C’est au sein des locaux de la Direction de la Culture qu’Élodie Lalenet nous accueille ; au mur, une jolie peinture issue du « fonds d’art » de la ville surplombe un poste d’ordinateur apparemment récalcitrant. L’essentiel est ailleurs puisque la Ville de Nouméa s’attache désormais à co-construire son offre culturelle avec le public en y intégrant des outils numériques et autres nouvelles technologies. L’occasion de faire le point sur cette « digitalisation » de la culture locale et sur les inspirations de la chef du service « Conservation et Valorisation du Patrimoine » de la Ville de Nouméa.
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Bonjour Élodie et bienvenue sur NeoTech ! Petite question pour commencer : est-ce que « culture » rime avec « numérique » en Nouvelle-Calédonie ?
A l’oreille, ça ne rime pas vraiment ! En revanche, on peut facilement faire rimer « digitalisation » et « démocratisation » : ce qui n’est pas accessible physiquement à tout le monde – expositions, événements etc. – est rendu accessible à tous les publics grâce au numérique qui permet, de plus, d’intégrer un aspect ludique.
D’autre part, dans le cas des visites virtuelles, le spectateur peut rester plus longtemps à observer une œuvre, sans être interrompu par d’autres personnes ; en parallèle, la Ville de Nouméa a également développé des jeux et autres applications sur tablettes adressées à un public jeune afin de faire venir le musée directement vers eux.
Autre aspect utile, nos médiathèques en ligne qui mettent à disposition de tous les publics, non seulement des bibliothèques et de la presse en ligne mais également des formations en ligne, au format MOOC, certifiantes ou pas, qui permettent d’appréhender un sujet – permis de conduire, activités sportives, Excel, montage vidéo, instruments… – et de se former aux bases d’une discipline ou d’une activité.
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Comment est structurée la Direction de la Culture de la Ville de Nouméa à laquelle tu appartiens ?
En ce qui concerne plus particulièrement la Direction de la Culture, nous disposons de trois services de terrain ; le mien, celui de la « Conservation et valorisation du patrimoine » qui a pour mission principale la gestion des fonds muséaux, des archives, des fonds documentaires : nous représentons le côté « scientifique de la culture ».
Deuxième service, celui de la « Médiation Culturelle » qui se pose la question de comment mettre la « culture » à la portée des publics et de quelle « culture » en particulier pour quels publics.
Et il y a toute la partie « événementielle » – carnavals, feux d’artifice, fête de la musique… – qui est directement gérée par le service « Animation et Rayonnement de la Ville ».
L’objectif, c’est que nos trois services se saisissent des outils numériques pour en valoriser le patrimoine, pour gérer les collections ou encore pour créer des liens directs avec les publics.
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Quelle est la stratégie de la Ville de Nouméa en matière d’accès à la culture via le numérique ?
A l’origine, le secteur de la culture repose sur une « politique de l’offre », assez verticale, qui part de l’idée des techniciens pour redescendre vers les publics ; de notre côté, nous tentons de prendre le contrepied de cette politique en essayant d’inclure le public en amont dès le départ. Ces deux logiques répondent finalement à deux questions différentes mais très complémentaires : sur quel contenu va-t-on travailler et comment est-ce qu’on traite ledit contenu ?
Notre politique de la Ville repose sur une ambition plus générale : « Nouméa, une ville connectée ». Dans cette optique, de nombreux « e-services » sont actuellement déjà en ligne ou en cours de développement : RDV en ligne pour les démarches liées au passeport, payer son horodateur en ligne, s’inscrire aux ateliers, acheter ses places de spectacle en ligne etc.
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As-tu des exemples concrets d’applications du numérique dans la valorisation du patrimoine à nous présenter ?
Bien sûr ! Je peux vous parler des visites virtuelles par exemple ; l’exposition sur « Nouméa 1900 » qui a été démontée depuis est toujours accessible en ligne avec les audio-guides, les descriptions interactives, les supports multimédias.
Le Musée de la Seconde Guerre Mondiale a été réellement pensé autour des nouvelles technologies ; lui aussi dispose d’une visite virtuelle mais également d’autres solutions numériques… Dès l’entrée, le visiteur est accueilli par des hologrammes en 3D, des tablettes avec le jeu « Mésaventures de guerre » où le jeune public va pouvoir se mettre dans la peau d’un personnage de l’époque ; de plus, nous avons également développé une application interactive qui permet d’observer des objets sous toutes les coutures et de bénéficier d’explications plus complètes.
Je peux également évoquer l’exposition à 360° « Passion de collectionneurs » que j’affectionne tout particulièrement et qui était organisée à la Maison Higginson : une véritable histoire descriptive du Pacifique dans les années 1800. Les collections privées ont rejoint les collections de la Ville de Nouméa, notre « fonds d’art », permettant ainsi au grand public d’accéder à ces œuvres invisibles d’habitude. Lors de cette exposition, des danseurs de Richard Digoué sont venus créer un dialogue avec certains tableaux : le personnage du danseur peut ainsi apparaître pendant la visite virtuelle et l’on peut observer son échange avec le tableau en question. Une belle exposition !
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Les nouvelles technologies sont également des outils pertinents pour valoriser le patrimoine culturel de la ville ; quelles sont celles que vous avez déjà testées et celles que vous souhaiteriez introduire ?
Visites virtuelles dont j’ai déjà assez parlé mais aussi des casques de réalité virtuelle, notamment au Musée de la Seconde Guerre mondiale, qui permettent d’entrer dans le décor d’une maison japonaise au moment où la bombe tombe sur Hiroshima. A terme, nous comptons intégrer toutes ces visites virtuelles dans des casques de VR afin de les amener directement chez le public, dans nos quartiers.
Je peux également mentionner toutes les plateformes de formations, de bibliothèques ou de presse en ligne, et la magnifique carte des contes océaniens, un projet réalisé en partenariat avec l’Académie des Langues Kanak (ALK), qui valorise le patrimoine immatériel océanien à travers une cartographie interactive et localisée des contes en fonction des langues et des territoires. Grâce à nos échanges avec les territoires voisins, nous pouvons enrichir cette carte régulièrement avec de nouveaux contes issus de tout le Pacifique.
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En quoi la révolution numérique a-t-elle modifié les usages culturels en Calédonie et, plus généralement, à travers le monde ?
La Calédonie fait partie de ce « village numérique mondial » et est donc concernée par les mêmes constats ; à mon sens, la culture est aujourd’hui bien plus accessible aux jeunes et moins jeunes : la musique fait partie du quotidien, les films et vidéos également… L’idée, c’est de savoir comment, nous, en tant que « techniciens de la culture dite classique », on va s’approprier ces outils pour développer la curiosité d’un plus large public.
Quant à nos usages internes, eux aussi ont bien évolué ! Logiciels de gestion de réservation, des prêts d’ouvrages, bases de données autour des collections des musées qui seront bientôt mises en ligne à disposition du public. Bref, la transformation numérique de la culture nous concerne plus que jamais !
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Quelles sont les dernières nouveautés en matière de culture numérique qui t’ont marquée au cours des dernières années ?
Mon premier souvenir, très marquant, remonte à l’enfance ; j’avais 10 ans à l’époque et je m’étais procurée un CDrom sur Van Gogh : je pouvais accéder à toute sa vie à travers ses tableaux via cet outil numérique ! C’était le premier pas vers les visites virtuelles dont je suis aujourd’hui coutumière : Louvre, MoMA, seule, sans personne en train de faire des selfies, cette manière de visiter des musées est bien complémentaire avec une visite sur site.
Je me souviens également d’une vidéo que j’avais vue dans un aéroport avec un petit Cupidon qui rentrait dans des tableaux de maîtres ; j’ai trouvé ça vraiment intéressant car l’œuvre était exposée dans un endroit inhabituel, sur un support novateur, une sorte de mapping, qui captait une audience passagère, à l’instar des arts de rue par exemple… L’effet « Wahou », l’humour et la pertinence du scénario avait vraiment retenu ma curiosité.
Quant à notre ville, je rêve d’un outil technologique culturel participatif qui permettrait d’être en contact constant avec le public et qui pourrait intégrer des anecdotes sur le patrimoine, des photographies d’époque, des vidéos, des contes traditionnels, des témoignages oraux en langue… bref, une sorte de Google Street interactif que tout le monde pourrait s’approprier pour diffuser « sa » culture.
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En quoi les réseaux sociaux sont-ils désormais un formidable vecteur d’accès à la culture et au patrimoine des villes ?
Les réseaux sociaux sont une sorte de campagne de communication gratuite et accessible à tout un chacun ; tout le monde peut s’exprimer et partager avec son cercle proche. On avait collaboré avec les élèves de Cluny pour les faire travailler sur des portraits d’eux qu’ils devaient retoucher avec des filtres numériques.
Nous avons ensuite organisé des ateliers avec les élèves puis avons ensuite exposé leur travail à la Maison Higginson. L’effet boule de neige a fait la suite : les élèves se sont taggués, ont taggué leurs amis et famille qui ont relayé l’exposition… Voilà un exemple pertinent de l’utilisation des réseaux sociaux comme levier d’amplification d’un événement culturel.
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Vous avez récemment organisé plusieurs tables-rondes de réflexion et d’idéation autour de la problématique « Rayonnement de la ville et patrimoines » dont l’une était plutôt orientée sur le tourisme culturel et numérique. Quelles ont été les conclusions de ces échanges ?
Effectivement, nous avons récemment organisé trois ateliers et votre fondateur, Guillaume Terrien, a d’ailleurs participé à l’une d’entre elles : « Tourisme et rayonnement ». La deuxième table-ronde a réfléchi sur la thématique « Les patrimoines au service du citoyen ». La dernière réunissait les professionnels du patrimoine pour parler de conservation et de numérique, notamment autour des bases de données des différents acteurs du secteur culturel calédonien.
Une expérience très intéressante car, peu importe les publics, les mêmes idées principales sont ressorties de ces échanges ; lier la culture à d’autres aspects plus populaires de la culture – musique, culinaire… – tout en « teasant » autour des événements grâce à des jeux-concours et des cadeaux en amont et en intégrant des groupes de publics présélectionnés dans leur conception. L’idée qui émerge en filigrane, c’est la co-construction de l’offre culturelle et c’est vers cet objectif que nous nous tournons désormais.
La première illustration de cette co-construction sortira pour le « Mois du Patrimoine » avec un jeu de piste connecté à travers la ville : grâce à une application, le public pourra se déplacer à travers différents points remarquables géolocalisés de la Ville et accéder à des informations sur les structures, monuments ou mêmes des anecdotes historiques des lieux où ils se promèneront. De quoi « enrichir » nos promenades quotidiennes car il faut se servir des pratiques déjà existantes de nos concitoyens.
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Et pour terminer : quel est ton bâtiment préféré à Nouméa ? Quel est ton évènement favori ? Quelle a été ton exposition préférée ? Quelle a été l’innovation « culturelle » la plus intéressante selon toi ?
La place de la Paix et sa magnifique statue « Lafleur / Tjibaou », sans aucun doute ! C’est très personnel mais je trouve que le symbole est fort : sortir Olry de la place des Cocotiers pour le remplacer par une statue, à hauteur d’homme, qui va évoluer et se patiner avec le temps… C’est une preuve que la culture peut se mettre à la portée de tout le monde et évoquer des messages différents.
Mon événement préféré, c’est « Nouméa Fééries » car il intègre notamment un calendrier de l’avant avec les arts de rue auxquels je suis sensible ; j’adore être happée par un artiste alors que je me balade dans la rue ! D’ailleurs, en octobre prochain, un nouveau festival se rapprochera de ce format ! Et je ne me lasse toujours pas de la visite virtuelle de « Passion de Collectionneurs » avec l’intégration des danseurs…
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Un dernier conseil « culture » ?
Un truc très sympa et peu connu, l’application « Artivive » à la Maison Higginson : on prend son smartphone, on scanne le tableau qui devient alors vivant, grâce à l’intégration de la technologie « réalité augmentée » ; cela apporte une réelle plus-value à l’œuvre ainsi qu’un côté ludique qui retient la curiosité ! Allez tester, vous ne serez pas déçus !
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