À l’ère du numériquel’intelligence artificielle n’est plus ce mystère réservé aux laboratoires californiens ou aux geeks aguerris. Elle s’est glissée partout, doucement mais sûrement, jusqu’à devenir l’une des technologies les plus présentes de notre quotidien. 

Pour les jeunes nés au tournant des années 2000, l’IA sonne presque comme une évidence, intégrée aux usages, aux écrans, aux applis… Mais entre émerveillement, automatisation et parfois manque de recul, comment cette génération s’approprie-t-elle réellement cette technologie ? Entre potion magique et biais y a-t-il un ingrédient secret pour un bon dosage ?

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Il est tombé dedans quand il était petit

À l’instar des « digital natives » qui ont le numérique dans les veines, une nouvelle génération d’irréductibles « IA natives » a progressivement émergé bien loin d’MSN, de Skyblog (et même de Facebook). Entre les suggestions de vidéos YouTube, les itinéraires Waze, les recommandations Netflix, les correcteurs automatiques et autres assistants conversationnels, l’IA s’est peu à peu glissée dans nos habitudes jusqu’à devenir un réflexe, notamment chez les jeunes. 

L’agence Heaven, dans son étude « Born AI », dresse un portrait de cette génération âgée de 18 à 25 ans. Près de 76 % d’entre eux utilisent ChatGPT, qui domine largement la palette des outils IA utilisés. Loin d’être un simple gadget, l’IA est plutôt considérée une alliée, notamment dans la recherche d’information (89,2 %) ou pour optimiser les études et le travail (83,6 %).

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ChatGPT largement en tête, est-ce que ça vous étonne ? ©Agence Heaven

Le mot d’ordre ? Gagner en efficacité. Près de 72 % des jeunes interrogés estiment que l’IA leur fait gagner un temps précieux dans leur quotidien, et 71 % soulignent la simplification des recherches en ligne grâce à elle. Moins de clics, plus de réponses. Moins de galères. Bref, une IA utilitaire, ancrée dans la réalité. 

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La course après le temps… ©Agence Heaven

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L’IA, nouvelle muse ou simple moteur ?

Si certains « technosceptiques » y voient encore un scénario de science-fiction mal ficelé, l’intelligence artificielle s’impose pourtant, jour après jour, comme un véritable outil du quotidien, bien au-delà des bancs d’école ou des open spaces. ChatGPT, Midjourney, Perplexity… Ces IA deviennent des copilotes numériques que les jeunes sollicitent autant pour apprendre que pour créer.

Car oui, la génération des 18-25 ans n’utilise pas seulement l’IA pour rédiger un exposé ou corriger leurs fautes de grammaire et d’orthographe mais s’en empare aussi pour inventer, illustrer, composer. Plus de 74 % d’entre eux déclarent s’en servir à des fins artistiques. Musique, images, vidéos, textes… la création se réinvente à l’ère des prompts. Une étude publiée dans le Journal of Creativity le confirme. Les étudiants interrogés perçoivent majoritairement l’IA comme un booster de leur inventivité. Et localement, le festival AI4GOOD en est la preuve. Lors de la restitution des projets lauréats, l’IA est apparue non pas comme une menace, mais comme une alliée créative, un tremplin pour concrétiser des idées qui, sans elle, seraient peut-être restées à l’état d’ébauche. Loin d’un gadget, l’IA permet de démocratiser l’accès aux outils créatifs, une hybridation entre intelligence humaine et machine qui semble redessiner les contours de la créativité, offrant de nouvelles libertés accessibles à un plus grand nombre. 

En parallèle, de plus en plus de jeunes se tournent vers l’intelligence artificielle pour mieux comprendre le monde et parfois, pour mieux se comprendre eux-mêmes. L’IA devient tour à tour coach relationnel, guide de vie ou conseiller improvisé. Elle est sollicitée pour affiner des comportements sociaux, gérer des émotions, voire orienter des choix politiques. Un outil aux usages de plus en plus vastes qui soulève des questions sur son influence et la manière dont elle façonne les décisions individuelles. Si l’IA peut éclairer, elle peut aussi orienter. D’où l’urgence de développer une éducation critique à son usage pour apprendre à décoder leurs mécanismes, leurs biais et leur pouvoir d’influence. Car oui, apprendre à s’en servir, c’est bien mais comprendre comment elle agit, c’est (encore) mieux.

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Un psy 2.0 ? ©Agence Heaven

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L’IA le druide des temps modernes ? 

Vous l’aurez compris, la montée en puissance de l’intelligence artificielle ne se fait pas sans contreparties. À mesure que ces technologies s’invitent dans nos vies, elles soulèvent des défis éthiques et des problématiques auxquels les jeunes sont souvent les premiers exposés… Deepfakes, bulles algorithmiques qui enferment dans des visions du monde biaisées, contenus générés à la chaîne sans filtre humain… ces dérives ne relèvent plus de la science-fiction. Elles sont déjà là, présentes sur les fils d’actualité, dans les discussions en ligne… il devient alors important d’en saisir les mécanismes. Et pour cause, si l’éducation aux médias progresse timidement, celle à l’intelligence artificielle reste encore balbutiante. Dans les programmes scolaires, rares sont les cours qui expliquent ce qu’est un algorithme, comment il fonctionne, ou pourquoi il peut reproduire (voire amplifier) des biais. L’IA est souvent perçue comme une boîte noire magique, plutôt qu’un objet technique à questionner.

Il devient donc urgent de cultiver une conscience numérique éclairée. Comprendre que l’IA n’est ni neutre ni objective. Qu’elle est pensée, programmée, orientée par des humains, avec des valeurs, des choix et parfois des angles morts. Former les jeunes à l’éthique des technologies, à la protection des données, à la vérification des sources, c’est leur donner les clés pour rester maîtres de leurs décisions dans un monde hyperconnecté. Certains pays l’ont bien compris. En Finlande, l’éducation au numérique est intégrée dès le primaire, en Chine, à partir d’octobre 2025, les écoles primaires et secondaires de Pékin intégreront officiellement des cours sur l’intelligence artificielle qui s’inscrivent dans le « plan de promotion de l’éducation en IA » du pays. 

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Et un peu de sucre en poudre ? 

En bref, la jeunesse d’aujourd’hui ne découvre pas l’IA, elle grandit avec. Elle la teste, la questionne, la détourne, parfois la surutilise, mais surtout, elle l’intègre à son quotidien, comme une extension de ses capacités. Loin d’être simple spectatrice, elle expérimente, innove, crée… Face à cet outil tentaculaire, à la fois puissant et imparfait, le véritable enjeu n’est donc pas d’en limiter l’usage, mais d’en éclairer les mécanismes pour que cette nouvelle génération d’irréductibles ne soit pas soumise à l‘algorithme mais en capacité de la déconstruire, de le contester, de l’améliorer. Car si l’IA est une potion, elle n’est vraiment magique que pour celles et ceux qui savent en lire la formule. 

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