C’est dans le cadre cossu du Château Royal et dans le contexte du Tech4Good New Caledonia Summit que la French Tech Nouvelle-Calédonie accueillait une conférence de son ambassadrice (vedette), Inès Leonarduzzi. La fondatrice de l’ONG « Digital for the planet », multi-titrée et auteure de l’essai « Réparer le futur » intervenait autour de la thématique vulgarisée du « numérique responsable ». Un doigt de lyrisme contemporain, une pincée de philosophie ancestrale saupoudrés de vulgarisation « tech » ont fait plaisir à entendre. Retour sur une conférence sans PPT.
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Blockchain et web 3.0
C’est une figure bien connue de « l’activisme numérico-écolo » qui se dressait face à un public silencieux, d’ores et déjà alléché par l’affiche. Au micro, Charlotte Ullmann, figure calédonienne du numérique et animatrice émérite de l’événement, dressait une liste de distinctions sans fin pour introduire notre illustre hôte du jour. Un trait d’humour nécrologique éclaira son arrivée sur scène et, quelques secondes plus tard, Inès annonça qu’elle n’était pas venue « faire la touriste lambda mais aller au contact des « vraies gens ». Un « bouillon de culture » plus tard, elle commença à nous « conter une histoire »…
Pour débuter, poser le décor historique, elle antidata – à raison – la « technologie » à l’ère du paléolithique, décrivit quelques « innovations » qui changèrent la vie humaine, puis en livra la définition suivante : « la technologie, c’est la manière dont on fait progresser la qualité de vie des gens, leur confort ». Après avoir enchaîné par une petite question au public sur la blockchain, la conférencière semblait, peu à peu, libérer le flux de ses pensées. « La blockchain, créée en 2018, ressemble à un grand livre comptable qui permet de désintermédier les transactions ». Banqueroute. Inès s’éveille et, au fil des phrases qui s’enchaînent adroitement, des références historico-philosophiques et autres punchlines – spoil alert : Mark en a pris pour son méta-grade !- elle nourrit l’audience de ses pensées semi-improvisées.
Internet est une « régie publicitaire », cette technologie « n’est pas gratuite » et vous payez avec vos données personnelles qui sont vendues par un « trader » aux grandes entreprises qui s’en servent ensuite pour manipuler l’esprit des consommateurs, résume-t-elle en substance avant d’enchaîner « Le metavers n’existe pas encore, Mark Zuckerberg n’a pas transformé l’essai : pour le moment, c’est une « inception » ». Agreed ! Le fil du discours est ténu, les « aller-retours » dans sa réflexion ouverte sont fréquents mais, à l’instar d’une équilibriste avisée, elle conclut : « la blockchain, c’est la souveraineté numérique ». Une manière d’avoir déjà tué le mythe de l’écolo perchée, de laisser poindre un humanisme à fleur de peau et de partager sa connaissance d’un écosystème international dont elle fréquente aussi bien les techniciens que les politiciens.
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Digital for the planet
Mais « Digital for the planet », ce n’est pas Inès ! Cette association de loi 1901, c’est « avant tout 80 000 personnes », une véritable communauté engagée et engageante qui a choisi de concrétiser la réflexion isolée par l’action commune et organisée. Lobbying auprès des instances politiques internationales telles que l’ONU, l’OCDE, l’OTAN ou l’Assemblée Nationale, actions de terrain à travers le globe et état d’esprit opposé au « greenwashing », l’ONG se développe sans diaboliser le « numérique » qu’Inès confie ouvertement « aimer ». Cette organisation a défini trois grands objectifs prioritaires : agir sur la pollution numérique environnementale, de la fabrication au recyclage, sur la pollution numérique intellectuelle – ciao l’illectronisme fatal – et sur la pollution numérique sociétale, trop fréquemment illustrée par la violence en ligne.
Honneur à « l’environnement » ; au gré des déambulations de son esprit fertile, Inès explique qu’un appareil électronique « a fait quatre fois le tour du monde avant d’arriver dans votre poche » et qu’il ne faut pas se mentir, nous avons tous le « travail d’enfants dans notre poche ». Les sentences sont cinglantes – elle s’en excuse – mais illustrent pourtant si bien la réalité de l’urgence dans laquelle nous sommes et l’ambivalence du secteur « numérique ». Fabrication, usage, recyclage ? Et pourtant, nous ne pouvons pas nous en passer, des fruits de « cette industrie transverse qui nous dépasse » ! Ce sont toutes les contradictions que nous impose notre drôle d’époque où le numérique est sanctifié par certains et diabolisé par d’autres. La nuance et la mesure sont les caractéristiques des esprits éclairés. Inès l’affirme et le confirme, par l’exemple, dans ses propos.
Quelques morceaux d’histoire des vespasiennes, une métaphore sur les poubelles et un délicieux « pecunia non olet* » – dans la langue de Cicéron svp – plus tard, c’est au tour de la pollution numérique intellectuelle de prendre son poétique uppercut : la surexposition aux réseaux sociaux et leurs textes courts et aux champs lexicaux SEO friendly pourrit le cerveau de nos gamins. Les nôtres aussi, c’est sans dire… Mais pour expliquer des choses compliquées, Inès préfère les paraboles ; le speech tourne à « l’empathie », vibre sur le « droit à la vie privée » et « condamne les violences en ligne », ce miroir sans tain où la haine déshumanisée se déverse si facilement… Hyper-connexion, illectronisme et une anecdote sur la conception du célèbre IPhone d’Apple viennent boucler cette première heure.
« Il te reste une demi-heure ». « Avec ou sans les questions ? ». « En tout ! ». Deux femmes du numérique, Charlotte et Inès, discutent au beau milieu d’une salle « techforgoodisée » avant que la seconde poursuive sur le dernier volet des grands maux : la pollution numérique sociétale. Vol et commerce des données personnelles, contrôleurs fiscaux algorithmiques qui scannent votre profil Facebook, profils d’instagrammers exubérants… sont autant de leviers efficients pour nous ôter un peu plus de notre précieux droit à la vie privée – et de nos cellules grises. Cette « sociabilité sans corps » frappe, chaque jour, chaque heure, chaque seconde sur la toile et les propos d’Inès résonnent aux oreilles de la silencieuse audience. Qui ne s’est jamais fait traiter de « fils de pute » par un type caché derrière son écran ? CQFD.
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Merci Inès Leonarduzzi !
On pourrait poursuivre la rédaction de cet article par le détail de ses propos sur le rapport au temps et les écrits de Deleuze. On pourrait réécouter sa conférence, à peine enregistrée, pour en savourer la dynamique poésie et apprécier cet exercice oral de haut vol. On pourrait aussi retranscrire les questions de l’audience et les habiles réponses de la conférencière. On pourrait expliquer ce concept de « myopie temporelle » qu’elle a parfaitement illustré. Mais on préfèrera s’attarder sur une chose : Inès Leonarduzzi a fait une conférence en Nouvelle-Calédonie. C’était à la fois très bien pour notre Caillou et, peut-être le confirmera-t-elle, beau pour elle, de découvrir notre magnifique culture. Le bien et le beau… Une définition somme toute romaine pour une femme dont le patronyme ne semble pas écarter l’hypothèse d’une botte. Merci d’être passée !
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*L’argent n’a pas d’odeur