Ils viennent d’organiser les premières levées de fonds série A en Nouvelle-Calédonie et oeuvrent activement pour que l’investissement dans les startuppar et pour les Calédoniens” devienne une habitude. Spécialisée dans la gestion de patrimoine sur le territoire depuis près de 30 ans, IFP Patrimoine est une institution incontournable lorsqu’il s’agit d’investir sur notre beau Caillou. NeoTech est allé à la rencontre de Benjamin Rouveyrol, l’un des trois associés-gérants du cabinet, qui s’est confié sur son fonctionnement et sur la dernière nouveauté : le “crowdfunding” sur un produit d’épargne calédonien…

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Bonjour M. Rouveyrol, pourriez-vous nous présenter l’IFP Patrimoine en quelques dates clés ? 

« IFP Patrimoine » est une société créée en 1992, il y a déjà bientôt 30 ans ; aujourd’hui, nous sommes trois associés-gérants : l’un est impliqué depuis l’origine du projet et les deux autres associés sont arrivés en 2015, à l’occasion d’un changement d’actionnariat. Pour ma part, je m’occupe de la stratégie de développement en Calédonie et un autre associé est basé en Polynésie. 

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Quelle est votre raison d’être et que proposez-vous à vos clients ? 

Nous sommes une société de gestion de patrimoine disposant d’agréments de courtiers en assurance, principalement en placements. Nous sommes également conseillers en investissements financiers et donc en mesure de vendre des produits financiers. Dernière activité, nous sommes intermédiaires en opérations de banques : nous allons ainsi pouvoir réceptionner et transmettre des opérations bancaires de nos clients et leur proposer des montages à crédits. 

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Baie de l’Orphelinat, au-dessus de la pizzeria © IFP Patrimoine

Concrètement, lors d’un premier rendez-vous chez nous, notre objectif est de réaliser un audit patrimonial pour analyser les problématiques du client et y répondre avec des solutions : préparation à la retraite, revenus complémentaires ou protection du conjoint par exemple… Nous avons ensuite l’obligation de suivre les montages financiers dans le temps et de recevoir nos clients chaque année. 

Comprenez bien qu’il n’y a pas besoin d’être extrêmement riche pour venir nous voir ! Depuis une vingtaine d’années, notre travail a bien changé : quelqu’un qui a 25 ans et qui souhaite commencer à placer son argent peut venir nous voir et ouvrir un contrat d’assurance-vie à partir de 6000 CFP ou faire un montage à crédit sur des SCPI sans avoir de patrimoine. Cela lui permet de faire un premier investissement locatif par exemple. 

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Vous avez lancé une offre de crowdfunding pour « inciter les Calédoniens à investir leur épargne dans l’économie calédonienne à travers l’investissement participatif ». Avec qui avez-vous développé cette offre et en quoi consiste-t-elle ? 

L’investissement en crowdfunding existe depuis quelques années déjà ; nous les proposions d’ailleurs à nos clients à travers des plateformes métropolitaines en actions ou en obligations. Ça fait longtemps que nous cherchions un produit d’épargne calédonien ! Il n’y a jamais eu de solution d’investissement en Calédonie, hormis l’immobilier qui reste généralement un placement à long terme. 

Dernièrement, nous avons pu combler ce manque en collaboration avec « Invest In Pacific », une plateforme agrée CIP – « Conseiller en Investissement Participatif » – qui est basée à Tahiti. Elle dispose actuellement du seul agrément « AMF »Autorité des Marchés Financiers – disponible en dehors du territoire métropolitain. C’est à travers cette plateforme que nous allons pouvoir modéliser les produits financiers et les commercialiser en Calédonie. L’investissement participatif est un produit financier qui peut être vendu par un conseiller financier, ce qui nous permet de proposer ces placements à des profils plutôt dynamiques car il existe un risque de perte en capital dans ce type de placements. 

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Quelles sont les conditions à remplir pour qu’un investisseur calédonien puisse bénéficier d’une réduction d’impôts ?

Aujourd’hui, l’investissement participatif fonctionne très bien sans réduction d’impôts, ce qui est d’ailleurs le cas en Polynésie ; l’objectif, derrière un investissement dans une startup, est de maximiser le gain « à la sortie » (= à la revente). 

En Calédonie, une loi locale a été votée au Congrès en 2020 : elle permet à des entreprises qui respectent un certain nombre de critères d’ouvrir leur capital à des investisseurs Calédoniens. Pour ces derniers, la réduction d’impôt immédiate est donc la cerise sur le gâteau ; elle permet de déduire fiscalement 25% du montant investi dans la limite de 1.5 millions de CFP et ce, quelle que soit la tranche d’imposition : c’est donc un mécanisme fiscal équitable pour tout le monde. 

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Récemment, une jeune pousse de la filière numérique, Testeum, a lancé une levée de fonds Série A en NC via la plateforme partenaire « Invest in Pacific ». En quoi cette forme de financement participatif est-elle innovante sur le territoire ?

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Une première levée de fonds pour Testeum © NeoTech

Ce qui est nouveau, c’est que “Testeum” est le premier produit financier calédonien : ça n’a jamais existé auparavant ! On peut donc investir en Calédonie dans une société calédonienne à fort potentiel ET bénéficier, en plus, de la réduction d’impôts. Cette startup est intéressante car elle portée par César Delisle qui a déjà fondé plusieurs sociétés et emploie une vingtaine de collaborateurs. Testeum est actuellement en phase opérationnelle et a besoin de se développer au niveau commercial. 

Ce qui est innovant, c’est qu’on va pouvoir travailler pour valoriser cette structure selon la méthode de DCF (« Discounted Cash Flow »). Dans les faits, aujourd’hui, cette entreprise ne vaut pas grand-chose au regard de son chiffre d’affaires et de son besoin d’investissement externe pour la développer à l’international. Avec des experts comptables et des spécialistes de la valorisation, on va essayer d’analyser le potentiel de cette structure à cinq ans ; si l’on estime que dans cinq ans, cette société vaut « 1 » sur des hypothèses prudentes, on va la proposer aujourd’hui aux particuliers et investisseurs calédoniens à « 0,5 » afin de pouvoir sortir avec une plus-value de 100%

De cette manière, on va donc pouvoir lever des fonds en diluant les parts de capital du porteur de projet, tout en faisant en sorte qu’il garde la majorité. L’intérêt de ce montage, c’est que l’investisseur qui va prêter son argent bénéficie donc d’une « porte de sortie » à cinq ans : à ce moment-là, ses parts seront rachetées au prix du marché, peut-être trois fois ou dix fois plus cher. Sans oublier qu’entre temps, la réduction fiscale fonctionne également… 

Autre gros avantage, le « ticket d’entrée » pour investir dans Testeum est fixé à 100K CFP : c’est un montant accessible à toutes les populations et qui permet, de plus, de diversifier son investissement. L’objectif de la levée de fonds maximum et de 324 M CPF, soit environ 25% du capital de la startup.  

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Quels résultats attendez-vous d’une telle levée de fonds et comptez-vous en organiser d’autres ?

On estime que leur chiffre d’affaires sera de 3 milliards à six ans avec une trésorerie nette d’environ 1,2 milliard. Nous attendons en premier lieu en engouement des Calédoniens pour leurs startup calédoniennes ! La Calédonie a un potentiel exceptionnel en matière de qualité de vie et, si on arrive à attirer des ingénieurs du monde entier pour qu’ils travaillent dans des entreprises locales en mesure de les payer, ça permettrait de développer les filiales calédoniennes

D’autre part, notre ambition est de sortir une plus-value pour nos clients car nous ne vivons que sur les « en-cours ». Si ces « en-cours » diminuent, notre CA diminue d’autant. Notre intérêt est donc de satisfaire nos clients et de leur proposer une diversification. Sur ce type de produits, il existe un risque réel et il ne faut pas investir plus de 2% ou 3% de son capital net. 

En parallèle, nous avons une deuxième levée de fonds avec IBiSA, une application SaaS sur la prévention des risques au travail et l’aspect « QHSE » portée par Luc Sorlin, qui sort également de l’Incubateur de l’ADECAL. Il s’agit d’une levée de fonds de 120 millions de francs avec un objectif médian de +75% à six ans et un objectif favorable à +200% sur la même période. 

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En quoi « IFP Patrimoine » aide-t-elle à soutenir l’innovation calédonienne ? Des exemples concrets à partager ? 

Nous aimerions lever plus de fonds en travaillant autour de projets et des porteurs de qualité ; il faut savoir que Testeum existe depuis plus de deux ans et a déjà fait ses preuves, tout comme IBiSA : nous avons vraiment besoin que ces projets aient déjà fait leurs preuves en amont et présentent un business plan avec plusieurs scénarii détaillés. Actuellement, nous couvons une dizaine d’autres projets qui manquent encore un peu de maturité.

Grâce à ce type d’investissement, nous serions en mesure de financer des projets qui n’ont pas encore été financés : je pense notamment aux nombreux projets de fermes photovoltaïques qui passent par des plateformes métropolitaines sous forme d’obligations. Nous pourrions intervenir dans ce domaine.

Nous avons également quelques projets en « BioTech » qui ont un fort potentiel : on espère sortir sur ce type de projets début 2022. On pourrait aussi financer « à l’amorçage », c’est-à-dire que quelqu’un qui aurait une idée structurée, qui serait prêt à la mettre en place, pourrait nous intéresser. 

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La législation fiscale calédonienne ne favorise actuellement pas encore vraiment les financements privés des startups et jeunes pousses innovantes. Quel est votre regard sur la législation actuelle ? 

Justement, avant même qu’il y ait des projets d’investissements participatifs, le projet de loi porté par Christopher Gygès l’année dernière a permis d’enclencher la mécanique. Maintenant, c’est à nous de faire nos preuves et de montrer qu’on peut lever des fonds calédoniens. Actuellement, nous travaillons sur un projet de loi qui autoriserait une défiscalisation plus importante, sur un montant d’investissement plus conséquent. Affaire à suivre donc… 

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Benjamin vous attend, y’a plus qu’à… © IFP Patrimoine

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Que manquerait-il pour créer des clubs de Business Angels ou de VCs dont les investissements permettraient de soutenir la filière numérique et tech ? 

Excellente question ! Ça n’existait pas et c’est la raison pour laquelle nous avons créé un « Club des Business Angels » avec la CCI. Nous avons réceptionné une trentaine de projets et en avons sélectionné quinze en amont. Après un travail de leur part avec l’ADECAL, nous les avons audités récemment et nous en avons gardé huit. 

Ensuite, des Business Angels rencontrent les porteurs de ces projets et l’idée, c’est de garder les projets confidentiels et de savoir si les BA seraient intéressés pour investir dans certains d’entre eux. C’est un projet passionnant que nous allons, j’espère, reconduire chaque année ! 

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Un dernier mot pour nos lecteurs ?  

Rendez-vous sur « Invest in Pacific » pour trouver un projet qui pourrait vous intéresser ou développer vous-mêmes votre projet : dans les deux cas, nous serons présents pour vous conseiller et vous accompagner ! 

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