Depuis une dizaine d’années, l’intelligence artificielle révolutionne le monde de la recherche sous-marine. Des scientifiques de l’unité entropie de l’IRD ont donné rendez-vous au public dans les locaux de OoTECH NC pour découvrir les techniques d’IA utilisées dans le milieu marin.  

Cette table ronde était organisée dans le cadre de la fête de la science, avec Morgan Mangeas, directeur de recherche en mathématiques appliquées, Laurent Vigliola, chargé de recherche en écologie marine et Sébastien Villon, post-doctorant en intelligence artificielle appliquée aux écosystèmes marins. Gaël Lecellier, Maître de conférences à l’UNC était également autour de la table. 

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Plongée au cœur de l’intelligence artificielle

Les récentes avancées dans le domaine de l’IA bouleversent en profondeur nos approches dans des domaines aussi variés que la santé, la sécurité, la formation. Comme l’a fait remarquer Morgan Mangeas, directeur de recherche en mathématiques appliquées, en 2012, c’est en quelque sorte “la naissance de l’IA moderne, avec une croissance exponentielle des résultats.”

Cette puissance est due à trois facteurs : d’abord, une mise à disposition d’une importante base de données, à travers le numérique. Ensuite, des technologies ont également permis de créer des puissances importantes de calculs. “On a été capable de faire des réseaux de très grande taille, avec plusieurs centaines de millions de paramètres de connexionsexplique-t-il.

Il fait notamment référence à ImageNet, constituée de 14 millions d’images annotées à la main avec différents niveaux d’informations. L’objectif : faire de la reconnaissance automatique. “C’est ce qui a marqué l’IA que l’on connaît aujourd’hui.” Le tout est basé sur des algorithmes puissants et sur un réseau de neurones artificiels, qui s’apparentent au cerveau humain. “À force d’apprentissage, il va apprendre que telle ou telle image correspond à un requin par exemple et il va développer des capacités de généralisation après.” Pour le mathématicien, ce sont des capacités “suprahumaines”, que l’IA parvient à mieux gérer qu’un opérateur humain. 


L’unité UMR Entropie travaille sur un projet international baptisé AIME – Artificial Intelligence for Marine Ecosystems. Objectif : se faire rencontrer l’IA et la biologie. “On veut créer des indicateurs innovants pour suivre la biodiversité marine” explique Morgan. Ce projet comporte des axes différents : exploiter les images satellites pour détecter automatiquement les pressions et la qualité des écosystèmes marins, comment détecter la diversité et l’abondance des espèces marines et comprendre les oiseaux marins et estimer à travers les codes de l’environnement les niveaux de protection des écosystèmes. 

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Donne moi ton ADN environnemental, je te dirais qui tu es

Pourquoi un biologiste marin s’intéresse-t-il à l’intelligence artificielle ? Laurent Vigliola, chargé de recherche en écologie marine, indique qu’aujourd’hui, les biologistes ont accès à des capteurs électroniques, “qui sont en train de révolutionner le métier.” Comme ils génèrent de l’information numérique, ils aimeraient que ce soit traité par l’IA. C’est la révolution de la microélectronique qui permet l’IA. Mesurer la biodiversité, c’est mesurer les espèces et en Calédonie, il y en a 2200 selon Laurent Vigliola. 

Voilà maintenant une dizaine d’années que les biologistes marins plongent, avec un crayon de papier et une ardoise, pour recenser les poissons. “C’est super sympa, mais c’est assez archaïque !” rigole-t-il. L’ADN environnemental révolutionne le domaine. L’eau de mer est récupérée à l’aide d’un tube, qui contient l’ADN de tout ce qu’il y a dans l’eau, comme par exemple les poissons, les planctons, les algues etc. L’eau est ensuite filtrée en laboratoire pour démontrer toute la vie qui se trouve dans l’océan et c’est là que la microélectronique fait son chemin. Le filtre est placé dans un séquenceur pour produire l’ADN, on peut ainsi “découvrir la biodiversité à des niveaux qu’on ne soupçonnait pas jusqu’à maintenant.” 

Autre technologie qui a fait ses preuves : une caméra placée sous l’eau, pour filmer les espèces. Point commun avec l’ADN environnemental : on peut les déployer partout, découvrir mais aussi étudier des environnements et des espèces inaccessibles jusqu’alors. En guise d’exemple, Laurent évoque les nautiles, qui vivent généralement dans les profondeurs de l’océan. “En filtrant de l’eau, on va pouvoir capter l’ADN de ces nautiles et en les filmant, on va pouvoir les mesurer.” Bonus : l’ADN environnemental est particulièrement puissant pour mesurer les espèces rares. 


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Dans le viseur de l’IA

Détecter automatiquement les poissons qui passent devant l’objectif : on se souvient notamment de la startup calédonienne VISIOON et de son logiciel Pictum, capable de détecter automatiquement la faune marine. Cette technologie était d’ailleurs présente à la journée Bluetech, organisée par la French Tech NC, en octobre dernier. 

Sébastien Villon, post-doctorant en intelligence artificielle appliquée aux écosystèmes marins, a notamment expliqué lors de la table ronde, l’intérêt de ce type de technologie, qui s’adapte à tous les milieux. Il est efficace pour les petits individus difficiles à détecter. “La puissance de l’algorithme peut détecter une espèce dans le fond, sans caractéristique visuelles” ajoute-t-il. En clair, si un requin a juste pointé le bout de sa queue dans l’objectif, l’IA est quand même capable d’identifier correctement l’espèce. 

Mais cette technologie a quand même ses limites : du point de vue de l’algorithme, il connait tout ce qui existe. “Si un jour il voit une espèce qu’on n’a jamais vu à l’apprentissage, il va malgré tout essayer de la classer. Il ne préviendra jamais l’utilisateur qu’il y a une espèce qui est potentiellement nouvelle, ce qui serait une grosse perte d’un point de vue écologique.” Alors l’IA ? C’est quoi ce travail ?

l'intelligence artificielle
Concentration maximale dans l’assemblée… © NeoTech

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