« Géomatique » (nom féminin) : traitement informatique de la donnée géographique« . C’est ainsi que le Robert définit la révolution numérique qui a touché la géographie dès le début des années 90. Aménagement du territoire, prévention des risques naturels ou encore gestion des ressources naturelles et de l’urbanisme sont autant de domaines dans lesquels la géomatique intervient régulièrement. En Calédonie comme partout ailleurs, le secteur est en pleine croissance et, de plus en plus de sociétés se concentrent sur l’imagerie spatiale et son traitement. L’une d’entre elles, INSIGHT, tire son épingle du jeu et tente de fédérer l’écosystème local et régional. L’occasion était trop belle ! Nous sommes partis à la rencontre de son fondateur, Jean Massenet, et à la découverte de cette science méconnue du grand public. Une autre manière d’avoir la tête dans les étoiles…

El Jefe au micro de © NeoTech

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Bonjour Jean, tu es « El Jefe » de la jeune pousse INSIGHT ; peux-tu présenter l’historique de ta startup à nos lecteurs ? 

Bonjour à tous ! Pour commencer, parlons d’intrapreneuriat. A la différence des startup « traditionnelles », j’ai la chance d’être salarié et n’ai donc pas les mêmes contraintes qu’un entrepreneur classique puisqu’INSIGHT fait partie d’un groupe. C’est une réelle plus-value qui m’a permis, dès la naissance de l’idée, d’être incubé au sein du groupe CIPAC et donc de développer mon projet qui était, à la base, une ligne de produits « imagerie satellite » d’une autre entité du même groupe. Nous avons ainsi décider d’internaliser certaines compétences et donc de produire des services nous-mêmes en embauchant des profils spécifiques. C’est ainsi qu’INSIGHT SAS est née au 1er janvier 2019. 

INSIGHT

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Et que faites-vous exactement chez INSIGHT ? 

Notre cœur de métier, c’est l’imagerie spatiale et plus globalement le domaine de la géomatique. Géomatique signifie « géographie par informatique ». Nous ciblons ainsi deux sujets clés : l’imagerie spatiale et les systèmes d’information géographiques (SIG). 

Côté « imagerie spatiale », nous fournissons l’accès à des images au même titre que nous traitons ces images. En interne, nous développons des algorithmes et utilisons des procédés d’intelligence artificielle pour extraire les informations utiles des images récupérées. Nous produisons donc des cartes sur de multiples thématiques : détection des surfaces brûlées, des zones de mangroves, classification des types de végétation, état de la sécheresse biophysique de la plante, activité chlorophyllienne… Nous nous servons de toutes les informations contenues dans l’image pour créer nos cartographies

Par ailleurs, tout ce qui a trait à l’information géographique au sens large, les SIG, nous permettent de croiser les données ; on va utiliser toutes les données utiles dans un contexte spécifique et les croiser et les superposer les unes aux autres pour produire une cartographie finale. Pour croiser ces fameuses données, nous utilisons la « composante géographique de la donnée ». 

La complémentarité de ces deux expertises nous permet de fournir aux décideurs des outils d’aide à la décision dans de nombreux domaines. N’oublions pas cependant de préciser « qu’on sait qu’on ne sait pas tout » : INSIGHT est un expert technique mais pas thématique. C’est donc grâce à notre réseau de partenaires que nous allons aller chercher la compétence thématique en fonction des sujets qu’on va adresser. 

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Technique tout ça ! Est-ce que tu peux illustrer votre travail à l’aide d’un exemple pour que nos lecteurs puissent mieux comprendre ? 

Bien sûr ! Nous avons produit pour le compte de l’OEIL, l’Observatoire de l’Environnement, une cartographie de toutes les formes érosives à l’échelle de la Province Sud ; toutes les formes de plus de 100 mètres-carrés ont ainsi été détectées d’une part et classifiées d’autre part. On ne se rend pas bien compte à quel point ce travail est monumental ! Toutes les formes et tous les « objets » présents sur les images ont ainsi été détectés, identifiés puis classifiés. Vous vous doutez bien qu’on ne pourrait pas réaliser ce travail à « l’unité », ni utiliser l’apport d’un expert thématique, un géologue qui compterait et classifierait les  formes une par une ! 

C’est pourquoi nous automatisons au maximum les procédés et, pour ce faire, nous nous servons des différentes caractéristiques des objets : taille, couleur, forme physique, sur quelles pentes elles poussent, quelle évolution… Toutes ces données vont nous aider à définir le type de forme érosive détectée. 

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Vous accompagnez donc vos clients dans ce travail gargantuesque… ?

Oui, vous avez raison d’insister sur cette notion d’accompagnement qui est au cœur de notre activité ; lorsqu’on nous demande de produire une carte, rares sont ceux qui savent exactement le niveau de détail, de définition, de typologies qu’elle doit contenir. Et c’est la raison pour laquelle nous proposons aussi de l’accompagnement à l’expression de besoin à travers des études de faisabilité, mais également de la formation sur mesure puisque nous avons l’agrément formateur et que nous maîtrisons particuliers des logiciels Open Source tels que QGIS

Nous proposons également de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMOA), de la consultance, bref, nous accompagnons des entités majoritairement publiques afin qu’elles soient les plus efficientes possible. Nous nous positionnons ainsi aux côtés des institutions et des utilisateurs pour s’assurer que les dépenses publiques soient optimisées et qu’elles répondent à un maximum de besoins en fonction de la solution choisie ; nous les accompagnons de leur expression de besoin jusqu’à la mise en œuvre opérationnelle de la solution par l’intermédiaire d’un outil d’aide à la décision le plus adapté possible à nos gestionnaires. 

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La « data » et son traitement est aujourd’hui au cœur des problématiques des entreprises. Quels types de datas produisez-vous et quelles sont celles que vous récoltez ?

L’imagerie spatiale est une source de données de différents types : les données open source que l’on prône au maximum ou les données issues de l’imagerie commerciale et donc payantes. C’est déjà un premier choix à faire ! En ce qui concerne l’imagerie commerciale, il faut choisir le bon satellite, le programmer mais aussi choisir un type de licence, les conditions techniques de prise de vue – angle, durée, période etc. Les deux grands fournisseurs européens de ces données sont l’agence spatiale européenne (ESA) pour les données Open Source et « Airbus Defence and Space – Geo Intelligence » pour les images commerciales. 

Ensuite, nous récupérons ces images et notre travail est tout d’abord de les uniformiser pour que la carte soit visuellement compréhensible : notre rôle c’est de produire une image propre, sans césure, sans déformations, sans problématique de couleur etc., bref, de « photoshoper » cette image pour qu’elle soit mosaïquée, un beau poster d’une zone en particulier. C’est le volet visuel et l’utilisation de « fonds d’imagerie ». 

En parallèle, ces images possèdent des informations que l’on ne voit pas à l’œil nu ; l’imagerie spatiale, notamment grâce aux bandes spectrales telles que le « proche infrarouge », le « blue costal », ou encore le « rededge », permet de détecter des fréquences que l’œil humain ne peut pas capter. C’est grâce à ces informations que nous produisons des données « sortantes » à l’aide d’algorithmes qui nous permettent, par exemple, de caractériser les données chlorophylliennes d’une plante ou de savoir si une zone est en état de stress hydrique. Impressionnant, non ? 

Il faut néanmoins bien garder en tête que si notre travail permet d’extrapoler et de gagner un temps précieux dans la récolte et l’analyse de données, il ne remplacera jamais l’expertise humaine ! Nous aurons toujours besoin d’experts thématiques pour générer ses données d’apprentisage (en entrée) et valider les données résultantes (en sortie) car ce ne sont pas nos experts informatiques qui vont être capable d’identifier avec confiance les types de végétation particuliers par exemple. 

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Vous proposez d’utiliser l’imagerie satellite, aérienne ou drone : quelles sont les différences entre ces différents outils et comment récoltez-vous de la data avec chacun d’entre eux ?

INSIGHT
Un petit tour dans les étoiles…? © ESA

Aucun de ces outils n’est auto-suffisant au même titre que le lever « in situ » ne l’est pas non plus ; il existe toujours des tenants et aboutissants, des avantages et des limites propres à chaque méthode et à chaque outil. Aujourd’hui, la principale différence entre le satellite, l’aérien et le drone, ce sera la résolution, le niveau de définition de l’image et la capacité de couverture des zones étudiées. Plus on prend de la hauteur, plus la vision est large… mais plus je perds en détails ! Il faut alors réussir à trouver le juste milieu entre ces variables ou trouver des complémentarités entre les différents outils. 

Par exemple, nous avions collaboré avec « Conservation International » et l’association « Dayu Biik » sur la zone du Mont Panier qui abrite une espèce micro-endémique, le « kaori géant » ; ces organisations nous ont commandé des images pour obtenir une vision de l’ensemble de la zone qui était malheureusement très souvent nuageuse. Dans ce contexte, la capacité de « revisite » du satellite qui passe tous les jours était très utile mais nous avions quand même besoin de « données d’apprentissage » pour nourrir nos algorithmes. Aussi, avant d’utiliser les images satellite, « Conservation International » a fait voler des drones pour obtenir ces données d’apprentissage sur une zone plus réduite. Avec ces données, ils ont ensuite nourri les algorithmes puis ont extrapolé une cartographie sur l’imagerie satellite. Voilà un exemple très concret de deux capteurs pouvant s’avérer complémentaires plutôt que concurrents. 

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Peux-tu nous présenter un cas pratique représentatif de l’activité d’INSIGHT et des différents services que vous proposez ?

Je vais te parler de l’association de gestion environnementale « Hô-üt » basée à Touho ; ils voulaient mener des actions de restauration des mangroves de la zone. Néanmoins, évoluer à pied dans la mangrove est complexe et la détection des zones concernées où il faut agir est donc particulièrement complexe et chronophage ! 

En parallèle, il a fallu former la population locale, la faire monter en compétences pour qu’elle soit capable d’identifier ces zones et y agir.

L’objectif a ainsi été d’obtenir une cartographie des zones de restauration visée et l’imagerie par satellite s’et avérée être l’outil adéquat et naturel pour ce faire. 

Nous avons ainsi nourri nos algorithmes avec des données d’apprentissage – une mangrove en mauvaise santé et une autre en bonne santé par exemple – et extrapolé à l’échelle de l’intégralité du littoral de la commune. Cette méthode a permis à l’association de cibler directement et précisément les actions à mener et les mangroves à « soigner ». Les habitants de la tribu alentour ont alors pu se concentrer sur le travail de fond et ont été très utiles pour mener les actions de restauration ! 

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La Nouvelle-Calédonie dispose de nombreuses expertises en géomatique. Comment définirais-tu ce terme ? A quoi sert cette science ? 

J’associe souvent cette définition à la « donnée géographique » car on ne se rend pas compte à quel point chaque donnée dispose d’une composante géographique. Le compteur d’eau de votre domicile à une adresse : donnée géographique. La signature Mobilis, en enlevant toutes les données personnelles, est une donnée géographique. Et toutes ces données, croisées les unes avec les autres, ont une valeur grâce à cette composante géographique. Pour moi, la géomatique, c’est ça : la création et l’utilisation des données les unes avec les autres grâce à leur composante géographique ! 

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Petite question décalée : peux-tu partager avec nos lecteurs l’image satellite de ton endroit préféré ?  

… Haha, je n’y suis pas encore allé mais j’irai ! Lorsque l’on fait l’acquisition d’images satellite, le premier critère qu’on observe, c’est la couche nuageuse. Les images commandées aux fournisseurs sont ainsi validées ou non en fonction des nuages visibles. Il y a toujours un petit bout du nuage au mauvais endroit, sinon ce n’est pas drôle… 

Un jour, alors que nous couvrions plusieurs atolls en Polynésie française, j’ai été interpellé par une image que je devais valider pour savoir si, oui ou non, on devait continuer à recueillir sur la zone ; sur cette image, il y avait plein de petits nuages éparpillés ça et là comme des grains de popcorn au milieu du lagon. Je ne comprenais pas d’où ça venait et n’avais jamais vu de telles « formations nuageuses », alors j’ai téléchargé ledit extrait en haute résolution et j’ai zoomé… j’ai alors découvert que ces nuages étaient en réalité une multitude de patates de corail éparpillées dans tout le lagon ! Conclusion : je me suis promis que j’irai plonger là-bas un jour !

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Un dernier mot ? 

Et même deux derniers mots : « collaboration communautaire » !

L’actualité, c’est l’organisation du plus gros événement « géomatique » jamais réalisé à l’échelle du Pacifique insulaire en collaboration avec les plus grandes entités régionales et mondiales du domaine ! Ça se passera à Nouméa entre novembre et décembre 2022 et vous êtes déjà au courant puisque NeoTech est l’un des partenaires de cet événement… 

L’objectif de cet événement, c’est de consolider la communauté. Nous avons un réel enjeu de collaboration transparente et une réflexion à mener autour du « bien commun » qui doit passer avant les intérêts particuliers et financiers. Il faut viser la pérennité de ce marché plutôt que d’encaisser les millions des pouvoirs publics sur des opérations « one shot » !

Aujourd’hui, les besoins des gestionnaires sont grandissants mais les moyens sont toujours en baisse : il faut se réinventer d’un point de vue organisationnel et structurel et développer de vrais partenariats « public – privé ». Avançons ensemble et mutualisons pour que l’ensemble du secteur bénéficie des effets positifs de cet accompagnement du public par le privé. L’événement « Oceania Geospatial Symposium » sera organisé dans cette optique. Hâte d’y être ! 

INSIGHT
« Oceania Geospatial Symposium » le prochain événement régional dont vous entendrez bientôt parler… © OSS NC

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