Alain Giraud bouillonne d’idées novatrices et particulièrement pour le milieu maritime et minier, qu’il connait bien. Salarié pour un grand groupe local, il a décidé de plonger dans le monde des startups en créant la sienne : « Global Marine Aménagement ».
Fort de son expérience professionnelle, son ambition est désormais de supprimer les émissions de CO² et autres polluants, durant les opérations maritimes de chargement de navires minéraliers dans les baies des communes minières de la Grande Terre. Avec Alain Giraud, on a parlé coffre de mouillage, énergie verte et même « crapaud »… mais surtout protection de l’environnement.
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Bonjour Alain et bienvenue sur NeoTech. Peux-tu te présenter à nos lecteurs ? Qui es-tu et quel est ton parcours professionnel ?
Bonjour NeoTech et merci de me recevoir. Je suis Alain Giraud, je suis le président de la startup « Global Marine Aménagement« . J’ai créé cette startup en 2020, mais en parallèle, je suis salarié du groupe SMSP. Je suis cadre responsable hygiène, sécurité et environnement maritime et je suis aussi « Monsieur décarbonation » pour la « COTRANS Mines« , qui est donc la filiale maritime du « groupe SMSP ». J’y suis depuis 2011, avant je venais de l’équipe « Koniambo ». Je suis arrivé sur le territoire en 2008 avec tous les sacrements de la plongée professionnelle.
J’ai 60 ans et j’ai passé une quinzaine d’années, jusqu’à mes 35 ans dans les opérations offshore. J’avais commencé à 25 ans comme scaphandrier classe 2A et très rapidement mon objectif c’était de faire de la plongée à l’international pour l’offshore.
J’ai eu la chance d’être affecté pendant à peu près un an et demi, par période de 45 jours, au Nigeria, à Escravos, sur l’entretien, la maintenance et le lamanage d’une bouée pétrolière de chargement, c’est-à-dire qu’au milieu de la mer, il y a un coffre d’amarrage, qui doit mesurer à peu près huit mètres de diamètre, qui tient avec des chaînes. J’ai appris à travailler avec et du coup, ce coffre, il m’a marqué à tout jamais, puisque je l’ai décliné.
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En 2020, tu as donc créé ta startup « Global Marine Aménagement ». Son objectif global : améliorer les pratiques dans les opérations maritimes de chargement de minerai. Qu’est-ce-qui t’as motivé à créer cette startup ? Quel est le constat que tu fais aujourd’hui ?
Aujourd’hui, on n’a pas d’autre choix que de construire ensemble. Je vais au contact des équipages, je vais sur les minéraliers, je rencontre les personnes, je remonte les problèmes à ma direction et on essaie de les régler. Le but étant de travailler vite, mais bien surtout et ça, ça passe par de l’accompagnement, ça passe par la poursuite de buts communs en l’occurrence tout ce qui touche à l’environnement.
Quelque part, on a répondu au fil de l’histoire à des demandes fortes. Là, on a répondu depuis des multi-décennies à notre demande de nickel. Maintenant, on doit répondre à l’urgence climatique. On n’a pas d’autre choix que de continuer l’exploitation. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on doit faire beaucoup mieux que ce qu’on a fait jusqu’à présent. Et pour moi, j’ai franchement l’impression que c’est facile de faire bien quand on observe, quand on s’intéresse et quand on a l’expérience derrière soi pour pouvoir changer les pratiques et les process.
Je considère un peu la Calédonie comme un grand territoire mais avec une petite population, un peu comme un laboratoire pour essayer de faire beaucoup mieux, beaucoup plus juste, beaucoup plus équitable et beaucoup plus durable ; d’abord parce qu’on n’a pas le choix, mais aussi parce que c’est plus facile de le faire ici que n’importe où ailleurs.
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Quel est le rôle de ta startup « Global Marine Aménagement » ? Qu’est-ce que tu y fais ?
Je voudrais être franchement le lobbyiste de la décarbonation des activités maritimes, minières, parce qu’il y a quelque chose à faire et j’ai les solutions.
Alors avec mon employeur, je développe le remorqueur du futur, mais pour ma startup, j’ai développé le projet e-Buoy. C’est un coffre d’amarrage innovant, qui permet l’alimentation électrique du navire minéralier une fois qu’il va être amarré, en alternative à l’utilisation de ses groupes électrogènes. Il faut savoir que pendant les dix jours de chargement, le minéralier qui est ancré dans la baie, va émettre du HFO, c’est du fuel lourd qui va être consumé non-stop, avec des émissions pouvant atteindre entre 5 et 8 tonnes de CO2 par jour.
Avec mon e-Buoy, qui vient directement de mon expérience pétrolière, j’ai réduit ce fameux coffre d’amarrage. Le pétrolier va se saisir d’une ligne, il va se charger pendant 48 heures en tournant sur lui-même par vents et marées. C’est juste un câble électrique qui va lui être passé par un service de lamanage qu’on va obligatoirement associer à l’e-Buoy. Ce service de lamanage, c’est six personnes qui vont être là pendant toute la durée des opérations maritimes, c’est eux qui vont paramétrer l’e-Buoy pour que le minéralier qui arrive ait exactement ses besoins énergétiques que nous aura communiqué l’agence maritime à son arrivée sur le territoire. On le connectera et du coup il y aura zéro émission de CO2.
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A quoi ressemble l’e-buoy ?
C’est une bouée qui flotte, qui est maintenue par trois-quatre chaînes, comparativement au minéralier, qui lui qui ne tient que sur son ancre. Le service de pilotage à qui j’ai présenté le projet préfère l’e-Buoy parce qu’il arrive que quand il y a des coups de vent, le minéralier dans la baie peut quand même dérader de plusieurs mètres… jusqu’à deux cent mètres.
Elle est au milieu de la baie, à l’endroit plus ou moins où le minéralier travaille; ce dernier est amarré à la bouée, on lui a passé un câble électrique qu’il va brancher à sa salle des machines de manière à couper ses groupes et donc il va tourner à l’électrique. Le but de la start-up, c’est de la déployer sur tous les centres miniers pratiquant le chalandage.
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L’e-buoy est donc une bouée, avec un système de câble électrique. Mais d’où vient cette électricité ?
Elle vient avant tout de EEC ou d’Enercal si le réseau le permet. Il y a six exploitations minières recensées qui sont très loin du réseau électrique donc je vais associer l’e-Buoy à des fermes solaires ou de l’éolien ou du marais motrice à côté qui va permettre de fournir les besoins à la bouée.
Mais du coup, si on fournit les besoins de l’E-Buoy, on peut aussi fournir les besoins de l’exploitant minier. On ne va pas travailler sur ses pelles et ses camions, sauf s’ils deviennent électriques mais en tout cas, on va travailler sur ses bâtiments, sur ses tours d’éclairage et ses équipements. On pourra lui fournir cette énergie verte et on va pouvoir fournir aussi aux clans et tribus du bord de mer cette même énergie verte. À l’heure actuelle, il tourne aussi avec des groupes électrogènes, avec des bougies et avec des petits panneaux solaires. Donc cet e-Buoy, c’est quand même une bouée à faire le bien.
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Qu’est-ce qui fait la spécificité de cette bouée ?
Alors la technologie, elle est toute simple. Elle est sous brevet au niveau pétrolier. Elle est librement inspirée de ce qu’on appelle la bouée SBM : Single Buoy Mooring. Il y en a dans le monde entier et il y en avait même une à Nouméa, dans la Grande Rade.
Cette bouée SBM, en fait, c’est un énorme émerillon. Ça veut dire qu’une fois qu’on est amarré dessus, le vent peut changer de direction, le pétrolier va tourner tout autour à l’infini sans que le tuyau dessous ne se torde. A la surface, il y a, en ce qui concerne l’E-Buoy, juste un câble électrique. Pour la bouée pétrolière, c’est un flexible souple qui sert au chargement.
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Quelles sont les prochaines étapes pour Global Marine Aménagement ?
C’est un petit clin d’œil à BPI France. J’ai répondu à un appel à Projet Tremplin à French Tech. Il y a 45 000 euros à la clé pour le lauréat. Ces 45 000 euros me permettraient tout de suite de débuter simultanément plusieurs études dont on a besoin et qui vont faire avancer hyper rapidement le projet. Ça me permet aussi d’aller au salon du Maritime, mais d’y aller aussi avec des professionnels engagés sur les mêmes thématiques que moi.
Le projet e-Buoy est vraiment un beau projet et simple à faire, dans la mesure où on peut avoir à peu près 80 % de la fabrication de l’e-Buoy ici, j’ai déjà vu des sociétés locales qui auraient que la partie flotteur, d’autres auraient la partie « boat landing« … c’est de la construction mécanique. On a toutes les compétences et même toute la normalisation pour pouvoir arriver à répondre aux critères de qualité. Le but, c’est qu’on puisse revendiquer, au niveau du monde, que la Nouvelle-Calédonie, au moins pour son nickel, qui est censé être vert, qu’il sera encore plus vertueux.
Je cherche des fonds, mais je cherche même une mission d’influence auprès de la province ou du gouvernement pour pouvoir avancer. Mon e-buoy est dimensionné pour les minéraliers, mais la phase 2, ça sera de le dimensionner pour un paquebot. Si à terre il y a la ressource énergétique, ça pourrait être une étape dans le futur.
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En parallèle de ta startup, tu as intégré l’incubateur au pôle innovation de l’ADECAL, il y a un an, en octobre 2022 et tu travailles sur un outil innovant baptisé le « crapaud calédonien. » Qu’est-ce que c’est et comment va-t-il fonctionner ?
Le but du crapaud calédonien, c’est d’optimiser les opérations de chargement du minerai. Aujourd’hui, on charge 8 à 10 000 tonnes par jour. Dès qu’il y a de la pluie, le capitaine du minéralier décide de fermer les cales et on arrête le chargement. Tout le monde est en standby et on attend que la pluie cesse, que la chimie de nickel soit correcte, le taux d’humidité qui est acceptable pour pouvoir reprendre les opérations de chargement… J’ai constaté au fil des années où je vais à la rencontre des équipes, qu’il y a une perte de minerai après 2-3 jours de pluie : on peut perdre entre 5 et 15 % de la capacité des 12 tonnes que contient le crapaud.
Pour comprendre : les minéraliers arrivent dans les baies avec leur grue, et au bout il y a un crochet, c’est ce qu’on appelle le crapaud, qui est un grappin. Il attrape le minerai dans le chalon, le soulève, fait la rotation, et va le lâcher dans les cales du minéralier. Ils vont faire ça toute la journée, de 4 heures du matinjusqu’à 20 heures ; ça, c’est le crapaud. J’ai donc regardé comment on pouvait faire mieux car il reste tout le temps ouvert. Quand il retourne ouvert vers le chaland, tout ce qui n’est pas tombé dans la cale, ça va tomber sur le pont du minéralier, ça va tomber à la mer… et ça, il faut dire stop.
Le crapaud calédonien permettra donc de fermer, permet surtout de gagner du temps dans la manœuvre. Le grutier, pour pouvoir le positionner, va lui faire faire des petits bancs de cabris. J’ai trouvé une innovation qui arrive à nous faire gagner une à deux heures par jour, des tonnes de gasoil, et en plus tout ce qui n’est pas tombé à la mer du minerai.
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