C’est dans son bureau du coworking « La Caravane » que nous avons le plaisir de rencontrer Auxence Thomas, l’un de deux frère co-fondateur de la startup « Need Eat » ; après quelques cuisants échecs, la Calédonie dispose ainsi (enfin !) d’une solution digitalisée de commandes et livraisons de repas grâce à ces deux jeunes calédoniens. En plein coeur de ses études d’étudiant-entrepreneur, Auxence est de retour sur le territoire pour développer sa solution et nous présenter les spécificités d’une innovation adaptée aux caractéristiques de notre marché. Vous en prendrez bien une bouchée ?

Une petite faim ? Un petit coup de © Need Eat !

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Bonjour Auxence et bienvenu sur NeoTech ! Pour commencer, peux-tu nous résumer ton parcours jusqu’à la création de Need Eat ? 

Bonjour NeoTech ! Je suis arrivé en Nouvelle-Calédonie à l’âge de 6 ans avant de repartir en métropole juste après le lycée pour entamer une formation d’ingénieur ; après un an de préparation à Toulon, j’ai intégré l’INSA Toulouse en 2ème année où j’étudie toujours actuellement dans le cadre d’un Master 1 : le statut d’étudiant-entrepreneur me permet d’aménager mon emploi du temps et de travailler simultanément à distance sur Need Eat.   

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Need Eat, c’est une histoire de famille et de bouffe, c’est ça ? 

De famille, oui puisque j’ai créé cette société avec mon frère ainé, Cyriaque… et de bouffe également mais ce projet aurait pu être totalement différent ! Il s’est trouvé qu’en tant qu’étudiant, j’ai travaillé comme livreur chez Deliveroo en 2018 ; pendant les longs moments de solitude sur mes trajets de livraison, j’ai eu le temps de réfléchir à ce projet et d’échanger avec les restaurateurs, tout en découvrant tous les rouages et fonctionnements de leurs applications. 

Ces études détaillées m’ont permis d’obtenir un certain recul avant de lancer Need Eat. Need Eat est donc, d’une certaine manière, un « copié – pas collé » de ce que font les startups spécialisées dans la commande et livraison de repas car notre solution est adaptée aux caractéristiques calédoniennes.

Nous avons ensuite créé la structure en janvier 2020 avant de faire un premier lancement test en juin : un véritable échec pour être honnête ! Nous avions assez mal anticipé certains dépassements de budgets liés à la R&D qui ont empiété sur d’autres postes, comme la communication, par exemple… Il a donc fallu que l’on poursuivre notre travail avant de relancer l’application en septembre 2020. 

Need Eat
Un historique en quelques dates clés © Need Eat

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Il existait déjà d’autres solutions qui ont tenté de développer la commande et livraison digitalisée de repas en Calédonie mais elles ont disparu aujourd’hui… pourquoi et quelles sont vos différences par rapport à ces projets ? 

Je crois que la principale problématique des anciens acteurs concernait les applications numériques en question ; il faut bien comprendre que la solution technique regroupe trois applications nécessaires pour que le service fonctionne : 1 app’ pour le public, 1 app’ pour les livreurs, 1 app’ pour les restaurateurs. C’est une problématique technique délicate à gérer et c’est sans doute l’étape que nous avons, pour notre part, réussi à passer, non sans difficultés ! 

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Peux-tu partager avec nos lecteurs quelques chiffres clés sur votre activité à date ? 

Bien sûr, en voici quelques-uns ; à date, nous avons environ 15 000 utilisateurs inscrits et donc environ 15K de téléchargements de l’application, plus de 35 livreurs qui tournent en même temps lors des pics de fréquentation et près de 7 800 commandes mensuelles auprès d’une cinquantaine de restaurants. 

Need Eat
Retrouvez vos restaurants préférés © Need Eat

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Comment avez-vous adapté votre business model au marché calédonien alors que les startups internationales du secteur s’appuient en priorité sur des stratégies basées sur le « quantitatif » ? 

C’est une excellente question ! Tout notre projet reposait sur une étude préambulaire que nous avons réalisé avec mon frère. Cette étude a duré près de huit mois avant que l’on se décide à lancer le projet. 

Avec le recul que nous avons aujourd’hui, nous sommes très satisfaits de ces prévisions qui sont aujourd’hui assez proches de la réalité ; peut-être pas en termes de prévisions de croissance sur la durée mais tous les autres indicateurs corroborent l’état actuel de notre société. L’indicateur le plus important concernait notre marge sur coûts variables, c’est-à-dire, la marge restante sur le montant d’une commande après avoir payé tous les intermédiaires : restaurateurs, livreurs, frais bancaires. Cela nous a permis de savoir à partir de quel volume nous serions rentables : gros stress pour atteindre ce volume ! 

Aujourd’hui, le seuil de rentabilité n’est pas encore atteint mais nous avons bon espoir que ça soit le cas prochainement ! Nous avions également estimé notre point d’équilibre qui est aujourd’hui dépassé : on cherche désormais cette fameuse rentabilité

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Quels outils numériques et technologiques avez-vous utilisé pour développer votre solution ? 

Côté solution technique, nous avons opté pour du code en marque blanche ce qui nous permettait de gagner en flexibilité et modularité mais on s’est vite rendu compte que les templates d’applications proposés n’étaient pas forcément adaptés au marché et au usages calédoniens. Il nous a donc fallu adapter la solution et l’optimiser pour un fonctionnement calédonien.

En plus de ce code, nous utilisons divers outils numériques, principalement des outils de gestion interne ; on essaie au maximum d’intégrer tous ces outils directement sur notre back office admin mais il est parfois plus intéressant d’utiliser des outils existants plutôt que de les internaliser. Communication, gestion des incidents, outils « d’analytics » sont, par exemple, externalisés. Pour la partie « data » et construire nos indicateurs, nous utilisons « Power BI », un logiciel de la suite Office 365 :  les données de l’application sont ainsi exportées et traitées par « Power BI ». D’autre part, nous utilisons Studio 3T qui nous permet de visualiser nos données OTP et même de les modifier. 

Autre indicateur important : savoir chaque mois, à un moment « t », combien nous avons perdu et combien nous avons gagné afin d’optimiser la gestion de la société. 

Et puis, nous utilisons également des outils « connus » tels que Slack ou Trello, la suite Office 365, Facebook Ads, Google Ads, Canva, Hootsuite… Même si ça représente un coût certain, pouvoir travailler avec ces outils afin d’automatiser les tâches récurrentes sans valeur ajoutée est l’option que nous avons prise.  

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L’intelligence artificielle est un outil plus que pertinent pour optimiser votre solution, notamment sur les déplacements ou les commandes. L’utilisez-vous et comment ? 

Au cours des deux derniers mois, nous avons travaillé sur un algorithme de prévision et d’estimation des commandes qui est aujourd’hui assez performant. On se sert de l’iA mais on ne fait pas encore de « deep learning », même si c’est prévu à terme. 

Ainsi, nous utilisons l’iA dans deux algorithmes importants : l’algo de « prévisions » qui permet de créer un prévisionnel des commandes hebdomadaires et un second de « dispatch » qui sert à allouer les commandes aux livreurs ; ce deuxième algo est justement basé sur de l’expérience humaine et nos observations plutôt que sur des analyses mathématiques et du deep learning ; il tient compte de la géolocalisation du livreur, du restaurant et du client ainsi que des commandes en cours de chaque livreur. Cet algo fonctionne d’ailleurs de mieux en mieux et devrait nous permettre, à terme, de ne plus avoir d’intervention humaine dans l’assignation des commandes. 

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On pourrait qualifier « Need Eat » d’innovation d’adaptation au marché calédonien. Quelles sont les problématiques liées à ce marché ? 

La principale problématique que nous avons rencontrée était relative à l’interface de paiement. Souvent, les problématiques sont technologiques et l’automatisation de certains aspects, notamment bancaires, étaient compliquée sur le territoire. 

Autre problématique, que ce soit pour nos livreurs, restaurateurs ou encore clients, il est toujours un peu délicat d’appréhender nos applications : le niveau de maturité numérique est en nette progression et nous avons lancé Need Eat à un moment clé ; le COVID, de ce point de vue-là, a été plutôt favorable à notre activité…

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En quoi la communication digitale et les réseaux sociaux sont-ils des outils importants pour le fonctionnement de votre société ? 

En fait, pour une entreprise digitale, seule la communication digitale fonctionne ; ce sont donc des outils dont on ne peut pas se passer. On fait très peu de communication « old school », sur papier, car elle ne fonctionne pas pour notre modèle et coûte très cher. 

Par ailleurs, l’avantage de la communication digitale, c’est qu’on peut y intégrer des liens et transformer le trafic des réseaux sociaux vers notre application ; c’est un gain de temps énorme qui est essentiel pour notre activité et qui nous a permis de nous faire connaître, même si le bouche à oreille fonctionne également très bien ! Si le service est fiable et son fonctionnement « user friendly », les gens recommandent eux-mêmes et c’est un cercle vertueux qui se créée. 

Et il ne faut pas oublier un autre facteur de communication : la réputation de nos restaurants ; si un utilisateur vient une fois pour commander dans son restaurant préféré, en règle générale, il y revient ensuite pour commander dans d’autres restaurants également. 

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Quelle est ta vision de la transformation numérique de la Nouvelle-Calédonie ? Quels sont les freins à sa digitalisation pour opportunités ? 

La connexion 4G a été un facteur essentiel de la transformation numérique du territoire ; le coût des forfaits a également participé au développement du numérique en Calédonie… Sans ces deux facteurs, nous n’aurions pas lancé Need Eat ! 

Il faudrait également que les entreprises se renseignent et s’approprient les outils numériques pour régler leurs problématiques car on peut optimiser le fonctionnement d’une entreprise en l’équipant de ces outils numériques. 

Quant aux opportunités, nous restons encore un marché de niche où tout est à faire ! Jetons-nous à l’eau ! 

Caledinno : Need Eat

💡 Quand l'innovation numérique s'adapte au Caillou : exemple avec une application mobile de commande et livraison de repas 🍲🥡🍛🔻 Plus d'innovations à retrouver en replay 💻 : https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/emissions/caledinno

Publiée par Nouvelle-calédonie la 1ère sur Mardi 5 juillet 2022
Need Eat dans un épisode de CALEDINNO produit par NeoTech sur © NC La 1ère