La géomatique, vous connaissez ? Cette science à la croisée des chemins entre informatique et géographie est présente dans de nombreux usages numériques… Nous avons rencontré Damien Buisson, animateur en chef du Club de la Géomatique qui décrypte pour nous cette science et ses cas d’usage.
Bonjour Damien, première question pour nos lecteurs : qu’est-ce que la « géomatique » ?
Salut NeoTech ! Alors, la géomatique est une science qui regroupe l’ensemble des outils et des méthodes qui permettent d’acquérir, de représenter, d’analyser et d’intégrer de la donnée géographique. Trois grandes activités définissent la géomatique : la collecte, le traitement et la diffusion de données géographiques.
De ce point de vue, c’est une science clé dans de nombreux domaines ; elle permet d’intégrer de la donnée dans un système d’information géographique (SIG) qui a plusieurs objectifs : assurer le développement et la maintenance d’outils spécifiques, analyser la donnée pour aider à prendre des décisions optimales, produire des cartes thématiques, gérer des projets… La géomatique est donc à la croisée de l’informatique et de la géographie.
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Qui sont les membres du Club Géomatique NC et quel est son principal objectif ?
Le Club Géomatique a pour objectif principal d’animer un réseau technique. Il n’existe aucune contractualisation, ni aucun statut défini entre les structures membres : à l’origine, l’idée provient des techniciens d’une dizaine de structures qui souhaitaient interagir. Aujourd’hui, nous avons intégré au club vingt-cinq partenaires qui ont tous un seul et unique lien : la géomatique.
Les membres du Club sont actuellement intégrés à différents collèges :
- Les administrations avec : La Province Nord, la Province Sud et la Province des Îles Loyautés, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et la ville de Nouméa,
- les autres établissements publics et GIE avec : le GIE Serail, l’OPT, la CPS, le SIGN, le Shom et ISEE,
- les associations et ONG avec : Endemia, Conservation International et l’OEIL,
- les organisations privées avec : Prony Resources, la SLN, Enercal et EEC.
Il faut y ajouter le réseau OBLIC, porté par la DIMENC, qui travaille sur l’observation du littoral mais également les membres du tout nouveau collège des collectivités régionales avec l’intégration cette année de la collectivité de Wallis et Futuna et de la Polynésie Française, ce qui préfigure une ouverture régionale pour notre club.
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Créé en 2015, le Club Géomatique NC couvre plusieurs missions ; quelles sont-elles ?
Nos missions sont diverses : favoriser la coopération, l’interactivité et les échanges entre les membres, partager des ressources, centraliser l’acquisition de données et surtout valoriser l’ensemble du travail réalisé autour de la géomatique en Nouvelle-Calédonie. L’animateur principal est le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à travers ma personne. Nous ne bénéficions pas de subventions ou de budgets réservés. Lorsqu’on organise une animation ou une communication, chacun des membres met ses compétences ou un financement à disposition du Club et notre démarche est basée sur le volontariat.
Nous avons mis en place des réunions trimestrielles pendant lesquelles nous échangeons des informations, nous partageons et présentons les projets en cours. On se penche également sur les arrivées et départs des géomaticiens de la place, la formation ou encore les offres d’emplois… On essaie d’avoir une visibilité globale sur ce qui se passe à propos de géomatique sur le territoire.
En sus de ces rencontres, nous avons organisé des ateliers techniques sur des sujets qui émanent de nos discussions. A titre d’exemple, le dernier sujet lancé qui est en cours : “ Intégration de nos prestataires Géo dans les animations régulières du Club : réflexion, propositions et mise en œuvre« . Les résultats de ces animations sont diffusés sur une page web accessible à tous sur le portail « georep.nc ».
Nous organisons également un événement annuel, le « GIS Day », raccroché à la journée mondiale de la géomatique depuis cinq ans ; pendant cet événement, nous mettons en avant les productions de l’année, les différents projets des structures qui souhaitent les partager et nous proposons une restitution de l’activité annuelle du Club.
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En quoi la Nouvelle-Calédonie dispose-t-elle d’un « or géomatique » et pourquoi ?
Je ne savais pas que la géomatique était associé à l’or ! Pour moi, la seule spécificité calédonienne se situe peut-être dans le fait que, malgré notre petit territoire, nous disposons de nombreux acteurs et compétences en géomatique. Du coup, nous nous connaissons tous et ça permet de trouver plus facilement des synergies et de réaliser des collaborations productives. Pour moi, la géomatique est surtout un trésor pour ceux qui l’utilisent à bon escient !
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On parle de plus en plus de « besoin utilisateur » : en quoi la géomatique répond-elle à un besoin concret de la population calédonienne ?
A mon sens, c’est la technologie qui créé le besoin ; il y a vingt ans, je t’aurais dit que la géomatique était un gadget, un truc de chercheurs… ! Aujourd’hui, c’est devenu un outil central : dans n’importe quel smartphone ou application, il y a de la géolocalisation. Les Calédoniens ne le savent peut-être pas mais lorsqu’ils utilisent leur téléphone, les jeux en réalité virtuelle, les objets connectés (IoT) ou les réseaux sociaux, il y a de la géomatique intégrée…
Aujourd’hui, les cartes ne sont plus seulement des instruments de communication, elles font directement passer des messages pédagogiques. Comme nous sommes dans une société de l’image, c’est très utile ! Prenez l’exemple de la pandémie à l’échelle mondiale : la géomatique est au cœur des analyses qui ont été réalisées !
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Quelles sont les outils numériques et technologiques que vous utilisez pour collecter, traiter et diffuser vos données géographiques ?
On peut dire d’une manière vulgarisé qu’il y a deux grandes familles d’outils : les logiciels commerciaux « sur étagère » et les outils « open source ». Par exemple, côté solution commerciale, la Province Nord utilise la gamme de l’éditeur ESRI alors que la Province Sud est, quant à elle, sur la gamme de produits open source QGIS.
Concernant l’acquisition de données, on peut donner l’exemple de l’acquisition des images satellites ou plus généralement de données de télédétection.
Côté stockage et organisation, nous avons des bases de données spécifiquement géographiques.
Quant à la diffusion, elle se fait via les supports de communication numériques traditionnels. Le portail GEOREP est par exemple le portail de l’information géographique du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie
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Qu’est-ce qu’un Système d’Information Géographique (SIG) et quels types de données traite-t-il ?
C’est un système d’information personnalisé qui est le réceptacle de toutes les informations collectées : chaque SIG de chaque structure est différent et unique et ils sont maintenant parfois déportés sur le cloud et donc délocalisés.
Il faut savoir que 80% des données globales des entreprises sont géo-localisables : le champ des possibles en géomatique est donc très large : environnement, archéologie, aménagement du territoire, tourisme, loisirs, culture… On dit aussi en général que les SIG sont des outils d’aide à la décision.
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Prévention des risques naturels, gestion des ressources naturelles, aménagement du territoire sont autant de domaines dans lesquels intervient la géomatique. Pouvez-vous nous présenter, pour chacun de ces trois domaines spécifiques, une application concrète sur la Calédonie ?
Carrément ! Concernant la prévention des risques naturels, nous sommes en train de finaliser un projet avec le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie qui s’appelle « TSUCAL », un dispositif d’alerte en cas de tsunami : c’est d’actualité non ? Ce projet est réalisé en collaboration avec l’IRD et est basé sur le fonctionnement suivant : un tremblement de terre survient à un point précis et géo-localisé avec une magnitude connue. Plus de 4000 modèles / scénarios ont été créé afin de prévoir la zone d’arrivée de la vague qui va toucher nos côtes ainsi que sa taille. En fonction de ces informations, la « Direction de la Sécurité Civile et de la Gestion des Risques » (DSCGR) peut prendre les bonnes décisions pour prévenir et protéger la population. Le transfert des travaux de recherche s’applique ici à un cadre opérationnel.
Pour la gestion des ressources naturelles, prenons l’exemple du Conservatoire des Espaces Naturels qui a travailler sur la conception d’un outil cartographique pour la gestion des forêts sèches ; cela prend la forme d’un tableau de bord qui permet de lister et présenter un grand nombre d’indicateurs sur les forêts sèches de Nouvelle-Calédonie. C’est un exemple de la valorisation de la donnée qui permet de surveiller l’évolution du patrimoine naturel et de prendre les bonnes décisions pour le protéger.
Côté aménagement du territoire, je peux donner l’exemple du rôle de la géomatique pour la construction d’un barrage à Pouembout, à l’est du territoire. Comment déterminer le volume d’eau optimal stockable ? A quel endroit ? Quelles zones seront inondées et quels seront les impacts pour l’environnement ? La cartographie joue un rôle prépondérant sur ce projet : en fonction des scénarios proposés, les élus peuvent ainsi prendre une décision « éclairée ». Ce projet a d’ailleurs été présenté l’année dernière à SIG 2020, le rassemblement français de référence en termes de SIG.
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Quelles autres applications moins connues font appel à la géomatique ?
Je vous ai sélectionné deux exemples que je trouve assez originaux ; l’année dernière, lors du GIS Day 2020 en Nouvelle Calédonie, la Ville de Nouméa a présenté une carte interactive des contes et légendes géolocalisés, l’un des patrimoines immatériels du territoire. Ils ont ainsi conçu une petite application qui recense et présente, sous forme de sons et/ou images, tous les contes du Pacifique. Ça répondait à un besoin du service « patrimoine ».
Tout autre sujet : l’application CAVAD NC, qui recense les dispositifs d’Aide aux Victimes et d’Accès aux Droits. L’application présente l’intégralité des endroits où les victimes peuvent se rendre et trouver de l’aide. Ici, la géomatique intervient dans l’aide sociale, l’assistance aux victimes de violence. C’est un outil assez unique et pertinent pour l’ensemble des acteurs qui travaillent sur ce sujet.
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Quel type de formation doit-on suivre pour devenir géomaticien ?
Pour ma part, j’avais fait un Master en Télédétection Appliquée mais il y a de la géomatique partout ! Au niveau Bac + 2, on peut passer par un BTS Géomètre Topographe mais il y aussi des Licences Pro de Cartographie et de nombreux Masters Spécialisés : « Géomatique de l’environnement », « Géomatique du tourisme », « Géomatique en aménagement de territoire »…
La référence française demeure l’ENSG (Ecole Nationale des Sciences Géographiques). En Nouvelle-Calédonie, il n’existe pas de cursus géomatique spécifique mais plutôt des modules dédiés, intégrés à différents cursus universitaire.
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Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Pensez toujours à intégrer la dimension géographique dans la conception et le développement de vos projets : on ne sait jamais, ça pourrait vous servir !
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