L’Observatoire numérique Nouvelle-Calédonie, le premier hackathon calédonien – et le deuxième un peu aussi ! -, l’organisation des TedxNouméa depuis 2016, la création de la SARL Eureka Box sont autant d’entités et d’événements qui sont nés de l’esprit et de la volonté de Charlotte Ullmann-Bizien. Après plus de dix ans sur le territoire, l’experte en stratégie numérique dresse le bilan d’une décennie d’implication dans la transformation numérique du territoire.

Bonjour Charlotte ; tout d’abord, pourrais-tu adresser tes meilleurs vœux 2022 à nos lecteurs en y adjoignant un petit bilan de ton activité 2021 ?  

Très bonne année 2022 à tous les lecteurs de NeoTech ! 2022 dans l’horoscope chinois, c’est l’année du “Tigre d’Eau” qui nous apporte renouveau, bravoure et chance : c’est tout ce que je vous souhaite !  

Côté bilan 2021, via la SARL Eureka Box, j’ai vraiment mené des missions dans les domaines de l’innovation, du digital, de l’intelligence collective et l’organisation d’événements structurants. Je peux citer par exemple le 1er “Nouméa Women’s Forum” avec la Province Sud, la cinquième édition du TedxNouméa ou encore l’accompagnement du 1er “Ocean Hackathon Nouvelle-Calédonie“. Si je devais choisir parmi mes plus belles rencontres humaines, je dirais que c’est de nouveau le Tedxnouméa qui s’est révélé être un temps fort de mon année !  

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Peux-tu maintenant nous présenter ton parcours en quelques dates clés ?  

Depuis 2007, je suis Docteur en Géographie et Aménagement du territoire après une thèse sur les stratégies numériques des régions françaises. Een parallèle, de 2000 à 2008, je travaillais à la Caisse des Dépôts et Consignation, à Paris, dans un département qui s’appelait “Développement Numérique des Territoires”. C’est un endroit où j’ai eu la chance de côtoyer des ingénieurs télécom, des financiers (…) et d’être vraiment en lien avec les collectivités publiques, le monde des télécom et tout l’écosystème “d’intelligence” qui gravitait autour : think thank, chaires scientifiques, étudiants…  

Je suis ensuite arrivée en Nouvelle-Calédonie fin 2008 et j’ai trouvé du boulot au bout de trois mois : j’ai passé une première et unique année à Vale NC, l’industrie minière dans laquelle j’étais en charge des partenariats, des relations institutionnelles et de la stratégie RSE. Rien à voir avec le numérique… J’ai découvert alors ce qu’était une multinationale dans l’industrie lourde et je me suis rapidement retrouvée à faire de la communication de crise suite à une fuite d’acide sulfurique en 2009. Il a fallu gérer la communication de la multinationale en lien avec les populations, les coutumiers, les institutions, les associations et les médias. Tout ça, en mode “urgence”. Ce fut une expérience instructive mais “sportive” !

Au bout d’un an, j’ai eu envie de retourner au numérique. En 2010, j’ai rencontré une petite association appelée l’ACTIC qui avait un projet d’observatoire du numérique sur l’étagère… Finalement, j’ai mené une étude de préfiguration et j’ai ensuite créé l’Observatoire numérique Nouvelle-Calédonie avec l’appui d’un enseignant d’université toujours motivé, il s’agit de Gilles Taladoire et d’un brillant entrepreneur multi-talents, Joël Kasarherou. A l’époque, le numérique n’était pas vraiment un sujet… En 2010, pour la première fois dans l’histoire, le sujet numérique est apparu dans les prérogatives d’un membre du gouvernement, celles de Bernard Deladrière.C’est grâce à lui que l’Observatoire Numérique est née avec deux missions : définirdes indicateurs d’évolution économiques, sociales et environnemental du numérique à l’échelle du pays et créer une dynamique de réseau entre les acteurs pour créer de nouvelles opportunités. Cette expérience associative, extrêmement riche, a duré jusqu’en 2019. J’ai quitté l’association fin janvier 2019 et j’ai créé ma patente “Eureka Box” dans la foulée, que j’ai donc récemment transformée en SARL.  

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Tu as donc fondé et travaillé pendant presque 9 ans pour l’Observatoire du Numérique NC ; que retiens-tu de cette période et quels ont été les projets les plus novateurs auxquels tu as participé ?  

Bien que l’internet commercial existait déjà depuis 1995, le caillou venait d’accueillir son premier câble sous-marin en 2008. Et en 2009, la transformation numérique de la société et des organisations était à ses débuts… De 2011 à 2019, j’ai défini la stratégie et proposé chaque année la feuille de route de l’Observatoire numérique autour de trois axes : infrastructures, services et usages.  

La valeur ajoutée de l’association était de faire collaborer le maximum d’acteurs ensemble. Je me revois encore avec Denis Loche, ancien président de l’ACTIC, imaginer l’organisation des Carrefours des professionnels, organiser les séminaires annuels, et tout cela, pour aboutir en 2016 à plusieurs résultats concrets dont la rédaction du premier (et toujours unique) Livre Blanc des professionnels des filières numériques, ainsi que la création du cluster OPEN-NC, qui perdure aujourd’hui.

En 2011, il faut se souvenir qu’aucun chiffre n’existait sur l’état du développement numérique en Nouvelle-Calédonie. J’ai donc lancé le 1er baromètre numérique en partenariat avec de nombreux fournisseurs de données, tels que l’OPT-NC, les FAI, la Ville de Nouméa, et avec l’appui financier du gouvernement et de la Caisse des Dépôts. Chaque année, mon objectif consistait à fournir de nouvelles études sur des enjeux tels que le e-commerce, l’éducation numérique, les leviers de l’innovation, etc. Toutes ces études étaient librement accessibles sur le site internet de la structure, au profit des décideurs et de l’ensemble des intéressés. 

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9 ans de beaux projets à © l’Observatoire numérique Nouvelle-Calédonie

De 2012 à 2016, j’ai adoré contribuer à la montée en compétences numériques des apprenants, à la fois en accompagnant des animateurs multimédias dans les maisons de quartier mais aussi des enseignants de la DDEC. Avec Astrid Arbey, je réunissais une dizaine d’animateurs pendant une demi-journée pour les former à la veille numérique, aux outils collaboratifs, à la création et gestion de projets, au développement d’ateliers afin qu’ils puissent à leur tour accompagner les populations locales dans leurs usages numériques. Avec Jean-François Loisel, alors doctorant, nous avons encadré pendant 2 années de suite une équipe d’enseignants de lycée sur les méthodes de collaboration et d’innovation pédagogique avec les outils numériques. 

Face à l’accroissement technologique et les enjeux de sobriété numérique, j’ai ouvert le sujet des “territoires connectés et durables” à partir d’un événement que j’ai appelé “Smart-Day”. Ces journées de rencontres professionnelles ont été organisées pendant trois années de suite. Poursuivant aussi les sujets de l’innovation et de l’entrepreneuriat depuis toujours, l’Observatoire numérique a alors lancé le premier hackathon calédonien en 2017. Je me souviens encore de l’intensité de l’organisation de cet hackathon qui a duré tout un week-end, nuit incluse et dont les prix ont été remis lors d’un Smart-Day. Ce fut un beau succès : 15 partenaires, 69 participants pour 18 projets concretsà son issu… Bref, pendant près de dix ans, j’ai essayé de poser des jalons qui permettent de créer des échanges à la fois conviviaux et utiles pour les acteurs tout en proposant des projets structurants qui permettent aux décideurs de Nouvelle-Calédonie d’avancer consciemment dans les méandres de la transformation numérique. 

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2017, le premier “hack” calédonien © Charlotte Ullmann-Bizien

Fin 2018, le conseil d’administration de l’association a voulu changer les missions de l’Observatoire numérique et en réduire ses actions. Je me souviens d’une personne en particulier qui m’a dit, droit dans les yeux, que j’allais trop vite et que l’association en faisait trop. Il était donc temps, pour moi, de changer d’orientation. 

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Sur ton profil LinkedIn, on trouve les #stratégienumérique et #facilitationdegroupe : que signifient-ils ?  

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Une petite formation avec © Charlotte Ullmann-Bizien ?

Stratégie numérique” : j’accompagne des organismes publics et privés dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage sur des stratégies numériques et des projets digitaux. 

Facilitation de groupe” : depuis 2019, j’organise des formations à l’IFAP sur l’intelligence collective, la facilitation de groupe et la concertation territoriale. Mon objectif consiste à transmettre à mes stagiaires des techniques de travail, issus des méthodes agiles et des outils de gamification. J’aime créer un esprit de travail collaboratif (avec un mashmallow challenge par exemple) et faire travailler mes stagiaires directement sur leurs projets (à partir de business canva, de prototypage, etc.). Je veux qu’ils en ressortent grandis.  

Dans mes autres missions, je mets à profit ces techniques pour concevoir des ateliers d’intelligence collective. Lors du Nouméa Women Forum porté par Naia Wateou à la Province Sud, j’ai ainsi proposé 10 ateliers participatifs sur une journée, permettant de porter la voix de 120 participants à travers un Livre blanc dédié à l’entrepreneuriat au féminin. J’accompagne aussi depuis de nombreuses années, le forum Jeunesse Développement Durable porté par la Province Sud, le vice-rectorat et la DDEC, visant à accompagner chaque année, près de 80 jeunes de 10 à 18 ans dans la gestion de leur projet. J’ai ainsi la chance de voir l’énergie de ces jeunes ! Pour moi, l’objectif est de mener des mission qui ont du sens et qui font avancer les choses. Cela fait partie de mon ADN professionnel !

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Et sinon, quelle est l’offre de services d’Eureka Box ?

L’offre d’Eureka Box est la suivante :  

  1. Accompagnement en maîtrise d’ouvrage sur les stratégies numériques des organisations et les projets digitaux ;  
  2. Former aux techniques d’intelligence collective et les mettre à projet pour des projets concrets ;
  3. Apporter mon expertise en tant que chef de projet et organisatrice d’événements.

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En tant que consultante « numérique » et au regard de ton expérience locale, quelle est ta vision de la transformation numérique du Caillou ? Quels sont les freins à lever et les opportunités à saisir pour le territoire ?  

Je constate que depuis 2009, les choses ont bien bougé ! Quand je suis arrivée, le câble Gondwana venait tout juste de relier la Calédonie à l’Australie : on avait enfin l’ADSL ! Aujourd’hui, on a la fibre, la 4G… Pour moi, la fracture numérique actuelle n’est plus forcément à chercher du côté des infrastructures mais plutôt du côté de la dématérialisation des services ainsi que sur l’accompagnement aux usages. On l’a d’ailleurs bien vu avec la crise sanitaire : nous sommes en retard et en décalage avec le principe de “l’administration-plateforme” fondée sur l’open-data, l’open-source, la collaboration et l’innovation dans la fonction publique. C’est la crise sanitaire qui a dû rappeler qu’il fallait accélérer bien davantage la transformation numérique des organisations, le télétravail et surtout les services digitalisés (qui fonctionnent) de bout en bout. C’est la crise sanitaire qui a aussi révélé les manques en termes de “e-santé” : pas d’identifiant unique, pas de dossier médical partagé, pas de systèmes d’informations interopérables pour gérer les situations d’urgence. 

Pour favoriser l’accompagnement aux usages numériques, pour moi, tout part du monde de l’éducation à l’école et hors l’école. Hélas, ici, nous manquons d’une vraie stratégie numérique qui soutienne la formation des apprenants aux pédagogies innovantes, qui protège nos enfants de l’hyper-consommation numérique et des cyber-risques.  

Sur le plan économique, le tissu des entreprises privées souffre encore et toujours d’un manque de compétences extérieures qui s’est d’ailleurs renforcé avec la crise sanitaire. Heureusement, OPEN-NC, le cluster numérique perdure et il est bien identifié dans le paysage professionnel. A l’image des lieux comme OoTECH ou la future Station N etc, il y a matière à créer, à mon sens, de nouvelles dynamiques communautaires et d’actions pour favoriser le développement économique. La route est encore longue pour soutenir la culture entrepreneuriale à l’image de nos voisins anglo-saxons, ou encore attirer des leviers financiers pour favoriser l’innovation (business angels, fonds d’investissements, appels à projets). 

Au niveau des freins, je pense clairement que le numérique est un sujet qui a été délaissé par les décideurs publics depuis plusieurs années alors qu’il s’agit bien d’une filière qui produit des points de croissance positifs chaque année, en termes d’emplois et de valeurs. Au niveau du gouvernement, on rêverait par exemple un jour que la DINUM puisse fonctionner comme une startup publique : pour cela, il faudrait lui donner davantage de moyens pour créer un incubateur public mais aussi davantage de ressources pour faire face à l’accroissement des besoins de transformation de l’administration territoriale.

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Tu es également licenciée de la marque “TEDx Nouméa”. Qu’est-ce que cela signifie et qu’est-ce qu’un TEDx ? 

Un TedX est “une conférence territoriale dont les idées valent la peine d’être diffusées” : c’est d’ailleurs la traduction de leur slogan. La marque TED fonctionne sous un format de licence, c’est-à-dire que chacun peut organiser un événement TedX, à son niveau.

Cette aventure a débuté en 2016. L’objectif était à l’époque de porter un projet qui permette la diffusion des idées calédoniennes à l’international. En créant des contenus sur Internet, on créé de la valeur et on contribue à une image positive du pays. 

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Quels sont tes plus beaux souvenirs lors des différentes éditions du TEDx Nouméa ? Des anecdotes à partager avec nos lecteurs ?  

Forcément, l’euphorie “du premier” TEDxnouméa car j’adore partir d’une page blanche !  

Le deuxième souvenir, c’est d’être parti avec Guénolé Bouvet, en 2019 au Ted Summit à Edimbourg afin de rencontrer 900 personnes venues du monde entier pour passer une semaine ponctuée de workshops, de soirées de conférences et d’animations incroyables. Nous sommes revenus à Nouméa, avec une tonne de nouvelles idées pour améliorer notre événement, et maintenant, nous sommes connectés avec les 300 Tedx organisateurs du monde ! 

Allez s’il faut raconter un troisième souvenir, je citerai les moments passés avec les conférenciers du TedxNouméa de l’année dernière. Pourquoi ? Parce que l’on a changer le process de coaching des orateurs : ils se sont challengés les uns les autres, lors de séances d’intelligence collective. Cela permet de créer davantage de proximité et de vraies amitiés sont nées. De plus, grâce à nos partenaires BETICO et le gîte Nataiwatch, on organise, depuis deux ans, un weekend de cohésion à l’Île des Pins. Et là, forcément, cela crée des souvenirs !   

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De l’intelligence collective et des souvenirs à l’Île des Pins ! © Charlotte Ullmann-Bizien

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Quelle est ta vision de l’entrepreneuriat en Nouvelle-Calédonie et comment pourrait-on le développer ?  

C’est un sujet qui je suis depuis longtemps, notamment depuis l’année de création de l’Observatoire… En Calédonie, il faudrait travailler sur la culture d’entreprendre dès les bancs de l’école primaire. Il faudrait également proposer différents types d’accompagnement des projets innovants, même si nous avons la chance d’avoir déjà un incubateur ou des associations telles que l’ADIE ou Nouvelle-Calédonie Initiative.  

Néanmoins, il faudrait créer des incubateurs privés, ou des écoles spécialisées comme l’école 42 créée par Free en France. Le territoire aurait intérêt à mobiliser davantage de financements pour accompagner l’innovation ; et à attirer des investisseurs étrangers.

A l’époque de l’Observatoire numérique, nous avions organisé les premiers “speed dating” de l’entrepreneuriat, sous le label du “Carrefour des possibles”, en collaboration avec la FING (Fondation internet Nouvelle Génération). Au total, cinq porteurs de projets devaient présenter leur projet devant une trentaine de partenaires. Nous avions privatisé 5 chambres au Château Royal. Les partenaires devaient aider les porteurs de projet en leur apportant des contacts, des idées ou des apports financiers ou en nature. Avec un peu de recul, c’était peut-être un peu trop “early stage” pour la Calédonie mais ça avait le mérite d’exister.  

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Tu as également organisé le premier hackathon avec l’UNC il y a quelques années et participé, récemment, à la concrétisation du Ocean Hackathon NC ; peux-tu expliquer à nos lecteurs ce qu’est un hackathon ? Pourquoi est-ce important que ce genre d’initiatives « tech » se multiplient sur le territoire ?  

Un “hackathon” est un marathon de développeurs. Ces évènements sont importants car ils permettent de fédérer des partenaires privées, associatifs, éducatifs. Les équipes participent généralement sur plusieurs jours pour concevoir une solution, un prototype à présenter devant un jury. Ils bénéficient également du soutien de coachs qui les accompagnent et font mûrir leurs idées. C’est un vrai laboratoire d’idéations, qui ensuite, doit déboucher sur des projets viables économiquement.  

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Et si Air Calédonie les embauchait… ? © Charlotte Ullmann-Bizien

La seule limite des hackathons, c’est que l’on abandonne un peu trop les équipes-projets, au lendemain de l’événement… 

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Un dernier conseil de clic pour nos lecteurs ?  

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Je viens de partager sur LinkedIN, un article publié dans les Echos et écrit par Raphael Suire, un universitaire de Rennes spécialisé sur l’économie numérique. Il aborde la perspective du méta-verse et de l’avatarisation de la société et de l’économie : cela fait froid dans le dos. Il donne heureusement des pistes pour agir et anticiper les dérives de ces mondes digitaux que souhaitent nous offrir les Géants du web. Cliquez ici

Voilà deux clics qui vous apporteront quelque chose…  

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