C’est dans la salle de réunion attenante au Centre d’Opérations Intégré « CUPIDOM » de la SLN qu’un Jean-Loup Loyer masqué nous reçoit. Entre l’arrivée de la CAT – Centrale Accostée Temporaire -, le fameux CUPIDOM et la politique « data » du métallurgiste, nombre de sujets technologiques ont été abordés avec le représentant du groupe ERAMET. Au programme de cette interview, « Mine 4.0 », intelligence artificielle, relations entre le groupe et la SLN ou encore collaborations « GreenTech« … Bonne lecture !

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Bonjour Jean-Loup et bienvenu sur NeoTech ; pour commencer notre échange, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ? 

Bonjour NeoTech ! Je m’appelle Jean-Loup Loyer et je suis Directeur Data du groupe Eramet que j’ai rejoint il y a maintenant quatre ans. 

Ingénieur en aéronautique de formation, j’ai commencé ma carrière au sein du gouvernement français en tant que conseiller en stratégie et c’est lors de ces 3 années que j’ai « attrapé le virus de la data ». J’ai ensuite voulu appliquer la donnée à des problèmes industriels et pour cela j’ai réalisé un doctorat autour de la maintenance prédictive, dans le cadre d’un partenariat entre mon université à Lisbonne, le MIT et le fabricant de moteurs d’avion Rolls-Royce plc. 

Je suis ensuite rentré en France pour travailler comme « data scientist » à la recherche et innovation de L’Oréal : j’aidais des chimistes à mettre au point de nouveaux produits en analysant le lien entre la composition chimique des produits et leurs caractéristiques. Dans ce cadre, j’ai travaillé sur de nombreux projets « beauty tech » – beauté personnalisée -, c’est-à-dire sur des produits fabriqués à la demande et personnalisés pour chacun des clients. 

Après ces quatre années, j’ai été recruté par Eramet où je m’occupe de deux domaines : l’analyse de la donnée et sa valorisation – data science, machine learning et IA – et la gouvernance de la donnée – comment s’assurer que l’on connaît notre patrimoine de données et qu’on l’exploite de la meilleure manière. Notre équipe « data » fait partie de la Direction de la Transformation et Performance Numérique du groupe Eramet, elle-même rattachée au Directeur Opérations Groupe et à la PDG, Christel Bories. Nous nous occupons donc de projets très opérationnels. 

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Jean-Loup Loyer en visite à la SLN © NeoTech

Quelle est la raison de ta venue en Nouvelle-Calédonie ?

Après trois ans d’absence de Nouvelle-Calédonie à cause des contraintes sanitaires, notre équipe revient à la SLN pour renforcer la démarche « data » qui a, bien sûr, toujours été poursuivie à l’échelle locale. 

Nous venons également apporter notre connaissance et notre expérience de ce qui a été fait ailleurs dans le Groupe Eramet et qui pourrait s’appliquer à la SLN et, évidemment, reprendre contact avec les équipes de la SLN. 

Nous souhaitons également identifier de nouvelles opportunités de projets en « data science et IA » et constater l’évolution des projets entamés par le passé et de ceux toujours en cours. 

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Peux-tu présenter Eramet en quelques chiffres clés et nous parler de sa relation avec la SLN ? 

Eramet, c’est l’un des plus grands groupes miniers et métallurgiques à l’échelle européenne : 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, plus de 13 000 collaborateurs à travers le monde… 

Notre activité principale, qui représente environ la moitié du CA, se concentre sur l’extraction et la transformation de manganèse au Gabon. Dans ce contexte, nous sommes également opérateur ferroviaire. Nous sommes également actifs en Norvège, à Dunkerque ou encore aux États-Unis. 

Concernant le nickel, la SLN en est le berceau industriel, elle a une expérience de plus de 140 ans et se trouve au cœur de l’histoire d’Eramet ; dans beaucoup de domaines techniques, la SLN est un acteur de référence et parfois un pionnier comme le prouve CUPIDOM, notre Centre Unique de Pilotage Intégré des Opérations Minières. Par ailleurs, nous avons récemment lancé une nouvelle activité d’extraction en Indonésie qui sera, à la fin de l’année 2022, probablement la plus grande mine de nickel au monde. En deux ans, et grâce à un partenariat avec un métallurgiste chinois, la production sera passée de 0 à 14 millions de tonnes extraites annuellement, soit le double des volumes réalisés par la SLN à ce stade.

Nous avons également une activité en plein développement autour du sable minéralisé à travers, entre autres, une mine au Sénégal ; nous travaillons aussi autour de la ressource « lithium » avec une usine en construction en Argentine, qui devrait démarrer la production fin 2023. 

Eramet se positionne ainsi comme un acteur de la transition énergétique, comme fournisseur des métaux qui rentrent dans les batteries électriques sur un marché en pleine explosion. Nous sommes ainsi un acteur de la transition de l’ère des hydrocarbures – gaz, pétrole -, à l’ère des métaux. 

ERAMET

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Que répondrais-tu à quelqu’un qui dirait qu’il n’y aura plus de métaux rares d’ici 50 ans ? 

En ce qui concerne les gisements opérés par Eramet, nous en avons encore pour de nombreuses décennies : au Gabon, a minima 50 ans pour les endroits que l’on connaît. En Nouvelle-Calédonie, il existe également de larges réserves.

Au regard de notre volonté d’être un acteur aligné sur les meilleurs standards éthiques, RSE et environnementaux internationaux (Norme Irma), Eramet se positionne également comme un acteur majeur en matière de recyclage. Le Groupe Eramet croit fermement dans l’avenir des mines dites secondaires – parfois aussi appelées « mines urbaines » – c’est-à-dire la revalorisation des ressources déjà extraites, raffinées, produites, utilisées et parfois usagées. Porté par cette ambition, Eramet en partenariat avec le groupe Suez s’engage et lance un projet de recyclage des batteries électriques. 

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Quelles sont les activités « data » et « IA » au sein du groupe Eramet et quelles en sont les déclinaisons pour la SLN ? 

Au niveau du groupe Eramet, nous travaillons sur toutes les fonctions et toutes les filiales de l’entreprise : un périmètre très large, avec une attention particulière sur les problématiques opérationnelles. Nous intervenons principalement là où il y a de gros soucis de production et de performance, mais également sur des problématiques RSE et environnementales. Ce sont les grandes priorités du groupe. 

Comme notre équipe appartient à la « transformation numérique », il faut garder en tête ce terme de « transformation » ; on mène des projets complexes qui visent à transformer en profondeur les manières de travailler :

ce n’est pas juste « digitaliser pour digitaliser » un processus qui ne fonctionne pas…

Jean-Loup Loyer

Il s’agit d’utiliser le numérique comme un levier d’amélioration de la performance de l’entreprise. Par exemple, dans de nombreuses entreprises industrielles, la maintenance est curative : on répare un équipement cassé mais la production chute pendant quelques heures, jours, voire semaines si on ne dispose pas d’une pièce de rechange critique. Nous essayons donc de passer à une approche, non seulement préventive, mais aussi prédictive grâce, notamment, à l’intelligence artificielle. L’objectif, c’est d’anticiper et de passer d’une vision passive à une vision proactive : c’est un changement total de mentalité, de paradigme et d’organisation du travail (instrumentation des équipements, gestion des stocks, formation des collaborateurs…) ! 

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Un exemple de maintenance prédictive à la SLN peut-être… ? 

Bien sûr ! On a appliqué ce concept à « l’atelier charbon » où nous avons mis en place une maintenance prédictive ; pour ce faire, grâce à des capteurs de température, de pression, de vitesse de rotation, de vibrations etc., on récupère toutes les données qui proviennent des différents équipements et ce sur plusieurs années. 

Ensuite, en analysant les données de cet historique, on va détecter des comportements anormaux et, lorsqu’ils se reproduisent, on sera en mesure d’émettre des recommandations. Pour résumer, nous détectons, dans le passé, des comportements anormaux qui ont amené un problème et, lorsque ces comportements sont identifiés ici ou ailleurs, on est alors en mesure de prévoir une potentielle casse pour l’anticiper et la corriger avec un minimum d’effets négatifs sur la production. C’est une boîte à outils algorithmique adaptée à chaque situation. 

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En quoi la donnée est-elle cruciale pour l’activité de la SLN ? 

La donnée est cruciale car c’est un moyen de mesurer et il est plus facile de contrôler quelque chose qu’on mesure. Par ailleurs, le patrimoine de données est le reflet de l’organisation : si une organisation est déficiente, si les rôles et responsabilités se chevauchent, cela va se voir dans la donnée. Elles seront mal mesurées, mal remplies, doublonnées… La donnée permet d’identifier tous les problèmes d’une entreprise ; ainsi, quand on travaille à l’amélioration de la qualité de la donnée, on travaille également directement sur l’optimisation de l’organisation elle-même. 

A l’instar de nos minerais, la donnée est un actif important de l’entreprise car il permet de piloter son activité ; d’ailleurs, certains notent avec amusement que, d’une certaine manière, l’exploitation de la donnée ressemble un peu aux activités minières et métallurgiques : on parle en effet dans le monde de la « data » de gisements de données, de transport et transformation des données, d’affinage des paramètres des algorithmes… De plus, la donnée permet de générer des revenus divers auprès d’entreprises qui peuvent être intéressées par nos données anonymisées, par exemple des fabricants de machines tournantes pour comprendre les causes de panne. Une autre forme de valorisation de ce patrimoine qui permet, en premier lieu, de prendre les bonnes décisions au niveau du terrain. 

A Eramet et à la SLN, les données sont utilisées dans plusieurs domaines : optimiser la production, faire de la maintenance prédictive, assurer le suivi des opérations minières et l’optimisation de la chaîne de valeur, depuis la carrière jusqu’au minéralier qui transporte le minerai… Elle permet d’avoir une vision globale sur toute la chaîne de valeur et ainsi d’optimiser le système dans son ensemble, au lieu de prendre des décisions silotées et déconnectées. 

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Peux-tu nous présenter quelques cas d’usages de l’intelligence artificielle à la SLN ? 

On se sert de l’intelligence artificielle dans plusieurs domaines, à commencer par la réduction des émissions de CO2 par optimisation du mix énergétique ; il y a en effet plusieurs sources d’électricité disponibles pour alimenter les fours de la SLN : la centrale électrique historique, le barrage de Yaté, la nouvelle centrale solaire de Boulouparis… À tout moment, chacune de ces sources a une puissance ou une disponibilité variables. L’un de nos projets consistait à choisir en temps réel la meilleure source énergétique pour alimenter les fours. Grâce à des algorithmes, nous sommes donc capables de nous approvisionner de la manière la plus intelligente et ce, en temps réel. 

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La CAT vient d’accoster à la SLN © Le Marin – Ouest France

L’IA nous permet également d’améliorer notre connaissance des sous-sols grâce à des sondages intelligents, basés sur de l’électro-magnétisme : un relevé en hélicoptère a été réalisé en Calédonie il y a quelques années et il nous a permis d’obtenir des données supplémentaires pour potentiellement réduire le nombre de sondages et donc de réduire les coûts.  Au-delà de l’amélioration des connaissances géologiques de nos gisements, cela nous aura également permis d’améliorer la connaissance des sous-sols et notamment de la ressource en eau, avec l’accumulation de nouvelles données en la matière qui ont pu être partagées avec les autorités compétentes. 

Avec le développement de CUPIDOM comme Centre d’Opérations Intégré, nous allons pouvoir optimiser la supply chain (chaîne de valeur) dans son ensemble, affiner et communiquer le planning d’arrivées de bateaux sur site (…) grâce à des modèles océanographiques et météorologiques par exemple… 

Dernier point, et c’est une des raisons pour lesquelles je suis ici, nous allons lancer un partenariat de recherche entre l’UNC et Les Mines de Paris à travers une thèse de doctorat portant sur l’optimisation du process minier. L’objectif ? Etendre l’écosystème universitaire local, faire des partenariats avec la métropole et développer tous les sujets « datas / IA » en Nouvelle-Calédonie. 

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CUPIDOM est un premier pas vers la mine 4.0. Quelle serait ta définition d’une mine 4.0 et quelles technologies sont au cœur de cette (r)évolution ? 

CUPIDOM est un « centre intégré d’opérations » : tout est dans le nom ! Il vise à améliorer les « opérations » en temps réel et à aider au pilotage des opérations terrain. Il est « intégré », c’est-à-dire qu’il récupère des données sur toute la chaîne de production, depuis la carrière jusqu’à l’embarquement sur les bateaux, afin de trouver un optimum global au système. 

Il n’y a pas de définition canonique de la mine 4.0 mais, souvent, ce qu’on dit, c’est que la mine du futur est une mine totalement connectée, à tout moment et pour tout le monde, une mine rendue plus intelligente grâce à des algorithmes de data science et d’IA qui viennent augmenter et renforcer les collaborateurs mais certainement pas les remplacer ! On les aide à prendre les meilleures décisions en toute transparence. C’est un changement de paradigme : plus de transparence managériale et de confiance entre collègues. 

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Un CUPIDOM pour optimiser les opérations « terrain » en temps réel © NeoTech

Dans la mine 4.0, on a également plus d’automatisation et de robotisation qui viennent réduire les tâches dangereuses et pénibles ; ça comble aussi des problématiques de recrutement sur des postes difficiles ou de nuit… C’est également l’orchestration de toutes les tâches opérationnelles de l’entreprise grâce à ce centre CUPIDOM. 

Côté technologies, une mine 4.0 se doit d’être équipée de systèmes de télécommunication modernes types 5G qui couvrent l’ensembles des mines, de plateformes pour collecter, croiser et synchroniser les données en temps réel, d’infrastructures cloud pour stocker, partager et analyser la donnée, d’objets connectés, d’IoT, de caméras, de drones pour capturer la donnée au plus près du terrain et d’algorithmes d’IA, de traitement d’images ou de langage pour prendre les meilleures décisions. 

En Calédonie, on commence à intégrer ces briques technologiques, là où les miniers les plus en avance en sont déjà équipés. Je suis certain que nous allons rapidement rattraper ce retard par rapport aux grandes mines australiennes ou canadiennes par exemple… 

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Collaborez-vous ou avez l’intention de collaborer avec des startups « GreenTech » qui pourraient proposer des solutions pour réduire l’impact écologique de la SLN ? 

Oui, bien sûr ! Au niveau du groupe, nous avons plusieurs projets en cours, notamment avec les startups « Agritech » ; elles permettent en effet de pérenniser la mine, « après la mine ». 

Nous avons des projets au Sénégal qui consistent à améliorer le suivi de la réhabilitation de notre mine flottante qui avance sur une dune. A ce titre, nous avons un impact environnemental important puisque l’on doit défricher tout ce qui se trouve devant la mine, notamment la végétation. Grâce à des drones qui volent au-dessus de la mine et qui captent des images, des « jumeaux numériques », on est en mesure d’identifier les arbres, les puits, les champs, les maisons, les chemins pour reconstruire à l’identique. On peut alors préparer l’après-mine grâce à des projets agritech : au lieu de revégétaliser avec la flore locale pré-existante, on peut décider, en lien avec les autorités et communautés locales, de faire en partie des champs ou du maraîchage… 

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Une mine flottante avec un impact écologique minime © ERAMET

Nous avons également un projet avec notre équipe d’open innovation qui nous permet de sourcer les startups les plus prometteuses : re-végétalisation avec des drones semeurs de graines, capteurs avancés pour mesurer les niveaux d’eau sur les mines… D’une manière générale, nous essayons de rendre l’impact écologique de nos mines le plus faible possible grâce à des partenariats innovants

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Un dernier mot ou une dernière actualité pour nos lecteurs ?  

La libre circulation de nouveau en place va nous permettre de multiplier nos venues et échanges et de contribuer à relancer une dynamique « transformation numérique » autour de la data et de l’IA : on va sûrement avoir une présence un peu plus affirmée localement à travers des événements et des communications ciblées pour expliquer notre activité et ses évolutions. 

J’en profite également pour passer un appel aux experts locaux et internationaux du numérique : pour mener nos projets, nous avons besoin d’experts de la donnée ou de l’informatique ! Data science, data engineering, UX/UI, architectures cloud, DevOps, IoT… beaucoup de compétences pointues seront les bienvenues pour nous aider à monter en puissance sur ces sujets-là ! N’hésitez donc pas à nous contacter, en particulier sur LinkedIn 

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