Et si la reprise calédonienne passait… par l’intelligence artificielle ? Pas celle qui fait peur ou fantasme, mais celle qui aide à décider plus vite, à mieux s’organiser et à libérer du temps pour créer. Derrière ces algorithmes, il y a surtout une nouvelle façon de penser le travail, la performance et l’innovation.
Christophe Legrenzi accompagne depuis une dizaine d’année les dirigeants calédoniens à travers les formations de la CCIet des missions auprès des plus grandes institutions publiques et privées. Il plaide pour une approche lucide, accessible et profondément humaine de ces outils. Pour lui, l’IA ne remplace pas les métiers : elle révèle le potentiel des équipes. Alors, comment faire de cette révolution technologique une opportunité locale ? Entre pédagogie, stratégie et culture d’entreprise, Christophe nous partage sa vision d’un numérique qui pense avec – et non à la place – de l’humain. Prêt·e ? On se branche !
__
Bonjour Christophe ! Bienvenue sur NeoTech ! Pour commencer, est-ce que tu peux te présenter et nous raconter un peu ton parcours ?
Merci ! À la base, je suis ingénieur en informatique de gestion et en informatique industrielle. Je me destinais à une thèse en intelligence artificielle, mais la vie m’a emmené vers le management. Très tôt, j’ai travaillé pour des groupes comme BASF ou Roche, à une époque où la grande question était déjà : « Que rapporte vraiment l’informatique à l’entreprise ? » On investissait massivement dans les systèmes d’information, mais personne ne savait vraiment mesurer leur impact.
Cette interrogation m’a accompagné toute ma carrière. J’ai voulu comprendre comment la technologie pouvait devenir un levier de performance, et pas seulement un centre de coût. C’est ce qui m’a poussé à compléter mon parcours avec un doctorat en management et en sciences de gestion obtenu au CNRS et à l’IAE de Nice-Sophia Antipolis en partenariat avec la fameuse Harvard Business School.

Aujourd’hui, je suis à la tête d’Acadys International, un cabinet de stratégie numérique spécialisé dans l’intelligence artificielle et la transformation des organisations. C’est dans ce cadre que j’interviens depuis plus de dix ans à la CCI de Nouvelle-Calédonie, où j’ai formé de nombreux dirigeants et responsables du numérique. L’histoire a commencé pendant que je vivais en Australie : Nouméa n’était qu’à deux heures de vol, et j’ai découvert ici une énergie et une curiosité rares. Depuis, j’y reviens chaque année, toujours avec ce même plaisir de transmettre et d’apprendre.

__
Tu interviens régulièrement à la CCI. À quoi ressemblent tes formations et qu’est-ce que les dirigeants viennent y chercher ?
Ce sont de vrais espaces d’échange. On y parle d’intelligence artificielle, de stratégie numérique, de transformation d’entreprise — mais jamais de manière abstraite. L’objectif, c’est d’aider les dirigeants à comprendre les leviers réels de l’innovation, pas à consommer de la technologie. On part de cas concrets, souvent calédoniens, pour montrer que le numérique n’est pas réservé aux grandes structures.
Les participants viennent chercher des repères, des clés de lecture dans un monde qui va vite. On fait le tri entre les effets de mode et ce qui a du sens. On décortique les usages, on teste, on se trompe parfois, mais toujours dans une logique d’apprentissage. Et ce que j’adore, c’est quand quelqu’un me dit à la fin : « Ah d’accord, je vois comment appliquer ça chez moi dès demain. » Là, je me dis que la formation a vraiment fait son travail. Parce que le numérique, ce n’est pas une théorie, c’est un état d’esprit voire une philosophie.
__
Justement, comment les entreprises calédoniennes réagissent-elles face à cette révolution numérique ?
Avec beaucoup de curiosité, mais aussi un peu de prudence. La plupart découvrent encore ce qu’est vraiment l’intelligence artificielle, au-delà du buzz médiatique. Beaucoup confondent encore l’IA avec la science-fiction ou les robots. Ce que je constate, c’est une envie de comprendre, mais aussi la peur de se tromper.
Quand on en parle ensemble, on voit vite les blocages tomber. Les dirigeants réalisent que l’IA, ce n’est pas une machine qui remplace l’humain, mais un outil qui peut amplifier l’intelligence collective. En Calédonie, il y a une vraie curiosité, une envie d’apprendre, de tester. Et ça, c’est précieux.
Mon rôle, c’est de dédramatiser et de rendre concret. J’explique que l’innovation n’est pas une question de taille ou de moyens, mais de culture et de volonté. Quand un dirigeant comprend ça, il passe d’une posture d’observation à une posture d’action. Et là, on entre dans le cœur du sujet : comment faire du numérique un levier de progrès, pas un gadget.

__
Tu dis souvent que le numérique n’est pas une fin en soi. Comment peut-il vraiment devenir un levier de performance ?
Le numérique, ce n’est pas magique. Ce n’est pas l’outil qui transforme une boîte, c’est la manière dont on s’en sert. On peut empiler les logiciels les plus performants du monde, si on ne repense pas la façon de travailler, ça ne changera rien.
La vraie performance, elle vient de la transformation des organisations : comment on collabore, comment on décide, comment on partage l’information. Dans plusieurs projets que j’ai accompagnés, les gains les plus spectaculaires ne venaient pas d’un nouvel outil, mais d’un changement de posture. Quand on simplifie, qu’on fluidifie, qu’on redonne du sens, tout devient plus efficace.
L’IA, elle, agit comme un révélateur : elle oblige à structurer, à clarifier les processus, à se poser les bonnes questions. C’est ce que j’appelle “l’effet miroir”. En clair, elle pousse les entreprises à devenir plus intelligentes… avant même d’être artificielles. Et c’est ça, la vraie révolution : apprendre à mieux penser pour mieux innover.
__
Tu as accompagné pas mal d’organisations locales. Qu’est-ce qui fait la différence entre celles qui réussissent et celles qui stagnent ?
La différence, elle se joue dans le management, pas dans la technologie. Ce n’est pas un logiciel qui change une entreprise, c’est un dirigeant qui y croit et qui embarque son monde. L’erreur est de confondre vitesse et précipitation. Les structures qui avancent sont celles où le management a compris que la transformation n’est pas un projet informatique, mais un projet humain.
Quand les équipes sont écoutées, formées, responsabilisées, la transition devient naturelle. On peut avoir les meilleurs outils, si les gens n’y adhèrent pas, ça ne sert à rien. À l’inverse, quand le changement est imposé, sans explication ni dialogue, il s’enlise. En Calédonie, j’ai vu des managers incroyablement inspirants, capables de fédérer, de donner du sens, de transformer des contraintes en opportunités.. C’est ça, le moteur du numérique : un management courageux, ouvert et curieux.

__
Tu parles souvent de culture de la transformation. Concrètement, ça veut dire quoi ?
C’est la capacité à se remettre en question en continu. Beaucoup d’entreprises pensent que la stabilité, c’est de ne rien changer. Aujourd’hui, c’est l’inverse : la stabilité passe par la capacité à s’adapter. A repenser sa mission (sa raison d’être), affuter sa vision (son ambition) et décliner tout cela en objectifs stratégiques et opérationnels.
Avoir une culture de la transformation, c’est tester, ajuster, apprendre de ses erreurs. C’est admettre qu’on ne peut plus tout planifier, parce que le monde bouge trop vite. Cette culture, elle se construit dans le temps, à force de formation, de dialogue et de confiance.
Quand les équipes comprennent pourquoi on change, qu’elles savent où elles vont et qu’elles y trouvent du sens, tout devient plus fluide. Elles ne subissent plus : elles participent. Et c’est dans ces moments-là qu’on voit l’innovation émerger naturellement, sans qu’il y ait besoin de tout “réinventer”.
__
L’intelligence artificielle, on en parle partout. Comment l’intégrer sans perdre son identité d’entreprise ?
C’est LA grande question. L’IA, c’est un outil fantastique, mais encore faut-il savoir pourquoi on l’utilise. Le risque, c’est de céder à l’effet de mode : on implémente des solutions sans savoir quel problème elles résolvent vraiment. Mon conseil : commence petit, mais juste. Identifie une tâche répétitive, un process lourd, et expérimente. Tu verras vite si ça t’apporte quelque chose.
Et surtout, garde ce qui fait ta singularité : ton savoir-faire, ta culture, ton lien humain. L’IA peut t’aider à aller plus vite, mais elle ne remplacera jamais ce qui fait ta valeur. Ce que je dis souvent, c’est qu’il faut apprivoiser la technologie, pas la subir. Rester curieux, oui, mais garder la main. Parce que l’innovation, la vraie, c’est celle qui respecte l’ADN de l’entreprise tout en la faisant grandir.

__
Et la Nouvelle-Calédonie dans tout ça ? Comment tu vois sa place dans ce grand mouvement d’innovation ?
La Calédonie a une carte unique à jouer. C’est un territoire à taille humaine, avec des acteurs proches du terrain et une vraie capacité d’adaptation. Cette agilité, beaucoup de grandes structures l’ont perdue. Ici, on expérimente vite, on apprend vite. Les contraintes géographiques peuvent être un frein, mais elles stimulent aussi la créativité. Le numérique, s’il est bien utilisé, peut devenir un outil d’équilibre : il relie les îles, il rapproche les territoires, il forme les talents.
Et puis, il y a cette notion de confiance. En Calédonie, les gens se connaissent, se parlent, collaborent facilement. C’est un terreau idéal pour créer des solutions locales, adaptées, durables. Le futur du numérique ne se jouera pas que dans les grandes métropoles : il se construit aussi ici, à échelle humaine.
__
Pour finir, si tu devais donner un conseil à un dirigeant calédonien qui veut innover, ce serait lequel ?
De ne pas attendre le moment parfait. Il n’existe pas. Commence là où tu es, avec ce que tu as. Teste, ajuste, recommence. L’innovation, c’est du concret, pas un slogan.
Forme tes équipes, fais-les participer, donne-leur de la confiance. Et surtout, garde du sens.
Le numérique, ce n’est pas une fin, c’est un accélérateur d’idées. Les outils changent, mais les valeurs, elles, doivent rester. Si tu mets de la cohérence et de l’humain dans tes projets, la technologie suivra naturellement. Et souvent, elle t’emmènera plus loin que tu ne l’avais imaginé.
__