Dans un univers où la communication digitale évolue à vitesse grand V, certaines initiatives locales allient technologie, créativité et… un brin d’audace. C’est le cas de Thomas Guedel, un calédonien de 28 ans, fondateur de l’agence Black Letchi et co-créateur de Prospeak AI, une solution 100 % IA dédiée à la publicité digitale.
De son parcours étudiant et professionnel, à la création de son agence jusqu’à sa participation à Viva Tech en juin dernier aux côtés de la New Caledonian Tech, nous sommes allés à sa rencontre pour découvrir sa vision du marketing et de la communication digitale, sur le territoire et au-delà…
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Bonjour Thomas et bienvenue sur NeoTech ! Pour commencer, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs en revenant sur les dates clés de ton parcours professionnel ?
Bonjour NeoTech, je m’appelle Thomas Guedel, j’ai 28 ans et je suis originaire de Nouvelle-Calédonie. J’ai effectué toute ma scolarité sur le territoire, d’abord au collège de Tuband, puis au lycée Lapérouse. À 18 ans, je suis parti poursuivre mes études en métropole, où j’ai obtenu une licence en design numérique, suivie d’un master en commerce à l’Université de Montpellier. J’ai aussi travaillé pendant deux ans en France, au sein de Barba, un groupe agroalimentaire spécialisé dans l’importation de poissons, où j’occupais le poste de chef de projet digital. En 2022, je suis revenu en Nouvelle-Calédonie.
Depuis toujours, je suis passionné par le digital, le numérique, les jeux vidéo et le développement. Pendant mes études, j’avais créé une auto-entreprise en France pour proposer des services de création de sites internet et je réalisais également des missions de communication à distance pour des clients en Nouvelle-Calédonie. J’ai aussi eu l’occasion de faire des stages dans des agences locales, comme l’agence Contact (aujourd’hui devenue l’agence Simone). Ces expériences m’ont conforté dans l’idée qu’il y avait beaucoup de choses à développer en Nouvelle-Calédonie, notamment en matière d’innovation dans le marketing et la communication. C’est ce qui m’a conduit à fonder Black Letchi en 2023.
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Justement parlons de Black Letchi. Qu’est-ce qui a motivé sa création ? À quels besoins souhaitais-tu répondre ?

Mon ambition, en créant Black Letchi, était d’apporter en Nouvelle-Calédonie tout ce que j’avais appris en métropole, en particulier dans les domaines qui manquaient encore ici dans la génération de prospects, les techniques de prospection ou encore le e-commerce. Quand l’agence a vu le jour en 2023, l’intelligence artificielle n’était pas encore un outil largement utilisé, mais d’autres technologies commençaient déjà à transformer le marketing. Après, c’est le marché qui veut ça, ici on est encore très Facebook, mais je voulais créer une agence qui soit à la pointe des algorithmes et de la création de contenus publicitaires capables de donner aux clients un véritable ROI sur leur publicité. Je trouvais que les agences calédoniennes restaient beaucoup sur leurs acquis et qu’il manquait toute la partie analyse et le suivi des résultats. Beaucoup de créations existaient, mais sans véritable retour. Mon objectif était d’apporter une vraie expertise sur le digital, pour booster une communication et ainsi générer davantage de clients et de prospects. Lorsqu’un client vient nous voir pour créer une boutique e-commerce, nous lui proposons une stratégie globale (SEO, acquisition, fidélisation…) en pensant tout le parcours client.
Au départ, j’ai lancé l’agence seul, en déléguant ponctuellement certaines tâches à des patentés. Petit à petit, l’équipe s’est agrandie. Mon frère, spécialisé en développement web, m’a rejoint en 2024, puis nous avons intégré d’autres compétences, comme la production vidéo et la gestion des réseaux sociaux, qui est devenue l’une de nos spécialités. Aujourd’hui, l’un de nos produits phare est la création de contenus courts sur TikTok, qui constitue souvent un produit d’appel avant de décliner ensuite toute la stratégie marketing pour le client.

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Donc aujourd’hui en fait, vous proposez vraiment un service de A à Z en termes de communication digitale ?
Exactement, et nous allons même au-delà du digital. Comme beaucoup d’agences, nous couvrons également la presse, l’imprimé, des publicités radio ou la télé. Nous proposons donc des services de communication à 360°, avec cependant une entrée par le digital.
C’est un point important, car les règles du jeu ont changé. La communication digitale est aujourd’hui beaucoup moins coûteuse que la presse, l’imprimé, la radio ou la télévision. On sait que beaucoup d’entreprises ont dû couper ou réduire leur budget marketing et qu’elles n’ont plus que le numérique. Il permet non seulement de réduire les coûts, mais aussi de mesurer concrètement les retours sur investissement, ce qui est beaucoup plus difficile avec une publicité télévisée ou dans un magazine. Il y a donc un véritable enjeu à maîtriser cette approche.
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Plus récemment, tu t’es lancé dans une nouvelle aventure avec Prospeak AI qui t’a conduit jusqu’à Viva Tech en juin dernier. Peux-tu nous en dire un peu plus sur cette solution 100% IA ?

L’histoire de Prospeak commence début 2024. Nous avons constaté que de nombreuses entreprises n’avaient pas les moyens de faire appel à des agences ou simplement le temps de gérer leurs réseaux sociaux. Avec l’essor de l’intelligence artificielle, nous avons rapidement compris que l’IA pouvait, petit à petit, remplacer certaines fonctions des agences à la fois sur la création de contenu mais aussi (et surtout) sur le ciblage et l’amélioration de la stratégie de publicité pour les réseaux sociaux. Nous nous sommes alors dit : pourquoi ne pas créer un outil indépendant capable de générer le contenu d’une entreprise, rédiger les textes associés, gérer le ciblage, proposer un budget adapté et améliorer en continu la performance des publicités ?
La première version de Prospeak a été développée en 2024 et améliorée jusqu’à Viva Tech en juillet 2025. Nous avons présenté une démonstration gratuite, toujours accessible aujourd’hui, qui va devenir payante en septembre. En s’inscrivant sur Prospeak l’utilisateur répond à quelques questions posées par un agent IA sur localisation de l’entreprise, les produits ou services proposés, la cible, les objectifs… Il peut aussi fournir des documents complémentaires comme discours commerciaux, catalogues ou photos de produits. L’IA s’occupe ensuite de créer des visuels adaptés et de les diffuser directement sur Facebook et Instagram. Prospeak est directement connecté à Meta. Le but, c’est vraiment que nos clients n’aient pas besoin d’aller sur la business suite pour paramétrer eux-mêmes les campagnes. Si on est un peu familier avec cet outil, on sait qu’il peut être parfois complexe et changeant avec une interface difficile à prendre en main… Donc l’idée c’est vraiment de confier toute cette partie-là à notre IA qui automatise le paramétrage des campagnes, tout en optimisant le budget et l’impact des publicités.
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Comment fonctionne l’outil ? Quelles sont les cibles que tu cherches à toucher avec cet outil ?
Lorsqu’on crée sa première publicité, l’outil peut proposer plusieurs versions pour un même visuel. Si l’une d’elles plaît à l’utilisateur, il est possible de lui demander de l’améliorer comme ajouter un fond spécifique, mettre un produit en avant, ou ajuster le texte sur le visuel. Sur l’interface, l’utilisateur a accès à une bibliothèque de tous les contenus et publicités créés. L’objectif est vraiment de rendre l’outil le plus simple et intuitif possible. Prospeak ne s’adresse pas à des experts en marketing, mais aux petites et moyennes entreprises qui souhaitent réaliser des campagnes publicitaires efficaces sans payer des sommes importantes pour une agence. Notre ambition est de rendre l’outil accessible à tous, que l’utilisateur puisse gérer ses campagnes directement depuis son téléphone, connecter son compte Facebook, choisir sa page et laisser l’IA générer et diffuser le contenu. L’objectif final est que l’expérience soit simple et naturelle, comme si l’on collaborait avec un graphiste ou un community manager.
Nous ciblons tous les secteurs d’activité, la Nouvelle-Calédonie étant pour nous un laboratoire pour tester et améliorer la solution avec nos clients locaux. Cependant, pour que le modèle économique fonctionne, il faut toucher un volume important de clients car nos abonnements sont entre dix et trente euros. Il en faut beaucoup pour pouvoir survivre. À terme, nous envisageons de nous étendre à la métropole et à l’ensemble de la francophonie, car il n’existe pas actuellement de solution équivalente en français.


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Après cette expérience à Viva Tech, quels enseignements retiens-tu de cette expérience et quelles sont les prochaines étapes de développement pour Prospeak AI ?
La première chose qui frappe, c’est la vitesse à laquelle évolue l’intelligence artificielle. Pendant Viva Tech, nous avons dû effectuer des mises à jour sur le produit en temps réel, tant les nouveautés en IA apparaissent chaque semaine. Au départ, nous n’avions pas envisagé la génération de vidéos, et aujourd’hui c’est devenu une évidence, non seulement parce que les algorithmes publicitaires de Meta privilégient ce format, mais aussi parce que les clients eux-mêmes recherchent de plus en plus du contenu vidéo. C’est donc une des priorités sur lesquelles nous travaillons actuellement.
Le bilan de Viva Tech est très positif. Nous avons constaté que, malgré l’éloignement géographique, nous n’avons pas à rougir face aux solutions américaines ou européennes. Nos développements sont avancés et compétitifs. C’était un vrai soulagement, car nous craignions de découvrir sur place une vingtaine de solutions identiques à la nôtre. Finalement, ce n’était pas le cas. Nous avons même eu l’occasion d’échanger avec des ingénieurs en intelligence artificielle de Meta, qui ont validé notre approche. Ils nous ont confirmé que leur plateforme est pensée pour des agences et des annonceurs expérimentés, mais qu’elle reste très complexe pour les petites entreprises, qui se retrouvent souvent perdues. Cela nous conforte dans notre volonté de simplifier l’accès à la publicité digitale.
L’un des principaux axes d’amélioration pour Prospeak, sera d’aller sur d’autres réseaux sociaux comme LinkedIn ou TikTok. La prochaine étape pour nous est de sortir une version commercialisable dès septembre, mettre en place un système d’abonnement, trouver des investisseurs pour accélérer notre développement et développer l’outil en parallèle.
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Imagines-tu des passerelles ou des complémentarités entre Prospeak AI et Black Letchi ?
Il y a déjà des passerelles qui se font car nous développons des outils exclusifs pour l’agence, afin d’accélérer nos processus, d’analyser nos campagnes publicitaires et de fournir à nos clients des rapports extrêmement précis. Mais au-delà de ça, je pense que les agences de communication sont en train de vivre une transformation radicale. Il y a dix ans, on sollicitait une agence pour obtenir les campagnes les plus esthétiques possibles. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on tend plutôt vers l’inverse. Maintenant les agences sont sollicitées pour faire des contenus publicitaires qui paraissent naturels, presque « organiques », comme s’ils avaient été créés par une personne lambda. Les clients veulent que leurs publicités ne ressemblent pas à des publicités. Et ça va justement être le rôle des agences de s’éloigner d’un contenu IA. C’est là que la complémentarité se joue. L’IA est un outil qui va permettre de gagner du temps et de l’efficacité en automatisant certaines tâches comme les briefs, les comptes rendus ou même l’élaboration de stratégies de contenu. Mais la créativité du contenu en lui-même ne pourra pas être entièrement généré par de l’IA, car il va lui manquer l’humour, la subtilité de langage… ce qui fera qu’un contenu paraîtra « naturel ». L’humour, c’est ce que les gens viennent chercher chez Black Letchi car nous proposons des contenus locaux et drôles. Et ça, l’IA ne pourra jamais vraiment le reproduire.
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Enfin, aurais-tu un message ou un conseil à partager avec nos lecteurs, en particulier ceux qui cherchent à donner un nouvel élan à leur communication digitale ?
Essayez de faire simple. Comme souvent, le mieux est l’ennemi du bien. On peut avoir tendance à repousser une publication parce que l’on veut qu’elle soit parfaite. Or, aujourd’hui, la communication est devenue du consommable. Il vaut mieux publier régulièrement, même si ce n’est pas parfait, que de ne poster qu’une seule fois par an un contenu qui nous plaît. Je pense que mettre en avant ses collaborateurs et l’histoire de sa société sont bien plus important que ses services et ses produits. Pour la vidéo, il est important d’accrocher l’audience très rapidement, dans les 3 premières secondes. Il faut un gimmick, une phrase ou une image qui surprenne et donne envie de rester jusqu’au bout.
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