Et si le numérique n’était pas seulement une question d’écran ? Est-ce qu’il est possible de découvrir l’informatique grâce à des jeux, de casse-têtes et de magie ? C’est le pari de Marie Pelleau, maîtresse de conférences en informatique et membre active du consortium Terra Numerica. Entre algorithmique, ateliers débranchés et rencontres avec des élèves calédoniens, elle nous raconte comment le projet réinvente la médiation scientifique autour du numérique. Prêts à plonger dans l’univers de Terra Numerica ? Accrochez vos ceintures, on vous promet quelques tours de passe-passe !

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Bonjour Mairie, et bienvenue sur NeoTech ! Pour commencer, peux-tu nous présenter ton parcours et ce qui t’a amenée à rejoindre Terra Numerica ?

Bonjour NeoTech ! Alors, mon chemin a pas mal zigzagué. J’ai d’abord étudié l’informatique à Nouméa, avant de partir en métropole, à Nantes, où j’ai poursuivi jusqu’au doctorat. Ensuite, j’ai fait mes valises pour un long voyage scientifique : post-doc au Canada, aux États-Unis, puis à Paris. Finalement, j’ai atterri à Nice et je suis maintenant maîtresse de conférences à l’Université Côte d’Azur. C’est là que tout a commencé : lors d’une Fête de la science, j’ai croisé une équipe de l’Inria qui travaillait déjà sur la médiation autour du numérique. De fil en aiguille, les discussions, les idées, les expériences partagées ont donné naissance à un consortium réunissant CNRS (Centre national de la recherche scientifique), Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) et université. De cette aventure collective est né Terra Numerica.

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Le cœur du projet, c’est de parler du numérique… mais le plus souvent tu n’utilises même pas d’ordinateur ! Pourquoi ce choix un peu paradoxal ?

Justement parce que le numérique, ce n’est pas que des machines. En tant que chercheuse, je passe beaucoup de temps à réfléchir sur papier, à manipuler des idées, des algorithmes, sans allumer l’ordi. Alors, on a voulu montrer ça : que la logique, la réflexion et les concepts informatiques peuvent se découvrir avec un crayon, des cartes, des puzzles. C’est rassurant pour les plus âgés, qui peuvent être intimidés par un écran. Et ça marche très bien avec les enfants : ils voient que l’informatique, c’est aussi un jeu d’esprit, une façon de résoudre des problèmes, pas juste taper du code dans une boîte noire.

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Si je pousse la porte d’un atelier Terra Numerica, je découvre quoi concrètement ?

Des défis qui ressemblent à des casse-têtes ! Imagine un graphe avec des ronds reliés par des traits. Le jeu, c’est de colorier chaque rond en respectant une règle : deux ronds reliés ne doivent jamais avoir la même couleur. Ça paraît simple ? Pas tant que ça ! Les ordinateurs eux-mêmes galèrent sur ce genre de problème quand il devient grand. Et c’est ça qu’on adore montrer : que des situations qui semblent ludiques révèlent en fait des problèmes complexes d’algorithmique. Tu colories tranquillement, tu t’amuses, et soudain tu réalises : « Mais en fait, c’est ça qu’un ordinateur essaie de résoudre quand il planifie des connexions sur Internet ! » Bref, c’est du jeu… mais aussi une fenêtre vers les coulisses du numérique.

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En mars dernier, pendant la semaine du numérique, tu es venue animer ces ateliers en Nouvelle-Calédonie. Comment as-tu vécu l’expérience et quelles réactions t’ont marquée ?

C’était génial. En une semaine, j’ai animé 23 ateliers, du primaire au lycée, et l’accueil a été incroyable. Les élèves ont adoré les tours de magie mathématiques, comme le calcul binaire présenté sous forme de devinette. Même les lycéens, pas toujours faciles à embarquer, se sont pris au jeu. Je me souviens d’un moment au lycée Jules Garnier : un élève arrive en retard et ses camarades lui disent direct « attends, on va te montrer un tour de magie ! ». Ils avaient tellement intégré la démarche qu’ils transmettaient eux-mêmes aux autres. Ce genre de scène, ça donne une énergie folle et ça prouve qu’on a réussi à créer une étincelle.

Terra Numerica
Pas besoin d’écran pour jouer avec les algorithmes ! © Terra Numerica

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Ton domaine de recherche, la programmation par contraintes, est assez pointu. Comment arrives-tu à le traduire pour le grand public ?

Par le jeu, toujours. Je prends par exemple le problème des reines sur un échiquier : placer six reines sur une grille sans qu’aucune ne se menace. Ça devient un casse-tête hyper concret que même des enfants peuvent tester. Ensuite, on montre comment on peut résoudre ça pas à pas, en essayant, en revenant en arrière, en ajustant. Derrière, il y a de vrais algorithmes de programmation par contraintes que j’enseigne à mes étudiants. Mais pour un atelier grand public, l’important, c’est de montrer la logique du raisonnement, la beauté du processus, sans coder. Chacun peut entrer à son niveau, que ce soit juste pour le plaisir du défi ou pour comprendre les mécanismes profonds.

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La fracture numérique est une réalité, notamment en Nouvelle-Calédonie. Comment Terra Numerica peut contribuer à la réduire ?

Notre arme principale, c’est la pédagogie ludique. Les jeux, les ateliers, ça rend les concepts accessibles à tous, quel que soit le niveau scolaire ou la familiarité avec l’informatique. Mais au-delà des ateliers, on propose aussi des conférences pour expliquer des sujets qui peuvent inquiéter, comme l’intelligence artificielle. L’idée, c’est de dédramatiser, de donner des clés de compréhension plutôt que de laisser la peur s’installer. En fait, on ne distribue pas des outils numériques au sens matériel, mais on transmet des outils intellectuels : comprendre ce qui se cache derrière l’écran, c’est déjà réduire la fracture.

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Au fil de tes animations, tu as sûrement eu des moments marquants. Peux-tu partager une anecdote coup de cœur ?

Oui ! Dans une école, après un atelier sur les réseaux de tri (où les élèves doivent se comparer et se déplacer dans des cerceaux pour finir classés en ordre croissant), une petite fille m’a regardée droit dans les yeux et m’a dit : « Moi aussi, quand je serai grande, je veux être magicienne comme toi ! » Pour elle, ce que je venais de montrer relevait de la magie. Mais c’était de la science. Et je me suis dit : si, par ce détour, elle garde cette curiosité et qu’un jour elle se lance dans les sciences, alors le pari est gagné. C’est ce genre d’instant qui te rappelle pourquoi tu fais ce métier.

Terra Numerica
Quand les algorithmes prennent vie : triés, classés… et tout sourire ! © Terra Numerica

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Avec toutes ces évolutions rapides (IA, cybersécuritémétavers…), comment choisissez-vous les thèmes à explorer ?

On a un socle de classiques – le binaire, les algorithmes de base – mais on se nourrit aussi des recherches de nos collègues. Comme Terra Numerica rassemble CNRS, Inria et universités, on a autour de nous des chercheurs qui travaillent sur l’IA, la cybersécurité, les blockchains. On discute avec eux et on imagine comment transformer leurs sujets en ateliers ludiques. Notre défi, c’est toujours de rester interactifs : pas juste une conférence descendante, mais une activité où le public participe. Parfois, on utilise des tablettes ou des supports numériques, mais on garde une préférence pour le débranché. Parce que dans une classe, tout le monde n’a pas forcément accès à un ordinateur, alors que des cartes ou des objets, ça fonctionne partout.

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Et demain, quelles sont les prochaines étapes de Terra Numerica ?

Terra Numerica

On voit grand ! On a déposé un projet à l’horizon 2030 pour développer de nouveaux territoires. La Corse, la région PACA… mais aussi la Guyane et la Nouvelle-Calédonie font partie de nos envies. Pourquoi ces choix ? Parce qu’il y a des fractures numériques, mais aussi parce qu’on y a des ancrages humains. Moi, je suis calédonienne d’origine, une collègue a travaillé en Guyane : on construit toujours avec des liens locaux. L’idée, c’est de multiplier les passerelles, de rendre la science numérique accessible dans des contextes très différents. Bref, la magie Terra Numerica a encore beaucoup de scènes à explorer.

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Enfin, si un jeune Calédonien lit cette interview et se dit « moi aussi, je veux travailler dans le numérique », quel conseil lui donnerais-tu ?

D’abord : il faut que ça te passionne. C’est un domaine vaste, qui demande de la curiosité et de l’envie. Ensuite, explore les formations disponibles ici : l’IUT à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, les BTS orientés développement (SLAM, SIO…). Tu découvriras qu’il y a plein de facettes : algorithmique, programmation, réseaux… L’essentiel, c’est de tester, de voir ce qui te plaît le plus. Le numérique, c’est un océan immense : certains vont aimer plonger dans la théorie, d’autres dans la pratique concrète. Mais tout commence par une étincelle de curiosité. Et ça, c’est exactement ce qu’on essaie d’allumer avec Terra Numerica.

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