C’est un homme vacciné au bras douloureux que NeoTech a eu le plaisir de rencontrer au siège de la BCI. Volubile et surtout passionné par son métier, Frédéric Reynaud a pris le temps de répondre à nos questions sur la digitalisation du secteur bancaire et celle de la BCI. Le banquier “globe-trotter” n’a éludé aucun sujet et s’est confié sur les dernières innovations de la principale institution bancaire du territoire.

Introduction vidéo de Frédéric Reynaud himself ©BCI

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Bonjour M. Reynaud, vous êtes l’actuel DG de la BCI mais également un « banquier globe-trotter » avec, entre autres, des passages en Afrique et à Fidji. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces déplacements réguliers aux quatre coins du globe ?

Bonjour NeoTech et bonjour à tous vos lecteurs. Ce qui m’intéresse principalement, ce sont les opportunités de découvrir d’autres cultures et d’autres façons de faire la banque. J’avais déjà un background de banquier européen confirmé et j’ai voulu aller voir ce qu’il se passait ailleurs ; d’abord en Afrique où, malgré le « choc » à l’arrivée, j’ai redécouvert le rôle fondamental de la banque dans le développement d’un pays au niveau du financement de son économie

A Fidji, le challenge était différent : la banque avait été créée une année auparavant et ne prenait pas la direction souhaitée ; aussi, il m’a fallu quasiment créer une banque « de toute pièce » : c’était une belle opportunité offerte par le Groupe Bred ! Je suis resté quatre ans là-bas et lors de mon départ, la banque était finalement rentable et bien implantée sur son marché. En dehors de cet aspect financier, il fallait développer une banque européenne au milieu du Pacifique, dans un environnement anglo-saxon, face à des banques australiennes, indiennes ou de Papouasie… Ce qui m’intéresse c’est donc le challenge mais aussi la remise en question permanente liée à ces changements de paradigme : repartir à zéro et apprendre en permanence sont des moteurs. 

Ici, le contexte est également très intéressant car c’est un moment historique pour le territoire ce qui génère beaucoup d’incertitudes mais également pas mal d’opportunités ! La BCI est la première banque de Calédonie, financeur de l’économie locale, installée depuis plus de trente ans comme un acteur majeur, supporté par un actionnaire majoritaire – la Nouvelle-Calédonie –, et par un actionnaire bancaire –  la BRED. De plus, l’évolution de l’organisation d’une banque en temps de crise sanitaire est une expérience intéressante, même si nous aurions pu nous en passer…  

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Quelle est la relation de la BCI au territoire ? 

Tout est fait localement ! C’est la seule banque du territoire où l’IT, l’innovation, la R&D sont faites sur le territoire. La banque est régulée directement par l’ACPR (le régulateur métropolitain) et nous sommes globalement autonomes, avec des décisions prises localement, ce qui nous confère plus d’agilité. De plus, nous bénéficions de l’appui de notre actionnaire de référence : le Groupe BRED. Cela nous permet d’avoir aussi un « temps d’avance ».

Dans notre plan stratégique “CAP 22”, nos valeurs sont « Confiance, Agilité, Proximité ». Maintenir la « Confiance » qui a été créée avec la population après plus de trente années d’existence, la « Proximité » parce que nous avons des agences sur tout le territoire et sommes les seuls à être présent sur les iles Loyautés ou encore à l’Île-des-Pins et l’« Agilité » car nous disposons de ce pouvoir décisionnel local qui nous offre la possibilité d’explorer toutes les pistes adaptées à la Calédonie.  

BCI Frédéric Reynaud
La BCI, partenaire des Calédoniens depuis plus de 30 ans ©BCI

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Quelle serait votre définition d’une « smart bank » et en quoi la BCI tente-t-elle de s’approcher de ce concept ? 

« L’informatique et les process » est l’un des trois piliers de notre plan stratégique avec « l’humain » et, bien évidemment, « le client ». Ce premier pilier transversal concerne la digitalisation des process, la transformation d’un mode de fonctionnement traditionnel à un mode plus moderne qui est d’ailleurs toujours en cours car le chemin est long. Par exemple, l’année dernière nous avons migré nos applications internet et mobile vers de nouveaux outils « up-to-date » : nous disposons désormais d’un socle numérique évolutif

Côté process, beaucoup de choses ont été développées en interne ; ce qui fait notre force, ce sont nos équipes métiers qui permettent de développer de l’agilité sur tous les sujets de la banque ; à titre d’exemple, nous avons lancé des « Prêts Conso Grande Vitesse » pour l’octroi des crédits de consommation pour lesquels un workflow spécifique « agence – back office » a été mis en place avec des validations sous 24h et un déblocage des fonds dans la semaine. 

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Mais alors, pourquoi avons-nous toujours deux applications pour accéder à notre compte bancaire ? 

Certes, ce sujet est un axe de progrès dans le cadre de notre parcours client. Historiquement, deux applications coexistaient car nous avons une première application d’authentification « BCI Pass / DigiPass » pour la gestion sécurisée des accès et une seconde qui est le site « BCI Net ». 

Ce système informatique, même s’il peut être perçu comme contraignant, garantit une grande sécurité des connexions ce qui nous a prémuni contre nombre de problématiques. Il protège très efficacement nos clients des tentatives de fraude. Ces sujets de risques opérationnels sont aujourd’hui au cœur des problématiques bancaires partout dans le monde. Néanmoins, nous travaillons à la fluidification de ces accès à travers un rapprochement des deux applications. 

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En quoi l’univers de la banque et, plus globalement de la finance, a été impacté par le numérique et la technologie ?

La banque, c’est avant tout de l’humain et du système d’information ! Ce dernier gère tous nos financements, les dépôts, les transactions des clients… Notre savoir-faire se traduit dans notre SI ! Depuis plus de vingt-cinq ans que j’y travaille, la banque a été un secteur en constante transformation : il y a toujours eu une appropriation de la technologie pour aller plus loin dans le traitement de l’information. 

Je dirais que la révolution technologique est permanente. Le secteur bancaire n’est pas toujours en avance car nous avons besoin de nous assurer de la sécurité des solutions technologiques qui sont évaluées, éprouvées, avant d’être potentiellement adoptées, puis intégrées. En revanche, par exemple, les plus grosses salles blanches que j’ai pu découvrir étaient celles des banques ! Nous sommes obligés d’évoluer en permanence pour nous adapter à des volumes de transactions exponentiels : données cartes bancaires, paiements mobiles… Heureusement, les évolutions technologiques sont là pour nous aider.

Par ailleurs, dans la banque, lorsqu’on touche à un projet, les conséquences sont transversales car ils sont souvent très techniques et bien plus complexes qu’on ne le pense, notamment au regard de la quantité de réglementations auxquelles nous sommes soumis. 

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L’utilisation de l’intelligence artificielle dans le secteur bancaire a été et est toujours un facteur d’optimisation et de productivité. Utilisez-vous ces technologies à la BCI ? 

Depuis quelques années, nous avons développé une fonction de « data science » et nous avons sans doute été les premiers à le faire sur le territoire. Nous disposons d’une quantité colossale de données, une véritable mine d’or ! L’IA est donc utilisée depuis un certain temps pour analyser, traiter ces données et pour assister les banquiers dans leur activité. Tout ce qu’on fait aujourd’hui sur le sujet « data » tourne autour de l’IA : comment utiliser les données dont nous disposons pour servir au mieux nos clients et trouver des solutions en étant proactifs ? 

L’IA est donc un outil utile mais elle ne remplacera jamais l’humain : quand vous allez dans une agence pour parler de votre projet de vie, je ne suis pas certain que vous soyez prêts à échanger avec un robot qui vous dira « oui ou non » ou qui vous donnera un taux sans réfléchir ! Les clients ont besoin d’humain, de conseils et l’IA reste un outil d’aide à la décision, pas une solution définitive.

Les conseillers bancaires ont une marge de manœuvre pour prendre une décision ! L’IA leur donnera simplement plus d’informations pour prendre la décision la plus éclairée et adaptée possible. Ils seront ainsi « augmentés » dans leurs compétences et leur faculté de conseil !  

BCI Frédéric Reynaud
Une studieuse réunion d’équipe… ©BCI

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Quelles illustrations concrètes pouvez-vous partager avec nous ?

Nos « data scientists » sont ici depuis plusieurs années : on fournit beaucoup de données et d’information aux différentes agences. D’autres projets sont en cours pour structurer ces informations, affiner les algorithmes qui permettront d’anticiper encore plus. C’est peut-être ça la suite : anticiper sur les besoins de nos clients ! 

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La BCI est le sponsor de nombreux événements sportifs locaux. En quoi consiste cet engagement ? En parallèle, comment soutenez-vous les porteurs de projets innovants et/ou numériques ?

C’est très important pour nous ! D’une manière générale, la responsabilité sociétale et environnementale de l’entreprise, inscrite dans la stratégie “CAP 22”, englobe tout : toutes nos actions doivent porter le sceau de cette logique RSE et c’est un vecteur commun à toutes nos équipes. C’est dans ce cadre que nous intégrons le sponsoring et le mécénat d’événements sportifs par exemple. Nous essayons de supporter des événements qui ont du sens et un ancrage local fort. 

Sur les projets innovants, nous sommes la seule entreprise à sponsoriser le e-sport : nous lançons d’ailleurs une deuxième ligue « BCI Fortnite » par exemple. Un tournoi annuel, avec un événement final et des cadeaux à gagner : les jeunes en raffolent ! 

Le e-sport, un sponsoring payant pour la ©BCI

Autre exemple, à travers le mécénat, nous avons soutenu un projet qui s’appelle « Immersion au cœur du lagon » porté par une entreprise qui cartographie à 360° les fonds sous-marins du lagon. Grâce à un partenariat avec Google, on peut ainsi cliquer sur une zone marine du lagon et découvrir les fonds sous-marins sur le même principe que Google Street View. Ce projet comporte également une vocation éducative avec une tournée dans les écoles mais aussi une vocation de préservation de l’environnement et du patrimoine naturel calédonien. 

Vous avez dû voir également, nous lançons actuellement une mini-série de 10 épisodes sur un sujet lié au lagon avec « BCI Media » : un épisode sur la tortue, un autre sur le tricot rayé, sur le dugong ou encore sur les requins… C’est une production « BCI Media » en collaboration avec « Immersion lagon » qui nous fournit les images. Nous avions fait la même chose avec « Coup d’Brousse » qui mettait en valeur le tourisme calédonien en brousse. 

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Quelle est votre opinion sur la récente crise financière des crypto-monnaies ? Ces monnaies numériques et la technologie « blockchain » associée représentent-elles une menace pour les « banques traditionnelles » et, si oui, pourquoi ?

Ces monnaies sont de purs outils de spéculation et par construction, leurs cours montent et descendent violemment et cela peut paraître « tentant » pour certains. A mon sens, à ce stade, ce phénomène reste limité car très peu d’organisations acceptent et accepteront les règlements en crypto-monnaies. On voit même que certains acteurs importants, comme Tesla, reviennent en arrière… Je ne suis donc pas surpris par ces mini-krachs. Il ne faut pas oublier que pour qu’elle soit utilisée, on doit avoir confiance dans la monnaie.  

Ce sont des produits très risqués et très volatiles, parfois peu régulés, donc j’invite à la plus grande prudence sur ce type de « placement ». Pour moi, ce système va se structurer et, à l’instar des néo-banques, il va devoir suivre une forme de réglementation et de régulation. De plus, les monnaies sont encore fortes : avant de remplacer le Dollar ou l’Euro, il va falloir du temps ! 

En revanche, le blockchain est une technologie captivante ! Elle a de nombreuses applications que nous étudions actuellement. 

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Le terme « FinTech » est sur toutes les lèvres depuis quelques années ; quelles sont les illustrations notables en matière de « finance technologique » que vous pourriez partager avec nous ?

Pour moi, la « FinTech » n’a rien de nouveau : de nombreuses entreprises innovent dans le secteur de la banque et de la finance depuis bien longtemps ! Il y a eu un essor ces dernières années avec des avancées notables, notamment en matière de monétique et de moyens de paiement – mobile, sans contact, à distance, sur internet… : la capacité de payer a progressé de manière exponentielle et a vite été adoptée par le grand public. En Afrique, dans les années 2010, j’avais mis en place un système de paiement mobile : six mois plus tard, un million de clients l’utilisaient ! 

Les « FinTech » ont joué un rôle d’accélérateurs et de challengers pour le secteur bancaire mais, si on schématise, elles sont souvent rachetées par des banques ou finissent simplement par disparaître… Les « FinTech » fonctionnent finalement comme des laboratoires de R&D pour les banques. L’innovation se trouve souvent dans la simplicité, la rapidité, l’instantanéité d’utilisation : c’est la direction vers laquelle les banques se dirigent. 

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Quelle est la politique de la BCI en matière de données, notamment sur les données personnelles ? 

Nous sommes « RGPD compliant » et la sécurité, au sens large, est fondamentale ! Nos données sont également protégées par le secret bancaire et nous les utilisons uniquement pour notre propre usage. On ne revendra jamais de données, même anonymisées : elles sont traitées au sein de la banque mais ne seront jamais vendues à d’autres acteurs !

Dans ce domaine, nous avons des ressources dédiées et des moyens alloués : un « data protection officer », des comités de traitement, nous anonymisons toutes les données liées aux cartes bancaires… La sécurité des données est un sujet fondamental pour la banque et encore plus pour la BCI. 

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Question futuriste : demain, est-ce que nous retirerons toujours des billets de banque ? 

Dans les années 80, on disait que le chèque allait disparaître d’ici deux ans ! Pourtant, en 2021, il est toujours là… On parle de « temps longs » : peut-être qu’un jour il n’y aura plus de billets de banque mais, en attendant, si vous voulez aller faire un mariage à Lifou, ce sera compliqué sans billets !

Cela n’empêche pas l’augmentation des paiements digitaux à travers le mobile, les cartes digitalisées, les cartes virtuelles utilisables une seule fois… mais pour l’instant, il y a toujours des transactions en cash.

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En quoi la BCI est-elle un précieux outil pour faciliter le développement numérique du territoire ?

A notre niveau, on participe à tout ce qui touche au numérique sur le territoire : salons, événements, conférences, initiatives privées et publiques, on y sera présent ! L’exemple d’une récente conférence à la BCIEric Wiard (Directeur Général Délégué) était présent le confirme. En essayant d’injecter de l’énergie dans tous ces projets, nous avons notre rôle à jouer. Le numérique est un vecteur de développement et d’amélioration de la compréhension du secteur bancaire ce qui permet de sécuriser les gens, de leur apprendre à ne plus cacher leur argent « sous leur matelas », comme on dit ! Plus globalement, nous avons une présence élargie dans la région ce qui nous permet de participer globalement au développement numérique du Pacifique. 

D’autre part, toutes les banques font partie de la « Calédonienne de Services de Banque » (CSB) qui gère la partie monétique de la place : Terminaux de paiements (TPE), Distributeurs Automatique de Billets (DAB), Chèques… Nous avons mis en commun ces moyens pour améliorer la maturité numérique du secteur. Nous sommes tous passés au NFC d’un seul coup par exemple… En donnant du temps et de l’argent sur les bons projets, nous participons au développement numérique du territoire.  

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Quelles sont, selon vous, les prochaines innovations technologiques qui vont transformer le système bancaire en profondeur ?  

Je peux vous donner quelques tendances : actuellement, il y a une petite révolution sur la cybersécurité. Tout ce qui va toucher aux moyens d’authentification va être une source d’innovation : on voit déjà des cartes bancaires biométriques ou des cartes avec un CVV (code au dos de la CB) qui change… 

Je crois également que la tendance du « temps réel » va se développer : je reçois de l’argent que je peux dépenser immédiatement ! La circulation des transactions sera beaucoup plus fluide, plus rapide jusqu’à atteindre l’instantanéité. 

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Un dernier mot pour nos lecteurs ? 

Au niveau RSE, je voulais aussi mentionner la création de la « Fondation BCI » pour l’égalité des chances qui va financer les études de talents calédoniens : il s’agit d’études d’excellence de jeunes Calédoniens qui n’en ont pas forcément les moyens. Nous souhaitons développer l’éducation des jeunes Calédoniens avec un engagement de retour en Calédonie dans les cinq ans après leurs études.

Et voici le jury de sélection des profils ©BCI

Actuellement, nous prévoyons de financer trois étudiants par an. L’association des « Talents Calédoniens », avec qui nous collaborons, essaie d’attirer les talents à la fin de leurs études alors que nous nous positionnons à leur départ, à travers la formation. C’est capital pour ces talents comme pour le territoire, car nous manquons localement cruellement de certaines compétences notamment dans le secteur bancaire qui nécessite beaucoup de technicité… Pour en savoir plus, vous pouvez consulter notre site : www.fondationbci.nc.

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