La venue en Nouvelle-Calédonie des frère Attik, Rabah et Morad, fondateurs de la startup EdTech « Evolukid » a déclenché les passions mais aussi et surtout des vocations ! Des ateliers en tribu à Thio à ceux de Dumbéa, de leur passage a la DPJEJ et à Poya, à la semaine de formation dispensée à cent agents de la fonction publique à la Station N, les deux frangins ont fait souffler un vent de fraîcheur technologique sur le Caillou. Pas étonnant donc qu’ils se soient si bien sentis sur notre île, revigorés par un accueil chaleureux et des valeurs de respect et d’humilité qu’ils partagent et diffusent autour d’eux. Rencontre avec deux frangins qui ont fait de la transmission une raison d’être et de la technologie un outil pour l’avenir de nos jeunes.
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Bonjour Messieurs et bienvenue en Nouvelle-Calédonie et sur NeoTech ! Ravis de vous accueillir sur notre territoire ! Alors, première question pour ceux qui ne vous connaissent pas (encore) : qui êtes-vous ?
Rabah Attik : Bonjour à tous ! Je m’appelle Rabah, je suis ingénieur en robotique mais également le co-fondateur d’Evolukid, une aventure débutée il y a déjà près de six ans.
Morad Attik : Salut NeoTech, moi c’est Morad, le frère de Rabah ; j’ai débuté ma carrière en tant qu’éducateur spécialisé avant de devenir prof de maths puis co-fondateur de cette belle startup. Transmission et éducation, ce sont nos credos !
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Vous avez donc cofondé la startup Evolukid ; quelle est sa raison d’être et pourriez-vous partager avec nous son historique en quelques dates clés ?
Morad : nous avons lancé la startup en 2016 ; à l’époque, nous étions seulement trois startups qui avaient fait le pari de faire coder les enfants, une idée révolutionnaire pour l’époque… De fil en aiguille, ce petit projet éducatif a évolué vers la conception de projets plus globaux autour des nouvelles technologies au sens large du terme. Par exemple, nous avons conçu et rédigé des livres pour acculturer et rendre accessible ces fameuses nouvelles technologies…
Rabah : …oui, en fait, notre vision, c’est de transmettre les savoirs que nous avons acquis, permettre à des jeunes de les utiliser afin d’être compétitifs sur le marché du travail et d’être conscients des divers enjeux que représentent les nouvelles technologies. C’est cette vulgarisation qui est au cœur de nos projets et nous passionne : l’objectif c’est de transmettre cette passion aux nouvelles générations pour qu’ils soient équipés pour leur avenir.
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Morad, comment passe-t-on de prof de maths à « success startuper » ? Et toi Rabah, passionné par le numérique depuis tout petit ?
Morad : effectivement, lorsqu’on est professeur, l’univers de l’entrepreneuriat n’a rien d’intuitif ! En tant que prof, on est fonctionnaire, on a tendance à rester dans sa zone de confort et on n’a clairement pas le « mindset » d’entrepreneur ! Mais qu’importe, il fallait se lancer et je l’ai fait car, outre le quotidien d’entrepreneur, il existe une certaine cohérence sectorielle entre ces deux métiers : de l’Éducation Nationale aux EdTechs, la pédagogie reste au cœur du sujet et les notions de transmission et de vulgarisation sont capitales.
Par ailleurs, nos deux profils sont très complémentaires : je m’occupe principalement de la partie « éducation / pédagogie / animation » alors que Rabah est le guide de la famille, notre expert en intelligence artificielle et en Big Data. Finalement, Evolukid était une suite logique de mon parcours car je voulais réaliser des choses plus structurelles et structurantes que le cadre de l’Éducation Nationale ne me permettait pas d’envisager, avec pour objectif d’inclure tous les publics, jeunes et moins jeunes, et en particulier ceux qui sont éloignés du numérique.
Rabah : Au cours de ma carrière, j’ai compris que la fin de l’école, ce n’était pas le début du travail mais celui de la connaissance ! La perception traditionnelle que les jeunes ont, c’est « j’ai terminé l’école donc je vais chercher un travail » alors qu’en réalité, c’est à ce moment-là qu’on commence réellement à se former.
J’ai bossé une dizaine d’années avant d’être entrepreneur et je me suis toujours formé et ce, pour deux raisons : d’abord, parce que j’aime ça mais également parce que j’étais « forcé » à la faire ! En effet, le monde qui nous entoure change constamment, surtout d’un point de vue « technologique ». En prenant en compte ces facteurs et animé par mes passions de l’univers de la « tech » et par celle de la « transmission », il est devenu évident qu’il fallait se poser la question :
Comment permettre aux jeunes d’être compétitifs et de comprendre ces nouveaux enjeux ?
Sachant qu’en parallèle, il existe une réelle « crise de l’école » que ce soit au niveau de son fonctionnement global comme au niveau de sa faculté d’inclure tout le monde, j’en suis venu naturellement au projet Evolukid. En tant qu’ingénieur, j’ai dû acquérir des savoir-faire pour être polyvalent et, finalement, j’ai l’impression qu’aujourd’hui, le « savoir-être » et l’adaptation à tout genre de situation sont des caractéristiques capitales pour notre jeunesse… et c’est exactement ce qu’on essaie de transmettre avec notre startup et ses projets.
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Vos formations, en ligne ou en présentiel, sont désormais reconnues en métropole. Quelles formes prennent-elles et où comment faire pour y accéder ?
Morad : Parlons plutôt de projets globaux ; dans le domaine de la formation, on est habitué à une dualité et une verticalité entre un « formateur » et des « apprenants », une sorte de transvasement de connaissances. On vient, on s’assoit et le professeur diffuse ses connaissances dans des formats parfois rébarbatifs : power point, speech, exercices etc. Notre rôle, c’est de casser cette verticalité et de proposer des projets sous la forme de formations pratiques et ludiques et qui génèrent un résultat concret, comme l’exemple d’une prothèse de main qui est le résultat d’une formation à l’impression 3D.
Dans ce cas-là, on a effectivement distillé une formation technique mais elle a été secondée par un travail manuel, une compréhension du fonctionnement du corps humain. Par la suite, nous avons collaboré avec des hôpitaux spécialisés et nous avons équipé des enfants victimes de malformations des membres supérieurs et avons interrogé nos jeunes apprenants sur ce qu’était le handicap et pourquoi nous devons aider ces enfants. Il y a beaucoup d’humain derrière !
L’intelligence artificielle est également une technologie sur laquelle nous nous penchons depuis plus de deux ans ; on se positionne désormais en tant qu’experts-vulgarisateurs de ce sujet. En 2030, 80% des métiers seront liés à l’iA ! C’est une raison suffisante pour se pencher sur le sujet, non ?
Et c’est ce que nous avons fait avec des jeunes des quartiers populaires autour d’un projet de reconnaissance des chiens dangereux dans la ville ; la problématique de base était qu’une personne du quartier s’était fait mordre par un rottweiler… Grâce à la compréhension de cette technologie et à son utilisation, les jeunes ont matérialisé une solution technologique qui a ensuite été proposée à la police municipale : cela créé un dialogue entre les jeunes et la police ! On est loin des formations traditionnelles, non ?
Bien évidemment, nous concevons également de ces formations plus « traditionnelles » ; la semaine dernière, nous avons ainsi formé cent agents de la fonction publique calédonienne à la data et à l’iA. Avec la touche Evolukid, même ces adultes se sont amusés, ont expérimenté la réalité virtuelle, ont développé une application… Dans ce domaine, nous proposons ainsi des prestations « clé en main » qui comprennent du matériel, des formateurs, des contenus pédagogiques…
Nous produisons également des formations en micro-learning, en ligne, à travers notre plateforme contenant plus de 400 vidéos, une sorte de Netflix de l’éducation, adressé aux enfants et aux novices de 3 à 99 ans. Ces petits formats audiovisuels permettent à tout un chacun de monter en compétences facilement.
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Vous venez de faire un tour de la Calédonie pour aller rencontrer les jeunes dans nos tribus ; pourquoi ce choix et par quels chemins êtes-vous déjà passés ?
Morad : L’histoire a débuté grâce à un grand monsieur que je respecte énormément, M. Vaimu’a Muliava avec qui nous avons pris contact via le réseau social LinkedIn. Avant de se connecter professionnellement, nous avons connecté nos cœurs ! Nos premiers échanges se sont déroulés sous l’égide du respect et de l’humilité, des valeurs fortes que nous partageons avec les Calédoniens ! Pendant plus d’un an, nous sommes restés en contact avant que ce projet se concrétise naturellement. Le projet « Prox ITech » est né de ces échanges réguliers et respectueux.
Nous avons déjà réalisé des choses incroyables ! Nous avons collaboré avec des grands groupes comme L’Oréal ou BNP Paribas, nous sommes partenaires de l’UNESCO et nous agissons beaucoup dans des quartiers prioritaires auprès de publics que nous allons chercher… ce qui correspond, peu ou prou, à la situation calédonienne et à la vision de Vaimu’a. Le contexte d’exclusion technologique est le même en métropole qu’en Calédonie : ces publics ne doivent pas être stigmatisés et il faut les embarquer dans l’aventure !
Nous avons débuté ce « pèlerinage » à Thio où plus de 150 personnes nous attendaient ! Ensuite, nous avons rencontré les jeunes en difficulté de la DPJEJ qui sont venus le matin et revenus l’après-midi, avant de nous rendre à Poya où nous avons à nouveau été accueillis comme des princes… Sur l’ensemble de ce parcours, au total, plus de 300 Calédoniens sont venus à notre contact et ont participé à nos ateliers ! Merci !
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Quels retours d’expérience pouvez-vous partager avec nos lecteurs ?
Rabah : Le premier retour d’expérience concerne l’aspect « humain »… Nous avons été très touchés par les coutumes, par cette notion de respect apporté aux uns et aux autres ; en tribu, on prend le temps de se présenter, de demander la permission de s’installer et nous avons ainsi reconfiguré notre logiciel car, ce qui va garantir l’avenir des jeunes, ce sont ces valeurs. Nous avons pu nous reconnecter à la « terre », au vent, au cœur des gens et c’est de cette manière qu’on transmet les connaissances de la façon la plus efficace qui soit. Si on considère le succès qu’ont rencontré ces ateliers, c’est en premier lieu parce que nous avons suivi ces démarches humaines de présentation, de rencontres et d’échanges.
Il faut bien comprendre que, dans chaque pays, quels qu’ils soient, les problématiques sociales et technologiques se ressemblent beaucoup : les problématiques de la transformation numérique, de l’usage des datas sont internationales ! A ce sujet, nous avons déjà commencé à traduire nos contenus pédagogiques sur nos plateformes car nous souhaitons toucher tous les publics.
Morad : Comme l’a très bien identifié M. le ministre, de par notre identité, nous avons également vécu une forme de recherche de soi, d’inclusion et d’intégration dans une société. Nous sommés nés Français et nous reconnaissons dans la culture française mais, cependant, nous avons également connu cet enjeu de sortir d’un territoire pour aller conquérir un nouveau territoire, que ce soit professionnellement ou géographiquement. C’est une forme de recherche de liberté et nous avons bien compris que ce challenge s’appliquait également aux Calédoniens.
Rabah : Dernier point, il ne faut pas oublier que la compréhension des outils technologiques a été également remarquable ; par exemple, les jeunes avaient déjà manipulé des drones par l’intermédiaire de la télécommande mais nous leur avons proposé d’aller plus loin et de programmer le bon algorithme pour que le drone réalise un parcours prédéterminé. De cet exercice ont émergé des idées ! A Thio, les pompiers sont venus à notre rencontre pour nous demander si on pourrait programmer des drones pour détecter les départs d’incendie. D’autres sont venus nous voir pour des projets liés à l’écosystème marin… Passionnant et surtout, très utile ! Prochaine étape : revenir en Calédonie pour accompagner des porteurs de projet qui travaillent sur des besoins locaux.
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Question décalée : avec la révolution blockchain, l’arrivée d’iA de plus en plus développées et la mise en circulation de robots dans différents domaines, quelle est votre vision du monde de demain ?
Rabah : Bonne question ! Déjà, quand on voyage, on voit que certains services n’existent pas encore en métropole : payer avec son téléphone est une habitude en Chine alors qu’en France, le niveau de maturité n’est pas encore atteint.
Concernant la blockchain en particulier, c’est une technologie très puissante qui va apporter beaucoup de valeur dans la traçabilité de l’information ; à partir de ce constat, de nombreux métiers et services vont connaître une révolution : la porte est ouverte à l’imagination ! Les métiers du conseil seront accompagnés d’assistants virtuels, on se déplacera en voiture autonome couplé à la 5G, et on peut imaginer que nos maisons vont également se transformer en embarquant de nombreuses technologies. La Smart City se développera aussi bien à l’échelle des villes et des régions, aussi bien qu’à l’intérieur même de nos foyers ce qui risque d’améliorer grandement notre confort quotidien.
Le monde de demain sera un mélange entre le fantasme de l’esprit humain, que l’on peut retrouver dans les films depuis des dizaines d’années, et le potentiel des nouvelles technologies. Il ne faudra néanmoins pas oublier de faire évoluer le développement de ces technologies avec des analyses philosophiques et éthiques. Il faut que la technologie demeure un outil à notre service et non qu’elle prenne le contrôle ! Je crois que l’enjeu réel se situe dans cette notion de contrôle.
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Un dernier mot ou une dernière actualité pour nos lecteurs ?
Morad : Encore plein de beaux projets en perspective dont certains sont confidentiels mais nous allons encore plus orienter notre travail vers l’iA car nous sommes convaincus que cette technologie en particulier va façonner le monde de demain.
Nous travaillons actuellement sur un grand projet en métropole : il s’agit d’accompagner environ un millier de jeunes issus des quartiers populaires afin de les revaloriser et de faire comprendre à l’opinion publique que dans les quartiers, il n’y a pas que le foot et le rap, mais aussi des futurs Elon Musk et Steve Jobs. On veut aller dénicher ces potentiels et les faire monter pour que les entreprises du CAC40 se les arrachent !
Rabah : Autre grosse actu, après quatre, cinq ans à faire de la prestation de service, notre projet est de concevoir une école en ligne accessible à tout le monde, à travers des parcours de formation individualisés, d’abord dans les territoires francophones puis à l’échelle du globe. On souhaite également favoriser le développement personnel de l’enfant parce que, dans tous ces nouveaux métiers, le premier critère recherché, ce sont des personnalités, des personnes qui savent s’intégrer, communiquer, se connecter aux autres et apporter leur valeur. C’est ce qu’on va tenter d’enseigner à travers notre plateforme « evolukid.fr ».
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