Dans cette série mêlant culture, technologie et souvent intelligence artificielle, Neotech passe au peigne fin les anticipations technologiques les plus inspirées et inspirantes du 7ème art. Replongez avec nous dans les films de science-fiction les plus aboutis de ces dernières décennies, pour confronter la vision de leurs auteurs à l’actualité contemporaine de la tech.
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Épisode 6 : Ready Player One, en attendant Zuckerberg, le Metaverse façon Hollywood !
Décidément, les grands patrons de la tech nous donnent matière à alimenter cette série sur le 7ème art. Après l’annonce remarquée de la mise en plan du Tesla Bot par Elon Musk, qui nous avait conviés à vous faire redécouvrir le « I, Robot » d’Alex Proyas, c’est au tour de Mark Zuckerberg, en grandes pompes, de faire basculer son réseau d’applications dans le futur. Facebook devient Meta, et pour les cinéphiles que nous sommes, l’occasion de replonger dans nos classiques de l’anticipation était toute trouvée. Deuxième incursion dans cette série pour Steven Spielberg, qui avec « Ready Player One« , sorti en 2018, devançait déjà les rêves les plus fous du patron de Facebook.
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Cyberpunk 2045
Après Les Aventures de Tintin et Le Bon Gros Géant, ce dernier long-métrage de Spielberg est une nouvelle incursion dans le cinéma virtuel, aussi techniquement virtuose de sa part que complémentaire avec ses titres de roi du divertissement et parrain de la pop culture. Il faut dire que le film est une somme assez exhaustive sur toute la culture populaire américaine de ces 40 dernières années. Mais le cinéaste ne se contente pas d’y exploiter cette myriade de références pour cuisiner une madeleine de geek, il met en scène une nouvelle dystopie qui interroge notre rapport aux dernières technologies.
Amateur du genre, auquel il s’est déjà essayé en s’inspirant de grands auteurs de science-fiction comme Philip K. Dick (Minority Report, 2002, article dispo ici) ou H.G. Wells (La Guerre des Mondes, 2005), Spielberg semble ici reprendre à son compte les codes d’un sous-genre appelé le cyberpunk, et qui projette l’atmosphère d’un roman noir dans un futur à la fois galvanisé et plombé par la technologie. Le cyberpunk est une école qui a essaimé à la fois en littérature (Neuromancien de William Gibson, 1984), au cinéma (Blade Runner de Ridley Scott) et en bande dessinée (Ghost in the Shell de Masamune Shirow, 1989, plus tard adapté au cinéma par Mamuro Oshii). Ces oeuvres ont souvent en commun de dépeindre des civilisations humaines socialement à l’agonie, dominées par des corporations industrielles toute-puissantes, qui asservissent les populations grâce au bras armé de la technologie.
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Are You Ready ?
Dans Ready Player One, Wade Watts (Tye Sheridan) vit en 2045 dans un bidonville de la ville de Colombus (Ohio), devenue un amas de cabanes urbaines entassées les unes sur les autres. Le monde entier a subi les affres de plusieurs crises successives (on nous évoque brièvement des « émeutes de la bande passante » et des « pénuries de sirop de maïs »), plongeant les sociétés dans un marasme permanent. Les technologies, en constante évolution, ont toutefois permis à une population majoritairement pauvre de trouver un échappatoire. Fondé sur le principe de la réalité virtuelle, le jeu vidéo « OASIS, metaverse » (comprendre « meta universe ») parfait sorti de l’esprit du génial James Halliday, est devenu l’espace de vie privilégié des habitants de la planète, qui y trouvent une existence virtuelle exaltante, faite d’une infinité de possibles et d’évolution constante.
Le long prologue du film illustre bien cette dualité entre réel et virtuel. On y découvre le quotidien, coupé en deux, du protagoniste principal, entre difficultés de la vie en milieu urbain faite de carences financières et de promiscuité humaine, et la prospérité de l’OASIS, qui offre à celui qui s’y connecte une expérience ludique placée sous le signe de l’abondance, capable de satisfaire à la fois les besoins existentiels, sensoriels, sociaux et financiers du joueur.
Monde globalisé et paupérisé, conglomérat dirigé par un responsable sans foi ni loi, masses entièrement accro à une technologie de divertissement : « Ready Player One » reprend bel et bien les principaux motifs narratifs du récit cyberpunk, mais s’en détache pour y injecter une euphorie et un optimisme inhabituels à ce courant volontiers pessimiste, dépressif voire carrément crépusculaire. Car quand bien même elle ne ferait que combler les carences d’une réalité devenue intolérable, l’OASIS y est abordée comme une activité réjouissante, fédératrice, et même émancipatrice. Une position en nette rupture avec d’autres films aux intrigues en apparence jumelles, comme eXistenZ de David Cronenberg (1999) ou Avalon de Mamuro Oshii (2001), lesquels explorent le jeu-vidéo dans sa dimension aliénante voire narcotique. A l’inverse, « Ready Player One » insiste dès les premières minutes sur les bénéfices induits par la pratique de l’OASIS qui remobilise l’énergie des corps en les projetant dans un metaverse aux potentialités infinies.
Perzival, l’avatar de Wade Watts, peut y changer d’apparence à volonté, acquérir instantanément des compétences bien pratiques (danser comme Travolta pour charmer sa belle) et naviguer toutes les arcanes du web, de mondes virtuels en mondes virtuels, avec sa bande d’amis connectés au jeu mais qu’il n’a jamais réellement rencontré. Cela ne vous rappelle rien ? Depuis la semaine dernière et l’annonce du changement de direction stratégique opéré par Facebook, « Ready Player One » a plus que jamais sa place dans cette série dédiée aux films d’anticipation …
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Facebook bascule dans l’OASIS
C’était le 28 octobre dernier. Le patron du « Big F », Mark Zuckerberg, annonçait la renaissance de sa société fondée il y a 17 ans sous un nouveau nom : Meta. La firme met donc le cap vers le futur, en tentant de tourner le dos aux polémiques du présent. Sa justification était alors la suivante :
« Notre marque est tellement liée à un seul produit qu’elle ne peut plus représenter tout ce que l’on fait aujourd’hui. A terme, j’espère qu’on sera vu comme une entreprise du metaverse ».
Mark Zuckerberg
Mais qu’est-ce que le metaverse ? En bons amateurs de l’anticipation, nous vous l’expliquions déjà il y a quelques semaines sur Neotech. Terme élaboré en 1992 par Neal Stephenson dans le roman de science-fiction « Le Samouraï virtuel » (Snow Crash en anglais), et alors qu’internet n’en était encore qu’à ses premiers balbutiements, il renvoie à un cyberespace parallèle à la réalité physique où une communauté de personnes peut interagir sous forme d’avatars. On en est donc bien à se demander si l’on ne connait pas le film préféré de Zuckerberg ces trois dernières années…
Si dans le récit de Spielberg, tiré du roman « Player One » d’Ernest Cline (2011), James Halliday crée l’OASIS comme un jeu vidéo hyper abouti, l’intention de la firme de Menlo Park en termes de metaverse en est encore assez éloignée, d’autres sociétés vidéo-ludiques comme Fortnite planchant toutefois également sur le sujet. Pour Zuckerberg, le metaverse provisoirement baptisé « Horizon » sur lequel planche son groupe, devra être « le Graal des interactions sociales », en permettant des « déplacements fluides d’univers virtuels en lieux physiques, comme des « téléportations ». Sa qualité essentielle sera la présence, le sentiment d’être vraiment là avec les gens. Il précise même :
« Pour accomplir notre vision, nous avons besoin de construire le tissu connectif entre les différents espaces numériques, afin de passer outre les limitations physiques et de pouvoir se déplacer entre eux avec la même facilité qu’entre les pièces de sa maison ».
Là encore, on retrouve parfaitement le prologue du film de Spielberg. Facebook (ou Meta, autant s’y mettre tout de suite) a donc, ces dernières années, fait le pari d’investir plusieurs milliards de dollars dans les nouvelles technologies virtuelles, cherchant à créer les espaces où l’on vivra nos expériences sociales de demain. Les investissements portent à la fois sur les logiciels et le matériel, la firme ayant racheté la société « Oculus« , l’un des principaux fabricants de casques de réalité virtuelle, pour près de 3 milliards de dollars. Il ne manquerait donc plus que les fameuses combinaisons à maillage tactile présentées dans le film de Spielberg (…et l’on pourrait crier au complot). Parallèlement, la création de 10 000 emplois en Europe a été annoncée par le réseau social pour accélérer cette conquête du metaverse.
A ce stade, il est évidemment impossible d’envisager un résultat comparable à l’OASIS de « Ready Player One« . Il est pour l’instant simplement question de créer son avatar pour rencontrer et échanger avec nos contacts dans des conditions plus proches de la réalité. Les technologies d’espaces virtuels développées par la firme, « Horizon Home » et « Horizon World », encore en bêtas, doivent nous offrir des outils de création pour leur offrir des espaces dans lesquels évoluer, discuter ou jouer au poker. A terme, Meta promet des hologrammes photo-réalistes avec un tracking des émotions retranscrites en temps réel – notons en effet que pour le moment, l’avatar de Mark que l’on a pu découvrir reste aussi dépourvu d’émotion que l’original.
L’économie du metaverse reste ensuite à inventer, mais les briques élémentaires sont là, avec les cryptomonnaies et les NFT qui peuvent servir de titre de propriété pour un objet virtuel. Au final, le principal frein reste avant tout sociétal : certains sont enthousiasmés par cette vision du futur, d’autres terrifiés par la raréfaction des interactions humaines en chair et en os. Surtout quand cet avenir est construit par une entreprise avec le passif de Facebook…
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Une référence à la « gaming culture »
« Ready Player One« , à travers ses multiples références, est un hommage à la « gaming culture » et plus largement à tout ce qui fait le sel de la vie d’un « geek ». C’est d’ailleurs bien l’essor de cette gaming culture qui a favorisé le développement de nouvelles tendances en matière de consommation du web et des cyber-espaces, et qui va dans le sens de la création prochaine d’un metaverse. Il y a plusieurs mois déjà, le battle royale Fortnite avait ouvert la voie, en réunissant presque 28 millions de spectateurs connectés à travers leurs avatars, le temps de quelques concerts virtuels offerts par le rappeur Travis Scott.
Si Facebook espère révolutionner les habitudes des consommateurs grâce à son metaverse, ce n’est évidemment pas par altruisme. L’entreprise sait aussi qu’elle peut gagner très gros en renouvelant son offre, notamment face à la menace de la pieuvre chinoise qu’est Tik Tok. Les monétisations potentielles d’un métaverse à plusieurs milliards d’utilisateurs seraient vertigineuses, et les marques entendent également bien tirer leur épingle du jeu. Alors qu’une importante partie des bénéfices engrangés par Facebook chaque année se joue sur la publicité affichée sur le réseau social, le metaverse serait plus que jamais une vitrine de choix pour les entreprises. Une problématique à laquelle Spielberg n’était déjà pas resté sourd en introduisant l’antagoniste de « Ready Player One », le très caricatural Nolan Sorrento, chef d’entreprise tout puissant, qui cherche à capitaliser sur l’OASIS en polluant le champ visuel des joueurs d’une multitude de publicités invasives, cela dans le but de les obliger à s’acquitter d’une offre qui les en débarrasserait…
Les questionnements éthiques que poserait le développement d’un métaverse massif sont nombreux. On peut déjà citer la volonté de Facebook d’équiper ses casques Oculus d’un lecteur biométrique, capable d’authentifier, mais aussi de reproduire les expressions faciales de son porteur. Au delà de rendre nos futurs échanges bien plus réalistes, cette fonctionnalité risque surtout de livrer à la firme quantité de données biométriques sensibles…
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Pilule rouge ou pilule bleue ?
A travers ces considérations épineuses, c’est aussi notre rapport à la réalité qui est bousculé au moment de choisir entre pilule rouge et pilule bleue. Comme nous l’expliquait Wade Watts dans le film de Spielberg, si l’OASIS est un échappatoire si désirable, c’est que la réalité de son époque est inversement « pourrie ». Le jeu vidéo y a vampirisé le quotidien et l’argent des joueurs, et il est bien impossible de savoir si le metaverse créé par Halliday est une échappatoire au chaos où si elle l’a au contraire précipité… D’où un happy end à double fond avec une victoire payée d’un retour au monde tangible, à une platitude désormais désirable, celle du réel.
Pourtant, il serait un peu puéril de notre part de verser dans une pareille opposition manichéenne entre réel et numérique, qui n’a plus vraiment lieu d’être de nos jours : nous passons de plus en plus de temps devant un écran, créons et entretenons des relations sur les réseaux sociaux, et notre travail aussi bien que nos divertissements répondent de plus en plus à l’appel du dématérialisé. En imaginant son réseau social du futur, Meta ne fait que s’inscrire dans la continuité de ce qui a été entamé depuis des années déjà.
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Le Metaverse, l’avenir de nos sociétés ?
Il demeure, le fétichisme geek d’Halliday nous inspire toujours plus confiance que celui de Zuckerberg pour nos données personnelles… Démonstration de puissance culturelle et technologique, « Ready Player One » est un pur divertissement qui interroge l’héritage laissé par les oeuvres les plus populaires tout en introduisant en toile de fond le concept de metaverse auquel rêve Zuckerberg en allant se coucher. Bien qu’il valorise la dimension communautaire du jeu vidéo, le film s’inscrit dans un héritage d’oeuvres plus ambigus, que l’on affectionne chez Neotech et qui interrogent avec pessimisme la question des nouvelles technologies et de leur influence sur l’homme.
De notre côté, c’est plutôt avec une prudence sceptique que nous attendons de voir les prochains développements opérés par Meta, et que nous surveillerons la façon dont les régulateurs européens et internationaux se pencheront sur son encadrement.
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Fiche du film :
- Ready Player One
- Année de sortie : 2018
- Réalisateur : Steven Spielberg
- Scénario : Zack Penn, Ernest Cline (d’après le roman Player One, d’Ernest Cline)
- Distribution : Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn
- Synopsis : 2045. Le monde est au bord du chaos. Les êtres humains se réfugient dans l’OASIS, univers virtuel mis au point par le brillant et excentrique James Halliday. Avant de disparaître, celui-ci a décidé de léguer son immense fortune à quiconque découvrira l’œuf de Pâques numérique qu’il a pris soin de dissimuler dans l’OASIS. L’appât du gain provoque une compétition planétaire. Mais lorsqu’un jeune garçon, Wade Watts, qui n’a pourtant pas le profil d’un héros, décide de participer à la chasse au trésor, il est plongé dans un monde parallèle à la fois mystérieux et inquiétant…