il y a encore quelques pistes à développer sur le territoire. Il y a des freins certes, mais tant d’opportunités et d’améliorations sur le sujet numérique ! 

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Langages informatiques les plus populaires : il faut être expert pour y comprendre quelque chose…© Statista

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Un dernier mot pour la route ?

J’ai mis l’application Néo un peu de côté pour me consacrer pleinement au projet Ceres. C’est aussi pour ça que je suis rentré : tester le marché et voir si l’application prend sur le territoire.

Si c’est le cas, ce sera un beau coup de lumière sur mes applications et donc sur Néo. J’ai besoin de développeurs à plein temps pour m’aider et un peu plus de crédibilité me permettra de m’y consacrer à plein temps !

En attendant, merci à NeoTech de m’avoir reçu et de mettre en lumière la jeunesse entrepreneuriale calédonienne !

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