« Les plus gros freins auxquels nous faisons face en Province Nord, c’est le réseau et le débit. La fracture numérique est visible. La Province tente de répondre à ces problèmes en modernisant et en adaptant ses services aux populations ». Vous l’aurez compris, il n’y a pas de problème mais que des solutions ! C’est en tout cas ce que nous retirons de notre rencontre avec Lusia Rousseau, la Directrice du pôle des Systèmes d’Information à la Province Nord.
Lusia nous a chaleureusement accueillis dans la salle de réunion de la DSI. Heureux de se rencontrer enfin, cette entrevue a été l’occasion de discuter de transformation numérique en Province Nord mais aussi des liens qui unissent les DSI des trois Provinces. Optimiste quant à la modernisation des infrastructures techniques, la fracture numérique est loin d’être une fatalité pour cette femme engagée !
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Bonjour Lusia et bienvenue sur NeoTech ! On est de visite en Province Nord et on ne pouvait pas manquer sa DSI… Peux-tu partager le parcours professionnel qui t’a amenée jusqu’à cette fonction ?
Bonjour NeoTech et bienvenue sur les terres du Grand Nord ! Je travaille à la Province depuis 2006. J’ai eu un parcours assez classique : après avoir obtenu un BTS informatique de gestion, j’ai intégré une société de services à Nouméa comme analyste-programmeur. Au bout de trois ans et fortement encouragée par les collègues, j’ai repris les études.
J’ai ainsi obtenu un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en méthodes informatiques appliquées à la gestion des entreprises (MIAGE) à Lille. Je suis restée quelques années en métropole avant de revenir au pays. Peu de temps après mon retour, j’ai intégré l’équipe DSI de la Province Nord. De fil en aiguille, je suis passée de cheffe de projets à cheffe de service infrastructures, puis directrice en 2015. Je pratique l’informatique depuis maintenant vingt-huit ans ! Aïe, ça fait mal de compter…
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Quelles sont les principales missions de la DSI de la Province Nord ?
Nous nous occupons principalement du parc informatique de la Province Nord. Ce parc comprend tous les réseaux, systèmes et serveurs. Il y a environ trois mille éléments actifs au niveau des outils et infrastructures qui concernent environ deux mille personnes dont mille deux cents agents provinciaux.
Nous travaillons aussi avec les écoles et l’établissement en charge du placement des demandeurs d’emploi au niveau de la Province. Contrairement à la Province Sud, l’exécutif a fait le choix d’externaliser cette fonction et de ne pas le traiter au sein d’une direction provinciale.
Quotidiennement, nous sommes donc amenés à gérer ce parc ainsi que ses évolutions : le champ des missions est très vaste, les membres de l’équipe peuvent travailler sur des travaux d’aménagement, ou encore sur la rédaction d’un cahier des charges ou de l’animation de réunion, etc. Depuis l’année dernière, la DSI a récupéré la communication de la Province Nord !
Mon métier est de faire du management stratégique : ce n’est pas gérer directement les équipes mais plutôt de poser des lignes conductrices à moyen et long termes – entre trois et cinq ans. Mon rôle est de m’assurer que nous sommes toujours en phase vis-à-vis de ces objectifs. Ce sont les chefs de service qui font le management direct.
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Quels sont les grands projets sur lesquels tu travailles aujourd’hui ?
Actuellement, le plus gros chantier est celui de l’intégration de la communication au sein du pôle. Ce choix a été fait par l’exécutif l’année dernière et depuis janvier l’équipe « com’ » est intégrée au sein de la DSI.
Ce choix semble surprenant ; pourtant, certaines missions se rapprochent de la gestion informatique. Il y a beaucoup de gestion de projets, de relations presse, de relations médias, de gestion de partenaires… Dans les supports techniques, que ce soit le numérique ou le digital, les équipes ‘historiques’ de la DSI sont loin d’être perdues. En revanche, là où le changement est assez radical, c’est au niveau des effectifs. Durant des années, il n’y avait qu’une personne qui gérait la communication comme elle pouvait ! Aujourd’hui, c’est une équipe de six personnes, plutôt orientée SI.
L’un des autres gros projets sur lesquels la DSI travaille concerne l’infrastructure pure de la Province. Notre data center a neuf ans et ses éléments doivent être renouvelés. Nous avons aussi des projets de migration de notre Sharepoint et de développement applicatif.
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Quel regard portes-tu sur la transformation numérique de la Province Nord et de son tissu économique ?
Dès la mandature de 2004, la Province s’est dotée d’une politique publique de modernisation de l’administration. Très concrètement, quand il y a une volonté politique, il y a une affectation de moyens. Humains d’une part ; financiers d’autre part. Nous en sommes la preuve : quand je suis arrivée, nous étions une équipe de six personnes. Aujourd’hui, nous sommes trente-trois ! Le budget a été multiplié par cent et surtout, il y a une vraie volonté de gouvernance centralisée avec notre direction provinciale.
La transition numérique a été vue par la collectivité non comme un moyen de mettre un ordinateur dans les mains de tout le monde mais comme un remodelage et une modification de la manière de faire. Nous sommes toujours dans cette démarche, la transition ne se fait pas en trois jours. Et nous avançons dans la bonne direction !
En revanche, au niveau du tissu économique, je dirais que nous n’avons pas vraiment avancé. Faire venir des opérateurs dans le Nord est une tâche complexe ! Je comprends que ce soit difficile de s’implanter pour une entreprise, le marché n’est pas le même que dans le Sud en matière de portefeuille de clients. Nous avons beaucoup avancé au niveau matériel informatique mais quand il s’agit d’ingénierie technique, d’assistance ou de conseil, il n’y a plus grand monde. Je ne parle même pas de la différence de la zone VKPP – Voh, Koné, Pouembout, Poya – avec le reste de la Province Nord. Il y a une fracture entre nos territoires.
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Dans un épisode de notre podcast, « L’Heure du Boss » qui lui était consacré, Denis Loche, ton ancien alter ego de la Province Sud, nous a recommandé de venir échanger avec toi. Quelles sont les relations entre les DSI des trois Provinces ?
Il y a beaucoup d’échanges et de retours d’expérience entre les trois Provinces ! C’est beaucoup lié aux personnes : nous nous entendions très bien avec Denis, c’est quelqu’un qui va beaucoup chercher les gens. Les DSI de la Province des Îles, Sémi Taofifenua hier et Taine Wacapo aujourd’hui, sont toujours très à l’écoute aussi. Avec Sébastien Gueunier, le successeur de Denis, tout se passe bien et nous avons la même vision.
De plus, nous sommes tous membres du « Club DSI » qui rassemble tous les DSI du territoire, privés et publics. Une fois par mois, nous nous rencontrons pour échanger sur nos sujets. Il y a des choses pertinentes qui sortent de ce club comme le fait d’avoir accompagné l’UNC dans la proposition d’une nouvelle formation dans le domaine informatique. Nous sommes tous conscients qu’ensemble nous irions plus loin dans nos sujets. Dans notre contexte insulaire, il n’y a aucun intérêt à travailler seul.
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Avez-vous des projets de collaboration tripartite entre DSI ? Si oui, lesquels ? Si non, pourquoi ?
Bizarrement, nous n’avons pas de projet commun. Bien que nous ayons souvent la même vision, les mêmes opérateurs et les mêmes objectifs, l’exécutif ne prend pas toujours la même voie. Nous initions des projets à trois mais nos Provinces respectives agissent aussi en fonction de leurs problématiques territoriales. Dans tous les cas, les liens entre les trois DSI restent très forts. Je ne perds pas espoir de futurs projets de collaboration sur le long terme !
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Quels sont les freins technologiques et numériques qui ralentissent aujourd’hui la transformation numérique de la Province Nord ?
Je ne sais pas s’il y a besoin de le rappeler mais le plus gros frein auquel nous faisons face en Province Nord est le réseau, le débit. Nous sommes vraiment dépendants de ça. Il suffit qu’il y ait un mauvais coup de pelleteuse à la Foa et ça devient la panique dans le Nord… L’infrastructure réseau ne suit pas. Je pense que le modèle économique de l’OPT n’est pas encore assez moderne pour absorber les besoins de la Nouvelle-Calédonie.
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En Nouvelle-Calédonie, on entend souvent parler de cette « fracture numérique » ; pourrais-tu nous expliquer ce que ça signifie concrètement et les solutions que vous mettez en place pour la réduire au maximum ?
L’exemple assez parlant pour décrire cette fracture numérique est le cas des tableaux blancs interactifs (TBI). La Province a doté une centaine d’écoles de TBI à partir de 2013. Pourtant, quand on écoute les principaux concernés, ces TBI sont très loin de répondre à leurs besoins quotidiens. Beaucoup d’enfants n’ont pas d’outil numérique chez eux, l’usage de ces tableaux connectés est un peu « hors sol ». Je dirais que le numérique prend un caractère clivant quand il favorise un décalage entre deux populations.
Dans le Nord, la fracture est visible : il y a des zones qui ne captent même pas la 3G ! Rien ne sert de promouvoir l’usage du numérique si les infrastructures techniques ne suivent pas. Il y a un dispensaire et un internat où il n’y a même pas d’accès au réseau Mobilis… Ce constat représente, à mon sens, la fracture numérique en Calédonie. La Province tente de répondre à ce problème en modernisant et surtout en adaptant ses services aux populations. Si les inscriptions à l’école sont proposées sous forme dématérialisée, elles le sont aussi sur papier. Nous favorisons tous les canaux pour assurer l’égalité entre tous.
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Comment est organisé le soutien de la Province Nord aux entrepreneurs et aux associations du numérique ?
Ce n’est pas fléché « numérique » en Province Nord, bien que nous travaillions avec le pôle innovation de l’ ADECAL. Nous sommes plus dans une démarche d’aide au développement économique donc c’est plus du soutien aux entreprises. Il n’y a pas d’aide spécialement pour le numérique mais plutôt des dispositifs financiers d’accompagnement et de développement.
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Un dernier mot ou une dernière actualité pour nos lecteurs ?
Pas d’actualité mais un appel aux talents ! Ma première problématique aujourd’hui est de trouver des candidats. Le vivier n’est pas assez fourni malgré l’essor des formations sur le territoire. J’aimerais bien trouver des techniciens ! Le territoire a besoin d’une vraie vision à long terme sur ce point. Donc formons nos futurs talents !
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